ABSTRACT
En 1941, Ancel & Lallemand signalaient que le bleu trypan était tératogène pour l’embryon de Poulet. Depuis lors de nombreux chercheurs ont utilisé le même produit avec des résultats quelque peu différents suivant les groupes de vertébrés testés : Oiseaux, Mammifères et Batraciens.
Ancel & Lallemand avaient disposé le colorant sur le blastoderme de 48 heures d’incubation. Ils obtinrent au bout de 24 heures des hémorragies siégeant de préférence dans la région postérieure de l’axe embryonnaire. Diverses autres substances leur donnèrent des résultats similaires, notamment le sulfate de strychnine choisi par Stoll (1941) pour étudier la genèse et la structure de ces hématomes. Ancel (1950) rend ces lésions primaires responsables des anomalies, jugées secondaires, qui se manifestent à leur niveau chez des embryons plus âgés: cœlosomie pour les hémorragies de la paroi latéro-ventrale, réductions variables de l’extrémité caudale (anourie, brachyourie) ou des membres postérieurs. Il n’exclut pas cependant la possibilité d’un mécanisme direct dans la production des monstruosités plus tardives, car certains anoures provenant des mêmes séries expérimentales n’avaient pas été porteurs d’hémorragies. Des anomalies diverses telles que cœlosomie, microphthalmie, anophthalmie, déficiences du bec ou des membres postérieurs, et surtout anourie, se présentent chez les embryons traités à 24 et 48 heures par Beaudoin & Wilson (1958). Enfin tout récemment, Mulherkar (1960) décrit chez des embryons de 2 jours environ, traités à des stades allant de la ligne primitive à la plaque médullaire, des irrégularités somitiques et des soufflettes au niveau desquelles le mésoderme axial est réduit, la chorde notamment.
Les anomalies induites par le bleu trypan chez les embryons de Mammifères (il y a une floraison de travaux concernant les Rongeurs) sont pour une part celles précédemment trouvées chez l’embryon de Poulet âgé, mais il en est aussi d’autres qui touchent le cœur et les gros vaisseaux, ainsi que le système nerveux central, le cerveau en particulier qui est souvent hypertrophié (hydrocéphalie, exencéphalie, etc.).
Les embryons de Batraciens (Waddington & Perry, 1956) peuvent présenter des blocages de la gastrulation à des degrés divers, des exogastrulations plus ou moins complètes, des dégénérescences tissulaires (sauf pour l’endoderme) et des œdèmes, des inhibitions du bourgeon caudal, des réductions et suppressions de la chorde au profit des somites et, chose qui contraste avec les observations faites chez les Mammifères, de la microcéphalie. Celle-ci est attribuée à un blocage tardif de la gastrulation.
Ainsi donc, en l’absence de données plus complètes concernant l’embryon de Poulet, ce dernier semblait se comporter d’une manière spéciale sur deux points. Ici pas de malformation caractérisée du système nerveux, pas d’anomalie cardio-vasculaire. Ceci nous avait incités à entreprendre de nouvelles recherches dont les premiers résultats seront rapportés dans la présente note. Outre les faits déjà signalés par Ancel & Lallemand, nous avons relevé des dispositions vasculaires anormales, des strophosomies et, comme Mulherkar, des irrégularités dans la segmentation.
MÉTHODES
Toutes les expériences ont été faites sur des embryons de race Leghorn blanche, à diverses périodes de l’année 1959 et au début de 1960. Les œufs furent incubés à la température de 37,5° C. Ils furent ouverts suivant la technique d’Ét. Wolff. La fenêtre pratiquée dans la coquille était refermée par un bout de ruban adhésif. L’évolution des embryons était suivie de jour en jour.
Le bleu trypan, qui provient des Établissements Hollborn u. Sôhne de Leipzig, fut dissous au 1/1000 dans l’eau distillée ou le liquide physiologique de Tyrode. L’eau distillée servit au début de ces recherches, le liquide physiologique eut la préférence par la suite, car il permet une meilleure survie des embryons. La dose administrée variait entre 0,01 à 0,05 mg. de colorant (pour 0.01 à 0,05 cm3 de solution). Les embryons devant servir de contrôles recevaient en même quantité de l’eau distillée ou du liquide physiologique suivant le cas. D’autres étaient simplement ouverts et refermés.
Dans les premières expériences, le colorant était ou déposé sur l’embryon ou injecté dans le vitellus, auquel cas il remonte en quelques secondes et s’accumule sous le blastoderme. Dans une deuxième série, il fut introduit directement dans la cavité sous-germinale. Par cette méthode on peut, en opérant avec douceur, localiser grossièrement le produit sous une région donnée de l’embryon, sous sa moitié postérieure par exemple. Enfin, dans une 3ème série d’essais, le colorant imprégnait un petit bloc de gélose placé sur l’embryon en un point bien localisé. La dose était dans ce cas souvent moindre que celle indiquée précédemment. Deux cent quarante-huit embryons ont été traités au second jour de l’incubation suivant l’une ou l’autre de ces modalités; 49 autres ont reçu, entre 48 et 72 heures d’incubation, un cube de gélose-bleu trypan sur la région branchiale. Les embryons ont été fixés au formol picroacétique et dessinés à la chambre claire. Ceux destinés à l’étude histologique ont été coupés à 5 μ et colorés à l’hématoxyline-éosine.
RÉSULTATS
Les malformations apparues à la suite du traitement au bleu trypan sont les unes précoces—il s’agit d’œdèmes et d’irrégularités somitiques—les autres tardives : réduction de l’extrémité caudale et des membres postérieurs, flexions anormales de la colonne vertébrale tróncale et cœlosomie, anomalies vasculaires. Elles seront décrites dans cet ordre. Des anomalies du bec, des microphthalmies ont été notées sporadiquement; elles ne seront pas considérées.
Œdèmes
Les œdèmes ont été signalés déjà par Ancel & Lallemand, sur des embryons de 3 jours traités la veille, et par Mulherkar sur des embryons bien plus jeunes traités au stade plaque neurale, voire plus tôt. Nos interventions ont été faites au 2ème jour, alors que les embryons avaient formé 4 – 20 somites, par l’une ou l’autre des méthodes indiquées, sans qu’il y ait pour cela des différences essentielles dans les résultats.
A ce stade, les embryons sont fragiles, la seule ouverture des œufs est une cause de mortalité. La plupart succombent dans les 24 heures qui suivent le traitement; parmi eux beaucoup sont porteurs d’une vésicule en arrière de la région segmentée. Tel embryon (fig. 1A) qui a reçu une goutte de bleu trypan dans l’eau distillée (0,05 cm3 environ) au stade de 5 paires de somites, est mort au bout de quelques heures après avoir formé 3 autres paires de somites — et une vésicule. Tel autre qui a reçu la même dose dans la cavité sous-germinale à 11 somites, vivait encore 24 heures après. Il avait alors 26 paires de somites et à leur suite la vésicule, hémorragique cette fois, les aortes postérieures s’étant rompues. Un autre enfin a reçu un cube de gélose coloré sur sa région postérieure. Après quelques heures celle-ci était gonflée par l’œdème entre le 27ème et dernier somite et le tissu dense du bourgeon caudal; les plaques somitiques étaient rejetées contre les parois latérales et les aortes apparaissaient par transparence plus près de l’axe embryonnaire (fig. 1B). Ajoutons que des œdèmes beaucoup moins prononcés siègent parfois dans la paroi latéro-ventrale (cf. Ancel, 1950).
Œdèmes axiaux, ao., aorte dorsale; b.c., bourgeon caudal; œ., œdème; p.s., plaque somitique; s.r., sinus rhomboïdal; t.n., tube neural.
L’examen histologique montre que la poche se développe entre ectoderme et entoderme distendus (Planche 1). La région des derniers somites est parfois légèrement touchée, les somites y apparaissent creux. Dans la poche, le tissu nerveux garde sa forme, s’aplatissant seulement vers son extrémité en une lame pleine. La chorde s’interrompt plus tôt que le tube nerveux dont elle est légèrement écartée. Les plaques somitiques s’amenuisent vers l’arrière et s’écartent l’une de l’autre. Aux endroits où la chorde fait défaut on ne trouve plus que des lames mésodermiques délimitant l’œdème axial d’avec le cœlome. La limite postérieure de la poche est imposée par le tissu dense du bourgeon caudal. Chez les embryons qui n’ont pas encore développé ce bourgeon, elle peut déborder sur le territoire extra-embryonnaire.
Les œdèmes, hémorragiques ou non, apparaissent dans toutes les séries ayant reçu du bleu trypan et seulement dans celles-là (tableau 1). Sur les 248 embryons traités au second jour, 83, soit 33 pour cent, sont porteurs d’œdèmes. On relève 23, soit 9 pour cent, d’œdèmes simples et 60, soit 24 pour cent, d’œdèmes hémorragiques. La fréquence de la malformation est plus élevée lorsque le colorant est administré dans l’eau distillée (54 pour cent) que lorsqu’il l’est en liquide physiologique (29 et 21 pour cent), tandis que le nombre d’embryons morts précocement sans lésion apparente est le même à peu près dans l’un et l’autre cas.
Résultats comparatifs de la production d’œdèmes par le bleu trypan (BT) administré en eau distillée (BT/E. dist.), en liquide de Tyrode (BT /Tyrodé) ou en un bloc de gélose dans le liquide physiologique (BT/gél. Tyr.)

Dans les expériences d’Ancel & Lallemand, faites sur des embryons de 48 heures pourvus d’une circulation active, la première manifestation du colorant était une hémorragie partant des aortes postérieures et se développant en une vésicule du type décrit ici. A ces auteurs l’hémorragie apparaissait comme primaire. Les résultats de Mulherkar (1960) et les nôtres indiquent qu’à des stades plus jeunes il se constitue un œdème, qui peut se remplir de sang ultérieurement. L’hémorragie est certainement secondaire dans ce cas; peut-être l’est-elle aussi à 3 jours, mais alors elle apparaît pratiquement avec l’œdème et, plus spectaculaire que lui, elle le masque.
Lésions des somites
Les irrégularités somitiques ont été observées bien moins souvent que les œdèmes; nous n’en avons trouvé que 18 cas nets pour les 248 embryons traités. Ils se rencontrent parmi les embryons ayant de 15 à 26 somites au moment de l’intervention.
Alors que les somites normaux se présentent en vue dorsale sous l’aspect de briques empilées et qu’ils se moulent sur leurs voisins et sur le système nerveux, les somites lésés n’ont plus en général de tels rapports et toujours leurs angles sont arrondis. Tantôt ces somites sont raccourcis, comme tassés (fig. 2D) et tantôt ils se réduisent à des sphérules de taille variable (fig. 2 A, B). D’autres fois au contraire ils sont anormalement longs (fig. 2 c, E) et donnent l’impression d’être formés de plusieurs éléments coalescents. Souvent la correspondance droite-gauche cesse d’être respectée en ce qui concerne la disposition des somites ou le moment de leur individualisation.
Somites anormaux. Les nombres indiquent les numéros d’ordre des somites.
Notons qu’un tiers de ces embryons présente 24 heures après le traitement un retard dans la segmentation de 8-15 paires de somites, ce qui représente 8-15 heures, la segmentation progressant dans la période considérée à l’allure moyenne de 1 paire de somites par heure. Des retards analogues ont été observés aussi sur d’autres embryons traités qui ne sont pas atteints de malformations somitiques. Il reste à souligner que les somites anormaux n’apparaissent pas immédiatement, mais qu’il se forme encore 3-6 paires de somites normaux après le dépôt du colorant. Nous reviendrons sur ce point dans la discussion.
La réduction des somites est bien visible sur les préparations histologiques (Planche 2). Ils sont entourés d’un grand espace vide dans lequel ils semblent parfois flotter. Dans une section transversale un somite normal couvre à peu près la surface du tube nerveux, un somite réduit peut n’en couvrir que la moitié. Le système nerveux, la chorde, les plaques latérales et l’endoderme ne paraissent pas affectés, mais l’ectoderme est anormalement pâle, lacunaire. L’arrangement cellulaire typique est conservé, même dans les somites; les cellules semblent saines. On a l’impression que leur nombre a diminué dans les somites. Cette impression a été vérifiée par un comptage effectué sur 20 coupes transverses passant au milieu d’autant de somites pris sur des embryons normaux et 20 coupes de somites réduits pris sur 2 embryons traités, celui de la figure 2c et un autre qui lui est semblable. Alors que les somites normaux ont de 180 à 210 cellules par coupe avec une moyenne de 196, les somites anormaux en ont de 90 à 150, en moyenne 143 (fig. 3). L’écart entre les deux groupes de valeurs doit tenir pour une part au choix des somites anormaux; on s’en est tenu à ceux dont la réduction était macroscopiquement visible. Il reste que les somites sont très diversement affectés par le colorant et que leur population cellulaire peut être réduite de moitié par rapport à la normale. Les plaques somitiques sont encore plus gravement atteintes que les somites. Leurs cellules sont dispersées comme dans un mésenchyme lâche, au point que les limites des plaques deviennent imprécises.
Malformations de la queue et des pattes
Des réductions de l’extrémité caudale ont été obtenues chez 74 pour cent des embryons (75 sur 102) traités au second jour de l’incubation par l’une ou l’autre des méthodes énumérées. Elles sont le plus souvent simples (62 cas, soit un peumoins de 61 pour cent), allant de la brachyourie légère à l’anourie subtotale où la queue n’est plus représentée que par un cône minuscule dépourvu de squelette. Maiz chez 13 embryons, qui avaient tous reçu un cube de gélose-bleu trypan sur l’extrémité caudale, elles sont associées à des réductions des membres postérieurs. Ces derniers se rapprochent dans la mesure même où ils se réduisent. Un cas extrême est représenté par un symèle dont la patte unique ne se dédouble au bout que pour former deux petits cônes incurvés. Les malformations des membres postérieurs que nous avons observées sont ainsi liées à une réduction du squelette axial à leur niveau.
Malformations de la région tróncale
Les diverses malformations groupées sous ce titre (et sous le suivant) ont été relevées dans un lot de 49 embryons qui ont reçu un bloc de gélose imprégné de colorant sur la région branchiale entre 48 et 72 heures d’incubation. Elles portent sur l’axe vertébral ou sur la paroi ventrale, le plus souvent sur les deux à la fois. Quinze embryons (30 pour cent) sont lordosiques, 15 autres sont strophosomes. Chez ceux-ci la moitié caudale du tronc est rabattue sur la face dorsale du thorax et les pattes appliquées de part et d’autre de la tête. L’anomalie avait été obtenue par Lallemand (1938) et par Gabriel (1946) à l’aide de la colchicine. Tous les strophosomes ainsi que 4 embryons lordosiques présentent en même temps une scoliose. La cœlosomie apparaît 27 fois (54 pour cent). Elle accompagne toujours la strophosomie et elle y est totale. Dans les 12 autres cas, dont 6 en association avec la lordose, il s’agit de cœlosomies supérieures et moyennes, avec hernie du cœur, de l’estomac et d’une partie de l’intestin.
Malformations des gros troncs artériels
Parmi les embryons traités au second jour, 23 seulement ont survécu jusqu’à 12 jours. Ils ont été sacrifiés à ce moment. Aucun n’a présenté de disposition artérielle atypique. D’autres embryons (49) reçurent alors de la gélose colorée sur la région branchiale au cours du 3e jour. Vingt-deux d’entre eux purent être examinés à 12 jours, dont neuf avaient des anomalies vasculaires.
Nous avons relevé les dispositions suivantes:persistance des 2 canaux carotidiens, de faible diamètre; persistance de ce canal à gauche avec l’arc 4 correspondant; persistance de ce même canal bien développé, une fois à droite, une autre fois à gauche avec suppression de la crosse normale (la crosse aortique emprunte le tronc brachiocéphalique et l’arc carotidien). Ces malformations avaient été produites antérieurement par ligature (Stéphan, 1952). Deux autres dispositions sont plus curieuses. Un embryon (fig. 4 A, B) possède à gauche une carotide issue de l’arc 4 et une vertébrale issue de l’arc 3 qui passe dorsalement à la carotide. Normalement l’artère vertébrale sort de la face dorso-latérale de la racine aortique au point où celle-ci reçoit l’arc 3 à sa face ventrale. Il est assez difficile de se représenter comment l’arc 3 a pu se détacher de la carotide tout en gardant le contact avec la vertébrale. L’autre embryon (fig. 4 c, D) a pareillement une carotide gauche venue de l’arc 4, la sous-clavière gauche est présente mais non l’arc trois. A droite un canal carotidien sort de la crosse aortique, mais au lieu de rejoindre directement la carotide, il court parallèlement à elle. La carotide est ainsi dédoublée, la fusion des deux éléments se fait très progressivement au voisinage de la tête.
Anomalies artérielles en vue ventrale. Les schémas B et D correspondent aux dessins A et c respectivement, c., carotide; c.s., carotide supplémentaire; p., pulmonaire; s., sous-clavière; t.b.c., tronc brachiocéphalique; t.p., tronc pulmonaire; v., vertébrale; 3, 4, 6 arcs carotidiens systémique et pulmonaire.
Anomalies artérielles en vue ventrale. Les schémas B et D correspondent aux dessins A et c respectivement, c., carotide; c.s., carotide supplémentaire; p., pulmonaire; s., sous-clavière; t.b.c., tronc brachiocéphalique; t.p., tronc pulmonaire; v., vertébrale; 3, 4, 6 arcs carotidiens systémique et pulmonaire.
Nous n’avons pas recherché les malformations cardiaques, mais leur existence est hautement probable, car après intervention directe sur les arcs aortiques, des déficiences septales se manifestent régulièrement dans la partie bulbaire de la cloison interventriculaire chaque fois que la crosse aortique normale vient à faire défaut (Stéphan, 1952).
DISCUSSION
L’un des résultats recherchés au départ de cette étude a été atteint, à savoir la production de malformations vasculaires. Ceci supprime une divergence qui semblait se manifester entre le comportement de l’embryon d’Oiseau d’une part, celui de Batracien et de Mammifère d’autre part. Il reste que le système nerveux du Poulet est peu sensible : très rares spina bifida, occasionnelles microphthalmies entraînant une déviation du bec supérieur.
Les artères voisines du cœur n’ont été touchées que dans des conditions très spéciales, dans le cas où le colorant était appliqué à leur voisinage au cours du 3èmc jour de l’incubation. Le choix du moment joue un rôle important et peutêtre intervient-il de manière assez précise. Chez les 2 embryons représentés, qui ont reçu le bleu trypan respectivement à 55 et 57 heures sous les arcs gauches, l’arc 3 gauche fut atteint. Il a disparu dans un cas, il prend un cours aberrant dans l’autre. Mais l’arc 4 a subsisté et il assure la relève de l’arc carotidien. Chez 2 autres embryons décrits l’arc systémique (4 droit) a régressé à la suite d’un traitement à droite à 65 heures. Les arcs carotidiens par contre se sont maintenus; l’un d’eux fait même office de crosse aortique dans chaque cas. L’arc pulmonaire est toujours resté normal, mais il se développe bien après les autres, au 4ème jour, et aucune intervention n’a été tentée à ce moment. Il y a donc dans certains cas une relation nette entre d’une part le stade et le point d’intervention et d’autre part le type de malformation qui en résulte. Cette relation demande à être confirmée; on peut penser qu’elle n’est pas purement fortuite, même si elle n’apparaît pas nettement dans d’autres expériences. Le cube de gélose se déplace quelquefois, d’autre part il exerce aussi une influence à distance. De toute façon l’effet doit dépendre de la diffusion plus ou moins grande du colorant.
Le mode d’action du colorant paraît se ramener ici à une inhibition de croissance. Mais les parois vasculaires sont encore purement endothéliales au moment du traitement. Peut-être se produit-il une compression du vaisseau, due à un œdème dans le mésenchyme voisin? Il est impossible d’en décider actuellement.
La cœlosomie dans ces expériences serait causée, selon Ancel (1950), par des hémorragies siégeant dans la future paroi ventrale. Mais la lordose et singulièrement sa forme aiguë, la strophosomie, interviennent probablement aussi, car lorsque l’axe de l’embryon plonge dans le vitellus, ses parois latérales se trouvent, par le fait même, rabattues vers le dos. En revanche ces mêmes parois en se refermant dans cette position pourraient amener les embryons lordosiques à la strophosomie. Nous serions donc tentés de croirequelastrophosomieestprimaire, due à la fragilité de l’axe embryonnaire, à un arrêt ou un ralentissement de la prolifération cellulaire auniveaudumésodermeaxial. Le mécanisme ne serait pas sans analogie avec celui que déclenche la colchicine. Cette substance provoque la strophosomie en supprimant la croissance dans la région dorsale où elle est normalement la plus active à 3 jours (Ancel, 1950; Gabriel, 1946). La réduction des régions postérieures de l’embryon est susceptible de la même interprétation.
Ce sont les réactions des embryons les plus jeunes qui étayent ces hypothèses. N’y voit-on pas l’appauvrissement du mésoderme axial en cellules, sans qu’il en résulte une ‘mésodermisation’ comme chez l’Amphibien (Waddington & Perry, 1956)? La chorde reste intacte, aussi épaisse que chez les témoins; les somites gardent leur bilatéralité, mais leur matériel cellulaire se réduit. Quel est le stade sensible? Si l’on se rappelle qu’après l’application de la substance il se forme encore 3 – 6 paires de somites normaux, ce qui prend 3 – 6 heures, alors que le colorant pénètre très vite, on est amené à conclure que les plaques somitiques ne sont pas touchées. Elles ont précisément la longueur de 3 – 6 somites, au moins jusqu’au stade à 12 paires de somites. Ce sont donc les centres somitiques euxmêmes qui sont affectés, étant des centres de multiplication cellulaire intense (Spratt, 1957). Il en résulte des plaques somitiques lâches qui se fragmentent irrégulièrement en somites chétifs. Quant aux œdèmes, ils se développent dans la même région sensible. Ils signaleraient une atteinte plus brutale du mésoderme.
RÉSUMÉ
Des embryons de Poulet furent traités entre 24 et 72 heures d’incubation avec du bleu trypan en solution dans l’eau distillée ou le liquide physiologique, à des doses comprises entre 0,01 et 0,05 mg. de colorant.
Le traitement au deuxième jour produit (à) des œdèmes; (b) des anomalies somitiques consistant en asymétries, réductions de taille, appauvrissement en cellules; et (c) des agénésies de l’extrémité caudale.
Les réductions axiales peuvent s’étendre aux pattes et à la région sacrée, allant jusqu’à la symélie, lorsque le colorant, pris dans un bloc de gélose, a été déposé sur la partie postérieure insegmentée de jeunes embryons.
Les embryons plus âgés ont tous reçu de la gélose au bleu trypan sur leur région pharyngienne. Il en résulte (a) des cœlosomies, (b) des scolioses, lordoses, strophosomies, (c) des anomalies dans la distribution des grosses artères.
II semble que le bleu trypan agisse aux stades jeunes en réduisant la prolifération cellulaire dans le mésoderme somitique. Son mode d’action aux stades avancés est discuté et quelques hypothèses sont proposées.
SUMMARY
Chick embryos were treated, between 24 and 72 hours of incubation, with doses of trypan blue, dissolved in distilled water or physiological saline, of between 0 · 01 and 0 · 05 mg. of the dye.
Treatment on the second day produced (a) oedema, (b) somite anomalies, consisting of asymmetry, reduction in size and number of cells, and (c) agenesis of the caudal extremity.
When the dye was included in a block of agar, and this was placed on the unsegmented posterior part of young embryos (second day), the axial reductions could include the hind limbs and the sacral region, progressing as far as symmelia.
In all older embryos (third day) agar containing trypan blue was placed on the pharyngeal region. There resulted : (a) coelosomy, (b) scoliosis, lordosis and strophosomy, and (c) anomalies in the distribution of the great arteries.
Trypan blue apparently acts on young stages by reducing cellular proliferation in the somitic mesoderm. Its action in later stages is discussed and several hypotheses are proposed.
TRAVAUX CITÉS
EXPLICATION DES PLANCHES
Œdème hémorragique caudal. En lisant les coupes de haut en bas et en commençant par la colonne de gauche, on va de l’extrémité crâniale à l’extrémité caudale de l’œdème. Les coupes sont espacées à 50 μ.