ABSTRACT
The role played by the spinal cord and other tissues in the regeneration of the tail was studied in larval salamanders.
Transverse tail-slices, with or without spinal cord, grafted to the back may undergo a reduction in size, or remain stationary, or even regenerate new structures. A more marked reduction was observed in the despinalized grafts.
After partial amputation of the tail, a despinalization of the stump was performed without injuring the other tissues. In all cases where the absence of the spinal cord was proved histologically, no regeneration of the mesodermal axis occurred. Only a fin-like regenerate without muscles or skeleton appeared at the amputation surface.
Spinal ganglia or brain (telencephalon), substituted for the spinal cord of the tail, were unable to replace it in its inductive action. An increase of the nerve supply, by introducing the two sciatic nerves into the despinalized tail-stump, also had no effect. It seems that the inductive action exerted by the spinal cord on tail regeneration is specific.
The lateral deflexion of the spinal cord was enough to induce a supernumerary tail. If the deflexion was done dorsolaterally, instead of laterally, the induced supernumerary tail formed a half-fin too. Segments of the spinal cord, grafted dorsally or ventrally into the tail-fin, at some distance from the main axis, did not induce any muscular or skeletal structures.
It is believed that the organ district of the tail contains at least two zones of different morphogenetic potencies : one mesodermal, which regenerates the main axis of the organ, under the inductive influence of the spinal cord, and one, derived from the neural crest, which produces, even in the absence of the spinal cord, a fin-like structure.
INTRODUCTION
Chez les Batraciens, le processus de restitution le plus complet apparaît lors de la régénération de la queue, au cours de laquelle l’ensemble du système axial se reconstitue (Stefanelli, 1959). Pourtant, depuis longtemps, seule la régénération caudale des Anoures a été bien étudiée. Celle des Urodèles n’a été l’objet d’une analyse approfondie qu’à une époque récente (Holtzer, 1959). Les processus réparateurs dans les deux groupes d’Amphibiens sont loin d’être identiques. Il y a, en premier lieu, une différence de destinée entre la queue du têtard, organe larvaire disparaissant à la métamorphose, et l’appendice caudal d’une larve de salamandre ou de triton qui, après des remaniements mineurs, s’intégre dans le corps de l’adulte.
La régénération caudale des Anoures est caractérisée par la prépondérance de la croissance chordale qui allonge le régénérât (Needham, 1952). Seules se reforment les parties présentes au niveau d’amputation (Lüscher, 1946).
La situation est moins claire chez les Urodèles où la chorde dorsale, même embryonnaire, ne régénère jamais (Barfurth, 1891; Hadorn, 1952). Elle est remplacée, dans le régénérât, par un axe purement cartilagineux qui se méta-mérise en formant les vertèbres.
Le système nerveux joue un rôle important dans la régénération des vertèbres. Son action, partiellement élucidée en ce qui concerne des organes tels que la patte (Singer, 1954) ou le museau (Vallette, 1929), reste encore très obscure dans le cas de la queue. La présence simultanée de moelle épinière, de ganglions rachidiens et de nerfs, rend la désinnervation complète de la queue malaisée, sinon impossible.
Enfin, l’existence, au sein du territoire caudal, de parties d’origine et de structure diverses (Bijtel, 1958) pose le problème de leur participation respective à l’édification du régénérât.
Nous avons entrepris l’étude de quelques questions concernant la régénération de la queue chez les Urodèles :
La régénération caudale est-elle possible en absence de moelle épinière?
Quel est le rôle joué par la moelle dans les processus régénérateurs de la queue? Peut-on la remplacer dans son action par d’autres éléments du système nerveux?
Quelle est la réponse des différentes régions de la queue à l’induction? Le territoire ‘queue\’ est-il, sur toute son étendue, morphogénétiquement isodyname ?
MATÉRIEL ET TECHNIQUE
Nous avons utilisé au total cent-soixante-neuf larves de Salamandra salamandra Laur. et dix-huit larves de Triturus cristatus Laur. Ces dernières ont été capturées dans l’étang artificiel de l’institut de Zoologie. On ignore leur ascendance et leur âge exact. Les Salamandres, elles, sont nées au laboratoire de femelles portantes provenant du Tessin (Suisse). Chaque femelle peut mettre bas une quarantaine de larves à la fois. Les larves de chaque portée sont élevées ensemble, dans des aquariums en verre dont l’eau est constamment oxygénée par une pompe à aire comprimé. Régulièrement nourries de Tubifex vivants, ces larves atteignent, en une vingtaine de jours, une longueur de corps (longueur totale, moins la queue) de 21 à 25 mm. Elles sont opérées à ce moment-là.
Technique des opérations
La narcose, profonde et prolongée, est obtenue par un séjour de dix minutes dans une solution de 1:5.000 de métacaïne (MS. 222). On opère les animaux, aseptiquement, dans la solution de Holtfreter, additionnée de 50.000 U.I. de pénicilline et de 50 mg. de streptomycine par litre.
La description détaillée des interventions est donnée, au début de chaque paragraphe, dans la partie expérimentale de cette étude. Après l’opération, on maintient les larves sous narcose légère et à une température d’environ +7 degrés, pendant douze heures. Ces précautions postopératoires permettent la consolidation des greffes et réduisent la mortalité.
Les larves opérées sont ensuite transférées dans des cristallisoirs individuels, remplis d’eau ordinaire aérée, gardées à la température de la chambre et nourries de Tubifex.
Les moignons, les régénérais et les greffes sont dessinés, à intervalles réguliers, à la chambre claire et photographiés avant la fixation. Ils sont fixés pendant douze heures au Bouin-Allen et débités en coupes sériées de 10 μ en vue de l’examen histologique. Les colorations suivantes ont été utilisées: Mallory-Azan, trichrome de Gabe et, pour mettre en évidence les fibres nerveuses, l’imprégnation argentique de Bodian.
EXPÉRIENCES
I. Spécificité d’action de la moelle épinière
1. Greffes de queue sur le dos
Il nous a semblé que la méthode la plus simple, pour étudier les potentialités morphogènes de la queue et les facteurs qui influent sur sa régénération, était la transplantation de cet organe à un endroit neutre.
Après l’amputation de l’extrémité caudale, nous prélevons dans la queue deux tranches, d’une épaisseur de trois millimètres, et nous les greffons sur le dos du même animal (fig. 1 a). L’une des autogreffes est despinalisée. On enlève la portion de la moelle épinière qu’elle contient, en passant une aiguille de verre à travers son canal rachidien. La moelle est conservée dans l’autre tranche, qui sert ainsi de témoin.
Schéma des opérations: a, greffe de tranches de queue normales ou despinalisées sur le dos. b, despinalisation et greffe du télencéphale dans le canal rachidien évidé. c, irradiation localisée (hâchure) des pattes postérieures, d, incorporation des pattes irradiées (hâchure) dans le moignon caudal despinalisé, non irradié. En noir, la moelle et les nerfs spinaux, e, technique de la despinalisation et de la déviation latérale de la moelle restante, f, le fragment de moelle extirpé est divisé en deux, g, chacune des parties de la moelle est greffée dans la nageoire caudale (flèches) de la queue despinalisée.
Schéma des opérations: a, greffe de tranches de queue normales ou despinalisées sur le dos. b, despinalisation et greffe du télencéphale dans le canal rachidien évidé. c, irradiation localisée (hâchure) des pattes postérieures, d, incorporation des pattes irradiées (hâchure) dans le moignon caudal despinalisé, non irradié. En noir, la moelle et les nerfs spinaux, e, technique de la despinalisation et de la déviation latérale de la moelle restante, f, le fragment de moelle extirpé est divisé en deux, g, chacune des parties de la moelle est greffée dans la nageoire caudale (flèches) de la queue despinalisée.
Chaque greffe est simplement insérée, sans points de suture, dans une fente pratiquée sur le dos, de part et d’autre de la ligne médiane, un peu en arrière des membres antérieurs. Les surfaces d’amputation des deux tranches de queue sont identiques, seule la moelle épinière, présente dans l’une, absente dans l’autre, fait exception.
Nous avons pratiqué cette transplantation, unilatérale ou bilatérale, sur quarante-neuf animaux. Au total, trente-six greffes ont été retenues assez longtemps pour être prises en considération : quatorze témoins avec moelle épinière et vingt-deux despinalisées. Elles peuvent être classées, selon leur évolution, en trois catégories: (1) croissance et régénération des transplants; (2) greffes stationnaires; (3) régression des greffons, pouvant aller jusqu’à disparition complète. Les pourcentages sont indiqués dans le tableau 1.
De toute évidence, une tranche de queue greffée sur le dos, qu’elle soit despinalisée ou non, peut régénérer, rester stationnaire ou s’atrophier. Néanmoins, il y a une nette différence dans les pourcentages de croissance ou de régression, entre les transplants qui ont une moelle et ceux qui en sont dépourvus; les premiers sont favorisés. La fig. 2 illustre ce fait. Au début, la greffe despinalisée, celle de droite, était plus volumineuse que la greffe témoin. Vingt jours plus tard, elle a notablement régressé, tandis que l’autre, tout en conservant sa taille, a régénéré une petite queue. La moelle épinière, indépendamment de son rôle morphogène, exerce sur les tissus transplantés une action conservatrice, trophique. Un fait analogue s’observe lors de la régénération de la patte pendant la période larvaire. Le nerf induit la formation d’un blastème et arrête ainsi, indirectement, la dédifférenciation et la régression du moignon (Schotté & Butler, 1941). Il est possible que la moelle épinière et, dans une moindre mesure, les constituants nerveux agissent de la même façon sur la queue.
Évolution de deux tranches de queue, greffées sur le dos. A gauche: tranche normale; à droite: tranche despinalisée. En pointillé: le régénérât. Les dates sont indiquées par les chiffres (jour, mois). Dessins à la chambre claire × 5,5.
Dessins à la chambre claire des structures régénérées après irradiation des pattes postérieures et leur incorporation dans un moignon caudal despinalisé. a, vue dorsale (cf. Planche 1, fig. 10) d’un cas avec régénérais du type nageoire sur un plan frontal, b, un autre cas vu de profil (cf. Planche 1, fig. 9). Le régénérât du type nageoire est ici oblique, nd, nageoire dorsale. PD-PG, pattes droite-gauche, cl, cloaque. En pointillé, le régénérât.
Dessins à la chambre claire des structures régénérées après irradiation des pattes postérieures et leur incorporation dans un moignon caudal despinalisé. a, vue dorsale (cf. Planche 1, fig. 10) d’un cas avec régénérais du type nageoire sur un plan frontal, b, un autre cas vu de profil (cf. Planche 1, fig. 9). Le régénérât du type nageoire est ici oblique, nd, nageoire dorsale. PD-PG, pattes droite-gauche, cl, cloaque. En pointillé, le régénérât.
L’observation par transparence et l’examen histologique des dix greffes ayant présenté une croissance régénérative révèlent les particularités suivantes dans la structure des régénérats :
Les transplants avec moelle donnent naissance à des régénérats de queue typiques, possédant deux nageoires et un axe squelettique et musculaire (Planche 1, fig. 6). Toutefois ces formations n’atteignent jamais la taille du régénérât caudal in situ.
Les greffons despinalisés forment des excroissances moins étendues, sans muscles ni squelette, constituées uniquement de tissu analogue à celui des nageoires (Planche 1, fig. 5).
Conclusion
Une tranche de queue greffée sur le dos régénère des structures caudales. Ce sont, soit de petites queues complètes, soit, en absence de moelle épinière, des organes caudiformes sans axe mésodermique.
En plus de son action morphogène, la moelle favorise le maintien et la croissance des greffons. Mais les régénérais, quels qu’ils soient, restent petits et les greffes peuvent présenter un état stationnaire et même une involution. Les conditions optimales nécessaires au développement du greffon, sont donc loin d’être réalisées.
2. Despinalisation de la queue in situ
Les aléas que présente la transplantation nous ont amené à pratiquer la suppression de la moelle épinière dans la queue in situ. La technique de l’opération laisse intacts la structure et les rapports fonctionnels du moignon caudal.
La queue est amputée transversalement à une distance de 10 mm. du cloaque. On pratique ensuite, à 3 mm. de la plaie, une petite ouverture latérale au niveau de la colonne vertébrale et, avec un scalpel très fin, on sectionne la moelle épinière. En faisant passer, à travers cet orifice, dans le canal rachidien, une aiguille de verre convenablement calibrée et courbée, on pousse vers l’extérieur le segment isolé de la moelle (fig. le). On introduit alors dans la fente latérale un fragment de peau, sorte de bouchon qui empêchera la régénération de la moelle à l’intérieur du canal rachidien évidé. Le moignon caudal ainsi préparé possède intacts tous les éléments de la queue, mais il est dépourvu de moelle épinière sur une longueur d’environ quatre vertèbres.
Sur soixante-quinze larves opérées et ayant survécu, neuf seulement ont présenté une régénération de la moelle à travers le moignon despinalisé. Les despinalisations permanentes, vérifiées histologiquement, sont au nombre de soixante-six (88 pour cent).
La régénération d’une queue typique dans ces soixante-six cas a toujours fait défaut. Seul un organe caudiforme a été formé. Tandis qu’extérieurement il simule un régénérât caudal de petite taille (Planche 1, fig. 7, 8), sa structure interne est semblable à celle d’une nageoire. Il est totalement dépourvu de musculature métamérique et de cartilages vertébraux (Planche 3, fig. 25). Par contre, il possède une riche vascularisation et des fibres nerveuses y pénètrent et le parcourent (Planche 3, fig. 22).
Dans une note précédente (Kiortsis, Uehlinger, & Droin, 1959), nous avons étudié la croissance de ces organes caudiformes, en la comparant à celle des régénérais normaux. Il ressort de cette étude que les régénérais hypotypiques des queues despinalisées présentent des courbes de croissance, en longueur et en volume, en tous points analogues à celles des normaux. Seul le taux de croissance de ces derniers est deux fois plus grand.
Nous nous sommes demandé si ces formations qui sont, malgré tout, de véritables régénérais représentaient des queues hypotypiques, dont la différenciation interne a avorté par manque d’innervation adéquate, ou si elles résultaient de la croissance simultanée et de la fusion des deux nageoires.
En observant les premiers stades de la régénération après amputation, on est enclin à admettre la première de ces hypothèses. En effet, le blastème régénérateur apparaît sur toute la surface de la plaie et rien ne distingue un très jeune régénérât de queue despinalisée d’un autre, formé sur une queue normale. Mais, pour des raisons que nous exposerons plus loin, cette hypothèse doit être rejetée. Ce sont les tissus des nageoires, et eux seuls, qui sont à l’origine de ces organes caudiformes, nés sur une queue despinalisée.
3. Régénération caudale en présence des ganglions rachidiens
Après despinalisation du moignon caudal, par évidement du canal rachidien, les nerfs, coupés de leurs connexions centrales, subissent la dégénérescence wallérienne. Seuls les ganglions rachidiens, isolés mais contenant des neurones, survivent. Nous avons constaté leur présence, au voisinage immédiat du niveau d’amputation, dans plus d’un cas. Deux à trois mois après la despinalisation, l’apparence de ces ganglions est restée saine. Ils émettent parfois des faisceaux de fibres qui se dirigent vers le régénérât (Planche 2, fig. 12). Mais, malgré cette innervation, le régénérât est un organe caudiforme, sans axe squelettique et sans musculature. Les ganglions rachidiens et leurs fibres n’ont pu remplacer la moelle épinière dans son action inductrice. C’est le contraire de ce qui se passe dans la patte désinnervée, dont Kamrin & Singer (1959) ont restitué les potentialités régénératives par implantation d’un ganglion spinal.
Nos observations ruinent complètement l’ancienne hypothèse de Locatelli (1929) selon laquelle la régénération de la queue se ferait par le truchement des ganglions rachidiens, eux-mêmes régénérés à partir de la moelle.
4. Transplantation de cerveau dans une queue despinalisée
La seule réserve à faire aux conclusions du paragraphe précédent serait que les ganglions rachidiens, restés en place après la despinalisation, représenteraient une source d’innervation quantitativement inadéquate pour assurer, à elle seule, le rôle inducteur, normalement joué par la moelle épinière dans la régénération caudale.
Nous avons alors cherché à substituer à la moelle une masse suffisante de tissu cérébral. Nous avons transplanté du télencéphale dans le canal rachidien, préalablement évidé. Pour cela, on dénude la partie rostrale du crâne et on ouvre la voûte crânienne, juste au-dessus du lobe olfactif gauche. Une large portion du télencéphale gauche est ensuite prélevée et greffée sur le moignon caudal despinalisé du même animal (fig. 1b).
Nous avons effectué vingt et une opérations de cette sorte. Sur les dix-sept cas examinés histologiquement, nous avons pu retrouver des fragments de cerveau greffé, dans sept moignons de queue despinalisée. L’état de ces transplants cérébraux, deux mois après l’intervention, est excellent. Leur taille varie entre 600 et 1.800 μ. Les cellules et les fibres semblent saines. Il y a de nombreuses mitoses et des faisceaux de fibres nerveuses sortent des greffons en direction du niveau d’amputation. Le plus souvent, la greffe télencéphalique est libre dans le mésenchyme caudal et forme un ou deux amas sphériques ou plurilobés contenant des cellules nerveuses et des fibres. Dans un cas, le transplant est enkysté et dans un autre il est dissocié en plusieurs fragments de taille inégale. Même dans ces cas, on n’observe aucune altération cytologique apparente (Planche 2, figs. 13,14, 15).
Malgré l’état sain des greffes cérébrales, on n’assiste jamais à une induction d’axe caudal, à moins qu’une régénération consécutive de la moelle épinière du moignon ait eu lieu. Le tissu télencéphalique s’avère donc incapable de suppléer à l’absence de la moelle épinière dans la régénération caudale.
5. Introduction des deux nerfs sciatiques dans la queue despinalisée
Si la moelle épinière agit sur la régénération caudale par l’importance quantitative de ses fibres nerveuses, on doit, en principe, obtenir un résultat identique en remplaçant les fibres de la moelle par d’autres provenant, par exemple, des nerfs sciatiques. Cette condition est réalisée quand on dévie un nerf sciatique dans le territoire caudal. Mais, on pourrait objecter qu’un seul nerf sciatique n’apporte pas suffisamment de fibres nerveuses pour suppléer avec succès à l’absence totale de la moelle épinière. Pour répondre à cette objection, nous avons réalisé une série d’artifices expérimentaux.
Dans un premier temps, les pattes postérieures seules sont irradiées avec une dose totale de rayons X de 1.000 r. environ (Tube Westinghouse, 70 kV., 19 mA., distance du foyer 43 cm., dose 90 r./minute). Cette dose suffit généralement pour inhiber la régénération des pattes (voir Luther, 1948, et nos témoins) (fig. le).
Après un laps de temps de sept jours, pour permettre aux animaux irradiés de surmonter la période inflammatoire initiale, on ampute la queue à une distance de 5 mm. du cloaque et on despinalise le moignon sur une longueur de 3 mm. On pratique ensuite deux profondes gouttières sur les flancs de ce moignon despinalisé et on y insère les deux pattes postérieures irradiées, en dénudant leurs faces internes et en exposant les nerfs sciatiques sur presque toute leur longueur (fig. Id). Les deux pattes, amputées au niveau du zeugopode, et le moignon caudal sont maintenus ensemble, pendant vingt-quatre heures, par une ligature au fil de nylon; quand la ligature est enlevée, pattes et queue forment un tout et les deux nerfs sciatiques pénètrent dans les tissus de la queue despinalisée.
La mortalité fut assez élevée. Sur vingt-sept animaux ainsi opérés, onze seulement ont survécu assez longtemps pour être inclus dans cette étude. Deux d’entre eux ont présenté une régénération de la moelle épinière, qui eut pour conséquence la reconstitution de l’axe caudal. Tous les autres, chez lesquels la présence des deux nerfs sciatiques réunis a été vérifiée histologiquement, ont été incapables d’une véritable morphogenèse. Nous n’avons observé qu’une prolifération du conjonctif des nageoires, dont la structure est analogue à celle que nous avons constatée lors d’une simple despinalisation de la queue (Planche 2, fig. 16). Seul l’aspect extérieur de ces régénérats caudiformes est différent: le tissu des nageoires s’étend sur les moignons des pattes irradiées et forme des lames disposées sur un plan frontal ou oblique (fig. 3a, b, dans le texte; Planche 1, figs. 9, 10). L’ensemble donne au train postérieur de l’animal l’apparence d’une ‘queue d’avion’.
Cette prolifération préférentielle du tissu des nageoires au niveau des membres postérieurs irradiés, remplacée par une régénération normale des pattes chez les témoins non irradiés, doit être en rapport avec la présence, au voisinage, d’une riche innervation. Chaque fois qu’on met en contact du tissu caudal avec un nerf, on observe une prolifération semblable. Que ce soit la greffe de peau de queue au niveau de la patte ou la déviation d’un nerf sciatique vers le flanc de la queue (Guyénot & Ponse, 1930; Bovet, 1930), le résultat est toujours le même : formation d’un organe caudiforme du type ‘nageoire’, dépourvu de squelette et de musculature.
Nous pensons que la régénération normale des nageoires doit être favorisée, sinon absolument conditionnée, par le système nerveux périphérique, les fibres nerveuses qui, nous l’avons vu, pénètrent profondément dans de tels régénérats.
Conclusion
L’ensemble de ces expériences montre que l’absence locale de la moelle épinière arrête la prolifération des tissus de la queue, à l’exception de la nageoire, et empêche la formation d’un régénérât caudal typique. Tout essai de substituer à la moelle épinière d’autres éléments nerveux s’est soldé par un échec. Les ganglions rachidiens, le cerveau (télencéphale) et les deux nerfs sciatiques réunis ont été incapables d’induire quoi que ce soit dans une queue despinalisée. L’action de la moelle épinière dans la régénération caudale semble spécifique.
II. Spécificité des zones du territoire ‘queue ’
1 Déviation de la moelle épinière
Quand on fait la despinalisation du moignon caudal, il est facile de dévier et de faire sortir vers l’extérieur l’extrémité de la moelle épinière restante (fig. le). De cette façon, d’une part on empêche toute pénétration tardive de la moelle dans le canal rachidien évidé et, d’autre part, on crée un nouveau centre de prolifération et de croissance régénérative, par un mécanisme analogue à celui qu’amorce la déviation d’un nerf dans le territoire ‘patte’. Le résultat en est l’apparition d’une queue latérale surnuméraire.
Nous avons obtenu, en tout, vingt-six de ces formations que nous avons réparties en deux groupes: queues latérales (22 cas) et queues dorso-latérales (4 cas).
Par son aspect extérieur une queue latérale rappelle un axe caudal, entouré de peau, sans trace de nageoire. C’est une excroissance cylindrique, plus ou moins allongée, dont l’extrémité se termine en pointe (Planche 1, fig. 8; Planche 3, fig. 18). L’examen histologique confirme ces observations. En coupe transversale on voit, au centre, l’axe cartilagineux surmonté de la moelle régénérée. Des muscles métamériques sont disposés en cercle autour des organes axiaux. Il n’y a pas trace de nageoire (Planche 3, fig. 24). Sur des coupes frontales ou sagittales, on voit la métamérisation du cartilage vertébral, l’absence totale de restes de chorde dorsale à son intérieur, ce qui indique une néoformation, et, enfin, la moelle épinière du régénérât qui n’est que la continuité de la moelle ancienne (Planche 3, fig. 21). Dans quelques cas, on voit même des ganglions spinaux régénérés.
Partout la queue latérale prend naissance en plein dans l’axe de la queue normale, à mi-chemin entre les nageoires, dorsale et ventrale.
Les queues dorso-latérales résultent d’une déviation de la moelle en direction légèrement dorsale. En réalité, toutes les opérations ont été effectuées de la même façon. L’ouverture latérale un peu plus étendue a permis un déplacement du bourgeon vers le dos. Il se forme un axe caudal typique, analogue à celui que nous venons de décrire, surmonté d’une hémi-nageoire caudale surnuméraire (Planche 3, figs. 19, 20).
La fig. 4 représente l’évolution d’un tel régénérât. De même, une coupe, passant à travers la queue despinalisée in situ et la queue surnuméraire latérale, montre bien les rapports anatomiques et la structure histologique de ces formations (Planche 3, fig. 23).
Évolution d’une queue despinalisée avec déviation dorso-latérale de la moelle restante. En pointillé: régénérât de nageoire, sans axe musculo-squelettique. Le régénérât dorso-latéral contient des vertèbres et de la musculature et développe une nageoire surnuméraire, mais seulement du côté dorsal.
Évolution d’une queue despinalisée avec déviation dorso-latérale de la moelle restante. En pointillé: régénérât de nageoire, sans axe musculo-squelettique. Le régénérât dorso-latéral contient des vertèbres et de la musculature et développe une nageoire surnuméraire, mais seulement du côté dorsal.
Pour des raisons techniques, nous n’avons pas pratiqué la déviation ventrolatérale de la moelle; le point à atteindre, c’est-à-dire la limite entre la zone axiale de la queue et la nageoire ventrale, étant assez éloignée de l’emplacement du canal rachidien.
Tandis que, dans toutes sortes d’opérations intéressant le territoire caudal, la nageoire est la formation la plus fréquemment réalisée, l’apparition d’unehémi-nageoire n’a été observée ici que dans quatre cas sur vingt-six. L’axe caudal, partie médiane de la queue, semble donc posséder des potentialités morphogènes limitées. A ce niveau, l’induction exercée par la moelle épinière provoque uniquement la formation d’un axe caudal surnuméraire.
2. Greffe de moelle dans la nageoire caudale
Si l’axe caudal a des potentialités morphogènes limitées, qu’en est-il de la région des nageoires? Pour répondre à cette question, nous avons pratiqué l’opération suivante:
Après despinalisation du moignon caudal (fig. le), le fragment de la moelle épinière, sorti du canal rachidien, est coupé en deux (fig. If) et chaque portion est introduite dans les nageoires, dorsale et ventrale, du moignon, selon une technique inspirée par celle de Weiss (1950). Les deux fragments de moelle sont disposés parallèlement à l’axe caudal, mais aussi éloignés de lui que possible (fig. 1g). On obtient ainsi des queues, dont l’axe est despinalisé et dont les deux nageoires sont munies chacune d’un fragment de moelle épinière, qui devrait créer à son niveau des centres de prolifération, d’autant plus facilement que la despinalisation de l’axe, en inhibant sa propre régénération, laisse le champ libre de toute concurrence. Nous avons opéré de la sorte au total vingt-cinq larves (dix de Salamandra et quinze de Triturus cristatus) dont vingt-trois ont pu être conservées jusqu’à la métamorphose. Malgré les différentes orientations des greffons de moelle (antéro-antérieure, antéro-postérieure, dorso-dorsale, dorso-ventrale) nous n’avons jamais observé la moindre induction d’axe caudal.
Dans un cas, il s’est formé au niveau de la greffe supérieure une protubérance digitée. Mais l’examen histologique a révélé que sa structure était purement conjonctive, sans trace d’organisation à son intérieur. Nous avons examiné histologiquement tous ces moignons de queue. Les greffons de moelle, qui étaient visibles par transparence chez la larve, ont subi le contre-coup de l’involution générale des nageoires caudales, involution consécutive à la métamorphose. Sur les coupes, on les retrouve comme des amas cellulaires allongés présentant les signes d’une dégénérescence pigmentaire prononcée. En face de la moitié ventrale (motrice) des transplants de moelle, le tissu conjonctif lâche de la nageoire présente une certaine condensation fibrillaire, d’ailleurs peu importante, visible surtout par une couleur bleue marquée, après coloration au Mallory-Azan. Mais il n’y a jamais de véritable organogenèse : pas de cartilage, pas de muscles métamériques, pas de ganglions. On a l’impression que la moelle épinière greffée a exercé au maximum son action inductrice, mais que le terrain lui était peu favorable.
Conclusion
Les déviations dorsales et dorso-latérales de la moelle épinière au niveau de l’axe caudal et la greffe de moelle épinière dans les nageoires, dorsale et ventrale, montrent que toutes les parties de la queue ne réagissent pas de la même façon à l’action inductrice de la moelle.
On peut distinguer, selon la réponse morphogénétique, deux zones dans le territoire ‘queue’. Une zone centrale, l’axe caudal, qui régénère, sous l’impulsion de la moelle épinière, la colonne vertébrale et la musculature métamérique, et une zone périphérique, les nageoires, qui peuvent se reconstituer et s’allonger même sans la moelle (mais probablement pas en l’absence de tout élément nerveux).
A la spécificité inductrice de la moelle épinière correspond une spécificité organoformatrice des zones du territoire ‘queue’.
Addendum
Phénomènes d’histotropisme. Au cours de ces expériences, nous avons eu l’occasion d’observer des phénomènes d’histotropisme, c’est-à-dire d’affinité entre éléments tissulaires appartenant au système nerveux.
Les fragments de cerveau greffés montrent une certaine affinité entre eux. Ils sont souvent réunis par des ponts de fibres nerveuses. Par contre, on ne constate aucune attraction réciproque entre transplants de cerveau et moelle épinière. Cette dernière semble polarisée en direction postérieure; elle peut passer au cours de sa croissance régénérative à côté d’une greffe de cerveau sans qu’il s’établisse la moindre connexion entre ces deux parties du système nerveux central.
La situation est tout autre entre moelle épinière et ganglions nerveux qui présentent une affinité qui peut, parfois, prendre des proportions extraordinaires. Dans les moignons despinalisés, les ganglions persistent isolés. Dans un cas, l’un d’entre eux s’est mis en rapport avec la moelle épinière régénérée de la queue latérale. Le chemin parcouru par les fibres reliant ce ganglion à la moelle est long (Planche 2, fig. 17) et s’élève à environ 4.920 p. Ce pont fibrillaire est jalonné de deux condensations cellulaires (ganglions de relais ?). Il faut remarquer que l’orientation des fibres nerveuses sortant du ganglion ancien a été inversée pour que ces dernières puissent rencontrer, après un long parcours, la nouvelle moelle épinière.
DISCUSSION
Trois problèmes majeurs se posent lors de l’étude de la régénération caudale des Urodèles:
Le mécanisme d’apparition et de différenciation du régénérât.
Le rôle inducteur joué par le système nerveux.
Les potentialités morphogènes des tissus induits.
(a) Apparition et différenciation du régénérat
La modalité de la mise en place des ébauches, au cours de la régénération caudale, est encore un sujet de controverse. Selon une première hypothèse (Nicholas, 1955), chaque partie du moignon produirait, par croissance continue, les tissus correspondants du régénérât, selon le principe similia similibus. Si un élément de la queue vient à manquer, la partie homologue du régénérât fera obligatoirement défaut. L’intégrité de la surface d’amputation est la condition sine qua non d’une régénération caudale complète.
Une seconde hypothèse postule la formation préalable d’un blastème indifférencié pluripotent, à partir duquel se différencieraient les tissus du régénérât (S. Holtzer, 1956).
Il y a, enfin, une position intermédiaire selon laquelle, outre un blastème mésodermique aux potentialités morphogènes limitées, il y aurait des parties formées directement par leurs équivalents contenus dans le moignon (Newth, 1958; H. Holtzer, 1959).
La première de ces hypothèses semble maintenant, du moins dans son expression la plus stricte, infirmée par une série d’expériences et d’observations. La chorde dorsale, dont il reste dans le moignon d’importantes portions, ne se prolonge jamais dans le régénérât (Barfurth, 1891; H. Holtzer, S. Holtzer & Avery, 1955). Le squelette vertébral cartilagineux peut se former en l’absence du squelette ancien (H. Holtzer, 1959). Les ganglions spinaux et les nerfs se reconstituent de novo à partir de la moelle épinière (Stefanelli & Capriata, 1944).
L’hypothèse du blastème a été formulée par analogie avec la régénération de la patte. Elle aussi ne semble pas entièrement satisfaisante.
La moelle épinière du régénérât dérive directement de celle du moignon par extension et prolifération cellulaire. Certaines parties, comme les nageoires, se reconstituent de façon indépendante et ne se forment pas aux dépens du blastème mésodermique de l’axe caudal (Newth, 1958 et nos propres expériences).
On est donc amené à considérer la troisième hypothèse comme la plus conforme aux faits.
(b) Le rôle du système nerveux
L’action inductrice de la moelle épinière sur le régénérât caudal, implicitement reconnue par Godlewski (1928) et Okada (1938), a été démontrée par H. Holtzer (1955) et ses collaborateurs; sans moelle épinière, il n’y a pas de régénération d’axe caudal.
La validité de cette proposition semble contestée par les expériences deLiosner et Woronzowa (1937), de Trampusch (1958) et de Glade (1957). H. Holtzer, dans une publication récente (1959) réfute ces arguments. Nous pensons que les expériences rapportées ici confirment pleinement les vues de Holtzer.
Il faut souligner que les auteurs qui prétendent avoir obtenu des régénérais complets sans moelle épinière ont toujours transplanté certains tissus de la queue en position hétérotopique, le plus souvent sur la patte amputée. Or, nous avons vu les aléas que présente la transplantation hétérotopique. Il est peu probable que le fait de greffer ces tissus à un autre endroit qu’à leur emplacement normal leur confère des qualités morphogènes qu’ils sont incapables de montrer in situ. Il est plus plausible d’admettre, soit une inclusion fortuite de fragments de moelle dans les greffons, ce qui fut effectivement le cas dans les expériences de Trampusch, soit une homologation erronée des éléments squelettiques du régénérât. La succession du carpien, du métacarpien et des phalanges d’un seul doigt peut simuler l’aspect des cartilages métamériques d’une colonne vertébrale en voie de régénération.
Si la moelle épinière est indispensable à la régénération de l’axe caudal, quelle est la nature de son action?
On pourrait envisager une action non spécifique de la moelle en tant que tissu nerveux émettant des fibres. Cette hypothèse nous a été suggérée par les observations de Guyénot et de son école et par celles, plus récentes, de Singer (1954) sur la régénération de la patte. Dans ce cas, le moignon doit contenir un certain nombre de fibres nerveuses pour régénérer. Au-dessous d’un seuil inférieur quantitatif, le blastème régénérateur ne se constitue plus. L’action du système nerveux est, dans ce cas, banale, non spécifique, puisqu’on peut obtenir, soit, avec le même nerf, les structures les plus diverses, selon le territoire excité (Guyénot & Schotté, 1926; Bovet, 1930), soit la formation d’une patte grâce à une innervation différente, par exemple, celle de la queue. L’expérience réciproque, greffe de tissu caudal sur le membre amputé, ne donne que des organes caudiformes (Guyénot & Ponse, 1930). Ce dernier résultat pourrait être attribué, a priori, non pas à l’incapacité fondamentale du système nerveux périphérique d’induire un blastème caudal, mais à l’insuffisance quantitative de l’innervation fournie par une seule patte. Afin d’éliminer cette dernière objection, nous avons introduit dans la queue despinalisée in situ l’innervation des deux membres postérieurs, eux-mêmes préalablement irradiés, pour empêcher leur régénération concurrentielle. Nous savons que l’augmentation du nombre des fibres nerveuses au-dessus de la normale peut stimuler la croissance de tissus habituellement réfractaires (Singer, 1954). Mais, malgré la présence de toutes ces conditions favorables, l’apparition d’un axe caudal a toujours fait défaut.
Si les fibres nerveuses seules ne peuvent induire la régénération de la queue, on pourrait supposer que la moelle épinière partage au moins cette propriété avec les autres parties du système nerveux central, contenant des neurones. En réalité, il n’en est rien. Nous avons montré que la présence des ganglions rachidiens dans le moignon despinalisé ne suffit pas à assurer la régénération complète de la queue. Au contraire, dans la patte, l’induction d’un blastème peut se faire par un ganglion spinal greffé dans le moignon (Kamrin & Singer, 1959).
Le cerveau pourrait-il remplacer la moelle épinière dans son action? Nous avons greffé le télencéphale dans la queue despinalisée. Malgré le bon état des transplants qui présentaient des cinèses et émettaient des fibres vers la surface d’amputation, il n’y a jamais eu, à leur voisinage, formation d’axe caudal.
Une certaine polarisation de la moelle épinière serait-elle responsable de son effet inducteur? C’est à dessein que nous avons utilisé pour nos greffes les lobes olfactifs, fragments du système nerveux central également polarisés. Le résultat, nous l’avons vu, est négatif. D’ailleurs, l’induction par un fragment de moelle se manifeste aux deux extrémités, s’il y a deux surfaces d’amputation (S. Holtzer, 1956).
En définitive, l’induction de l’axe caudal est l’apanage exclusif de la moelle épinière. C’est la moitié ventrale, motrice, de la moelle qui en est seule responsable (H. Holtzer, 1959). Le lobe olfactif du cerveau et les ganglions rachidiens, centres sensitifs, ainsi que les nerfs périphériques, sont incapables de se substituer à l’action de la moelle, qui semble donc spécifique.
(c) Les potentialités morphogènes des zones du territoire caudal
Si le territoire ‘queue’ était isodyname sur toute son étendue, la moelle épinière, qui en est l’inducteur spécifique, devrait pouvoir induire partout un régénérât caudal complet. Or, nous avons vu que ce n’est pas le cas. Avec les éléments mésodermiques du milieu de la queue, la moelle détermine la formation d’un axe caudal surnuméraire, et ceci dans des conditions expérimentales variées : déviation (Kiortsis & Droin, 1958; H. Holtzer, 1959), greffe (S. Holtzer, 1956) ou stimulation après irradiation (Brunst, 1950, 1952). La même moelle, greffée seule dans la région des nageoires, se montre incapable d’induire des structures semblables (Overton, 1950, S. Holtzer, 1956). Enfin, si l’extrémité de la moelle déviée aboutit à la limite entre les deux régions, on observe l’apparition d’organes mixtes, véritables chimères de nageoire et de l’axe caudal.
On pourrait objecter que les formations mixtes, obtenues lors d’une déviation dorso-latérale de la moelle, résultent simplement d’un élargissement de la plaie en direction dorsale. Ce serait un argument en faveur de la théorie qui admet que seules les parties présentes à la surface d’amputation régénèrent. Toutefois dans les expériences de Luther (1948) et de Trampusch (1958), on trouve des cas où l’axe caudal, ayant été entouré d’un manchon de peau neutre, a régénéré une queue avec des nageoires, qui sont sans rapport de continuité avec les anciennes et plus étendues que la surface de section. Manifestement, dans le manchon, on a enveloppé avec l’axe des éléments cellulaires, appartenant à la zone des nageoires. Par la suite, ces éléments ont formé des nageoires aplaties qui ne sont pas limitées par la surface circulaire d’amputation.
La nature des organes caudiformes formés après déviation d’un nerf au sein du territoire ‘queue’ (Guyénot & Schotté, 1926; Bovet, 1930) ou après transplantation de tissus de ce territoire au niveau de la patte (Guyénot & Ponse, 1930) est élucidée. Ces formations résultent d’une part de processus réparateurs du squelette et de la musculature lésés, d’autre part d’une prolifération régénérative du flanc du territoire ‘queue’. On ne pourrait les considérer comme des organes hypotypiques, dus à une innervation insuffisante, puisque l’énorme apport de fibres nerveuses des deux nerfs sciatiques réunis n’ajoute rien à leur structure, purement conjonctive. D’ailleurs, si les régénérats du type ‘nageoire’ résultaient d’une diminution progressive de l’innervation, on devrait s’attendre à voir les queues latérales surnuméraires se terminer par un aplatissement; or, elles sont toujours terminées en pointe.
L’ensemble de ces faits indique que le territoire ‘queue’ se divise en deux zones, à potentialités morphogènes distinctes. Chacune de ces zones a une origine embryologique différente: l’axe caudal est purement mésodermique, tandis que la nageoire dérive des crêtes neurales (Newth, 1958; Bijtel, 1958). Les éléments de ces dernières sont impropres à la chondrification et à la squelettogenèse (E. W. Okada, 1955).
En définitive, la zone de l’axe caudal forme, sous l’induction de la moelle, un blastème qui se différencie par la suite en cartilages et muscles métamérisés. La zone de la nageoire régénère, par extension ou par blastème, une lame de conjonctif. C’est la croissance simultanée et harmonieuse des deux zones qui produit un régénérât normal de queue.
RÉSUMÉ
L’autogreffe de tranches de queue sans moelle sur le dos et la despinalisation du moignon caudal in situ ne sont suivis d’aucune néoformation squelettique ou musculaire. Il apparaît, à la surface d’amputation, un régénérât conjonctif, du type ‘nageoire’.
Seule la moelle épinière est capable d’induire l’axe caudal. Ni les deux nerfs sciatiques, ni les ganglions rachidiens restés en place, ni le télencéphale greffé, ne sont en mesure de se substituer à la moelle, dans son action inductrice. Son effet sur la régénération caudale semble spécifique.
La déviation latérale de la moelle produit des queues surnuméraires composées, soit exclusivement d’axe caudal, soit, si la déviation est faite en direction dorsale, d’un axe surmonté d’une nageoire. La greffe de segments de moelle dans les tissus mêmes des nageoires n’induit pas, à ce niveau, la formation de fragments squelettiques ou musculaires. Il faut donc, pour la régénération complète de la queue: (à) la moelle, (b) des éléments mésodermiques de l’axe, et (c) des cellules de la région des nageoires, dérivées de la crête neurale.
Le territoire ‘queue’ se compose de deux zones ayant des origines et des potentialités morphogènes distinctes: une zone centrale, produisant l’axe musculo-squelettique et une zone périphérique, formant des nageoires.
REMERCIEMENTS
Nous remercions notre Maître, le Professeur E. Guyénot, pour son aide généreuse, ses conseils précieux et ses critiques judicieuses.
Nous remercions également le Curatorium de la Donation Georges et Antoine Claraz qui a financé cette recherche, la maison Sandoz S.A. de Bâle qui a mis gracieusement à notre disposition l’anesthésique MS. 222 et Madame Lazard, du Laboratoire d’Embryologie du Collège de France, pour la formule du colorant trichrome de Gabe.
TRAVAUX CITÉS
EXPLICATION DES PLANCHES
Fig. 5. Tranche de queue despinalisée, greffée sur le dos. Régénérât sans squelette, sans muscles.
Fig. 6. Tranche de queue normale (avec moelle) greffée sur le dos. Axe musculo-squelettique visible par transparence dans le régénérât.
Fig. 7. Queue despinalisée in situ. Régénérât du type ‘nageoire’, bien vascularisé, sans axe musculo-squelettique. Les flèches indiquent le niveau d’amputation.
Fig. 8. Despinalisation de la queue in situ et déviation latérale de la moelle épinière. Régénérât du type ‘nageoire’ au niveau d’amputation (flèches), ql, petite queue latérale, cylindrocônique, sans nageoires, née sur déviation.
Figs. 9 et 10. Structures régénérées après irradiation des pattes postérieures, amputation et incorporation dans le moignon caudal, préalablement despinalisé (cf. fig. 3 dans le texte).
Fig. 9. Un cas vu de profil. Régénérât oblique de type ‘nageoire’.
Fig. 10. Un autre cas vu de dos. Régénérât frontal de type nageoire.
Figs. 5 à 9, photographies non retouchées.
Fig. 5. Tranche de queue despinalisée, greffée sur le dos. Régénérât sans squelette, sans muscles.
Fig. 6. Tranche de queue normale (avec moelle) greffée sur le dos. Axe musculo-squelettique visible par transparence dans le régénérât.
Fig. 7. Queue despinalisée in situ. Régénérât du type ‘nageoire’, bien vascularisé, sans axe musculo-squelettique. Les flèches indiquent le niveau d’amputation.
Fig. 8. Despinalisation de la queue in situ et déviation latérale de la moelle épinière. Régénérât du type ‘nageoire’ au niveau d’amputation (flèches), ql, petite queue latérale, cylindrocônique, sans nageoires, née sur déviation.
Figs. 9 et 10. Structures régénérées après irradiation des pattes postérieures, amputation et incorporation dans le moignon caudal, préalablement despinalisé (cf. fig. 3 dans le texte).
Fig. 9. Un cas vu de profil. Régénérât oblique de type ‘nageoire’.
Fig. 10. Un autre cas vu de dos. Régénérât frontal de type nageoire.
Figs. 5 à 9, photographies non retouchées.
Fig. 11. Coupe sagittale d’un régénérât normal de queue. Les restes de la chorde dorsale permettent de reconnaître les anciens tissus.
Fig. 12. Coupe sagittale d’un moignon de queue despinalisée. Persistance d’un ganglion spinal (gs) d’où partent des fibres nerveuses (flèche) pénétrant dans le régénérât caudiforme.
Fig. 13. État sain d’un transplant de cerveau greffé dans une queue despinalisée: fibres et neurones.
Fig. 14. Coupe frontale d’un moignon de queue despinalisée avec greffe de cerveau (c) et d’une queue latérale formée après déviation de la moelle épinière (m). Malgré la transplantation du cerveau qui envoie des fibres vers la surface d’amputation (visibles sur la photo), le moignon caudal n’a formé qu’un régénérât du type ‘nageoire’. Par contre la moelle déviée a induit un axe vertébral cartilagineux et des muscles métamériques.
Fig. 15. Coupe sagittale d’un moignon caudal despinalisé avec un gros transplant de cerveau (c).
Fig. 16. Coupe frontale d’un moignon de queue despinalisé auquel sont incorporées les deux pattes postérieures préalablement irradiées. Les deux nerfs sciatiques (ns), droit et gauche, pénètrent dans le territoire ‘queue’ mais ne peuvent se substituer à l’action inductrice de la moelle épinière.
Fig. 17. Attraction exercée par la moelle épinière déviée (m) sur les fibres nerveuses d’un ganglion spinal (gs) resté isolé dans une queue despinalisée. Tractus nerveux anormalement long (flèches).
Figs. 11 à 17: Microphotographies non retouchées.
Fig. 11. Coupe sagittale d’un régénérât normal de queue. Les restes de la chorde dorsale permettent de reconnaître les anciens tissus.
Fig. 12. Coupe sagittale d’un moignon de queue despinalisée. Persistance d’un ganglion spinal (gs) d’où partent des fibres nerveuses (flèche) pénétrant dans le régénérât caudiforme.
Fig. 13. État sain d’un transplant de cerveau greffé dans une queue despinalisée: fibres et neurones.
Fig. 14. Coupe frontale d’un moignon de queue despinalisée avec greffe de cerveau (c) et d’une queue latérale formée après déviation de la moelle épinière (m). Malgré la transplantation du cerveau qui envoie des fibres vers la surface d’amputation (visibles sur la photo), le moignon caudal n’a formé qu’un régénérât du type ‘nageoire’. Par contre la moelle déviée a induit un axe vertébral cartilagineux et des muscles métamériques.
Fig. 15. Coupe sagittale d’un moignon caudal despinalisé avec un gros transplant de cerveau (c).
Fig. 16. Coupe frontale d’un moignon de queue despinalisé auquel sont incorporées les deux pattes postérieures préalablement irradiées. Les deux nerfs sciatiques (ns), droit et gauche, pénètrent dans le territoire ‘queue’ mais ne peuvent se substituer à l’action inductrice de la moelle épinière.
Fig. 17. Attraction exercée par la moelle épinière déviée (m) sur les fibres nerveuses d’un ganglion spinal (gs) resté isolé dans une queue despinalisée. Tractus nerveux anormalement long (flèches).
Figs. 11 à 17: Microphotographies non retouchées.
Figs. 18, 19, et 20. Vues dorsales des trains postérieurs de trois larves de salamandre avec queues surnuméraires (ql) nées sur déviation latérale (fig. 18) ou dorso-latérale (figs. 19, 20) de la moelle épinière.
Fig. 18. Régénérât cylindrique avec axe squelettique et musculature sans trace de nageoire.
Fig. 19. Régénérât avec nageoire dorsale sans communication apparente avec la nageoire du moignon.
Fig. 20. Confluence proximale des deux nageoires dorsales.
Fig. 21. Coupe frontale. Horizontalement, régénérât d’un moignon caudal despinalisé: aucun élément squelettique ou musculaire. Verticalement: queue latérale née sur la déviation de la moelle épinière. Régénérât caudal complet avec squelette en voie de segmentation, moelle épinière et musculature métamérique.
Fig. 22. Faisceau de fibres nerveuses pénétrant profondément dans un régénérât sans axe d’une queue despinalisée (imprégnation argentique selon Bodian).
Fig. 23. Coupe transversale d’une queue despinalisée comprenant, en haut et à gauche, les structures régénérées après déviation dorso-latérale de la moelle épinière, ql, queue latérale avec cartilage vertébral, moelle et musculature métamérique. n, nageoire dorsale de la queue, n’, nageoire dorsale surnuméraire de la queue latérale.
Fig. 24. Coupe transversale d’une queue latérale cylindrique sans nageoires.
Fig. 25. Coupe frontale d’un moignon caudal despinalisé. On distingue la frontière fibreuse entre les anciens tissus et le régénérât mésenchymateux. La flèche indique le cartilage de réparation formé au niveau de l’amputation.
Figs. 18, 19, et 20. Vues dorsales des trains postérieurs de trois larves de salamandre avec queues surnuméraires (ql) nées sur déviation latérale (fig. 18) ou dorso-latérale (figs. 19, 20) de la moelle épinière.
Fig. 18. Régénérât cylindrique avec axe squelettique et musculature sans trace de nageoire.
Fig. 19. Régénérât avec nageoire dorsale sans communication apparente avec la nageoire du moignon.
Fig. 20. Confluence proximale des deux nageoires dorsales.
Fig. 21. Coupe frontale. Horizontalement, régénérât d’un moignon caudal despinalisé: aucun élément squelettique ou musculaire. Verticalement: queue latérale née sur la déviation de la moelle épinière. Régénérât caudal complet avec squelette en voie de segmentation, moelle épinière et musculature métamérique.
Fig. 22. Faisceau de fibres nerveuses pénétrant profondément dans un régénérât sans axe d’une queue despinalisée (imprégnation argentique selon Bodian).
Fig. 23. Coupe transversale d’une queue despinalisée comprenant, en haut et à gauche, les structures régénérées après déviation dorso-latérale de la moelle épinière, ql, queue latérale avec cartilage vertébral, moelle et musculature métamérique. n, nageoire dorsale de la queue, n’, nageoire dorsale surnuméraire de la queue latérale.
Fig. 24. Coupe transversale d’une queue latérale cylindrique sans nageoires.
Fig. 25. Coupe frontale d’un moignon caudal despinalisé. On distingue la frontière fibreuse entre les anciens tissus et le régénérât mésenchymateux. La flèche indique le cartilage de réparation formé au niveau de l’amputation.