ABSTRACT
Stability of determination and differentiation of the somatic sexual characters in Nereis pelagica L. (Annelida polychaeta)
Experiments of regeneration in situ or on grafts were carried out to test the stability of determination of the somatic sexual characters in Nereis pelagica.
The sexual characters of the parapodial cirri (male and female swellings, male crenellations) are always expressed on stump or regenerate according to the genetic sex. Super-numary parapodia which developed at the site of junction of the heterologous faces of host and graft of opposite sexes, might have the characters of either sex; this result can be interpreted by supposing that a supernumary parapodium is derived from tissues of either host or graft, of the corresponding sex.
Conversely, the pygidial papillae, which normally occur only on the heteronereid male, will appear on regenerating female pygidia, triggered to transform to the heteronereid condition naturally or by decerebration, with a frequency depending on the age of the regenerate, the length of the regenerate, and the genital condition of both the stump and the regenerate. It is concluded that the presence of the papillae is not a sex-specific character, but that their development is normally inhibited in the maturing female.
INTRODUCTION
Chez les Néréidiens à épitoquie, le dimorphisme sexuel se met en place au cours de l’hétéronéréidation au niveau des cirres parapodiaux et du pygidium. Les Nereis pelagica L. mâles se caractérisent essentiellement par la présence de crénelures sur les cirres parapodiaux dorsaux de la région postérieure (Fig. 1) et de papilles pygidiales. D’autre part, les cirres deviennent renflés sur un nombre de parapodes plus important chez le mâle (sept premières paires) que chez la femelle (cinq premières paires) (Fig. 2).
Transformation hétéronéréidienne des cirres parapodiaux chez N. pelágico L.
Fig. 1. Cirres parapodiaux dorsaux de la région postérieure. Hétéronéréis mâle. Des crénelures (flèches) apparaissent dans la zone moyenne du cirre. Les zones apicale et basale en sont dépourvues.
Fig. 2. Parapodes de la région antérieure. Hétéronéréis mâle. Les cirres dorsaux (cd) et ventraux (cv) présentent un renflement (flèches) dans la zone moyenne. La zone apicale du cirre n’est pas transformée.
Transformation hétéronéréidienne des cirres parapodiaux chez N. pelágico L.
Fig. 1. Cirres parapodiaux dorsaux de la région postérieure. Hétéronéréis mâle. Des crénelures (flèches) apparaissent dans la zone moyenne du cirre. Les zones apicale et basale en sont dépourvues.
Fig. 2. Parapodes de la région antérieure. Hétéronéréis mâle. Les cirres dorsaux (cd) et ventraux (cv) présentent un renflement (flèches) dans la zone moyenne. La zone apicale du cirre n’est pas transformée.
Ces caractères sont déterminés précocement avant la différenciation sexuelle, soit uniquement chez le mâle (crénelures), soit à la fois chez le mâle et la femelle (renflement des cirres des cinq premières paires de parapodes, papilles pygidiales) (Boilly-Marer, 1974a). Toutefois, la différenciation des papilles pygidiales n’est réalisée, dans les conditions normales, que chez le mâle; ce caractère peut cependant s’exprimer chez la femelle si celle-ci subit l’épitoquie expérimentale à l’état jeune ou en présence d’un milieu mâle obtenu par injection du contenu coelomique mâle ou greffe sur un mâle (Boilly-Marer, 1974b).
Nous nous proposons ici d’apprécier le degré de stabilité de ces caractères sexuels somatiques en provoquant leur différenciation sur des cirres parapodiaux et pygidiums régénérés.
MATERIEL ET METHODES
Toutes les expériences ont été réalisées sur des N. pelagica L. d’âge varié, sexuellement différenciées ou non. Les femelles ont été réparties en six lots suivant le diamètre ovocytaire (20–30 μm, 40 μm, 50–60 μm, 70–80 μm, 90–100 μm, 130 μm) mesuré au début de l’expérience (diamètre de l’ovocyte mature : 200 μm environ). La régénération des structures sur lesquelles se développent les caractères sexuels somatiques (cirres parapodiaux et pygidium) est provoquée soit par ablation élective des cirres parapodiaux ou des parapodes, soit par amputation caudale de 10 à 35 segments. Dans ce dernier cas, l’état génital du régénérât est précisé par l’étude des coupes histologiques.
D’autre part, la néoformation de parapodes surnuméraires est induite suivant le procédé décrit dans un travail antérieur (Boilly-Marer, 1969 et 1971 a et b) par juxtaposition de territoires hétérologues (dorsal ↔ventral) à l’aide de greffes de paroi de corps.
L’étude de la régénération (pygidium + parapodes) est faite soit sur une Nereis, soit sur un greffon de sexe donné placé sur un porte-greffe de sexe opposé.
Lorsque l’épitoquie naturelle ne se produit pas au cours de l’expérience, la différenciation des caractères sexuels somatiques est provoquée en déclenchant l’hétéronéréidation par décérébration, soit au moment de l’amputation, soit 8 jours à 6 mois après celle-ci. La nature des caractères sexuels est analysée au moment où l’épitoquie des Nereis est atteinte, c’est-à-dire 30 à 35 jours après la décérébration.
RESULTATS
Nous envisagerons successivement l’évolution des cirres parapodiaux régénérés, puis celle des pygidiums néoformés.
A. Evolution des cirres parapodiaux régénérés
Nous distinguerons les cirres des parapodes édifiés après amputation de la partie postérieure du corps, des parapodes, ou des cirres parapodiaux eux-mêmes, puis ceux des parapodes induits par juxtaposition de territoires hétérologues (parapodes surnuméraires).
(1) Parapodes régénérés
Dans tous les cas, les organes amputés (segments, parapodes, cirres para-podiaux) régénèrent dans un délai de 2 à 6 mois qu’il s’agisse de régénération in situ (d) ou sur le greffon (b).
(a) Régénération in situ
Lorsque l’ablation des structures portant les cirres parapodiaux ou des cirres parapodiaux eux-mêmes est pratiquée sur des Nereis atoques, l’évolution des cirres parapodiaux régénérés au cours de l’hétéronéréidation (43 cas) est toujours identique à celle des cirres parapodiaux voisins n’ayant pas subi l’amputation, et ceci même si la régénération du cirre est incomplète (moitié à deux tiers de la longueur initiale du cirre).
Lorsque l’amputation des cirres parapodiaux dorsaux ou des parapodes postérieurs est effectuée sur des Nereis sub-épitoques (st. 1 de la terminologie de Durchon, 1952) et jusqu’à 20 jours environ avant le stade final de l’hétéro-néréidation, les cirres parapodiaux dorsaux sont d’abord régénérés sous leur forme atoque (lisse) alors que pendant le même temps les cirres parapodiaux dorsaux voisins et non amputés commencent à différencier des crénelures. Puis les cirres parapodiaux dorsaux régénérés deviennent crénelés avec l’hétéro-néréidation complète.
(b) Régénération sur le greffon
Les tronçons de corps fixés latéralement ou caudalement régénèrent toujours postérieurement et de façon synchrone par rapport au porte-greffe. De même, les parapodes et les cirres parapodiaux des greffons régénèrent normalement après amputation (Figs. 3 à 6).
Homogreffe en position caudale d’un tronçon de corps femelle sur un porte-greffe mâle (N. pelágico).
Fig. 3. Deux mois après la greffe; immédiatement après la décérébration. La suture entre porte-greffe et greffon est réalisée (flèche); ce dernier a régénéré huit segments sét gères.
Fig. 4. Même Nereis que sur Fig. 3, 1 mois après la décérébration (soit 3 mois après la greffe). Le porte-greffe et le greffon sont épitoques. Remarquer la transformation moins poussée des parapodes du greffon (caractéristique du sexe femelle) par rapport aux parapodes de la région postérieure transformée du porte-greffe.
Homogreffe en position caudale d’un tronçon de corps femelle sur un porte-greffe mâle (N. pelágico).
Fig. 3. Deux mois après la greffe; immédiatement après la décérébration. La suture entre porte-greffe et greffon est réalisée (flèche); ce dernier a régénéré huit segments sét gères.
Fig. 4. Même Nereis que sur Fig. 3, 1 mois après la décérébration (soit 3 mois après la greffe). Le porte-greffe et le greffon sont épitoques. Remarquer la transformation moins poussée des parapodes du greffon (caractéristique du sexe femelle) par rapport aux parapodes de la région postérieure transformée du porte-greffe.
Homogreffe de tronçons de corps et de zone parapodiale d’individus femelles sur N. pelagica mâle, après décérébration.
Fig. 5. Immédiatement après la décérébration. Le porte-greffe (ayant régénéré 18 segments) et les greffons de 4 segments (ayant régénéré respectivement 13 à 7 segments) sont atoques.
Fig. 6. 20 jours après la décérébration. L’hétéronéréidation du porte-greffe est plus avancée (présence de soies hétéronéréidiennes, flèche) que celle des deux greffons (ayant régénéré respectivement 7 et 4 segments).
Fig. 7. 1 mois après la décérébration. Porte-greffe et greffon sont épitoques. Les cirres parapodiaux dorsaux du porte-greffe sont crénelés (caractère mâle) alors que ceux du greffon sont lisses (caractère femelle) (astérisque). Remarquer la présence d’un parapode surnuméraire situé au niveau de la zone de contact porte-greffe-greffon: le cirre dorsal de ce parapode (édifié à partir des tissus du porte-greffe) est crénelé (flèche).
Fig. 8. Greffe de parapodes (g) sur la face dorsale d’une Nereis. Remarquer la présence de parapodes surnuméraires (flèche) au niveau du contact entre la face ventrale du greffon et la face dorsale du porte-greffe.
Homogreffe de tronçons de corps et de zone parapodiale d’individus femelles sur N. pelagica mâle, après décérébration.
Fig. 5. Immédiatement après la décérébration. Le porte-greffe (ayant régénéré 18 segments) et les greffons de 4 segments (ayant régénéré respectivement 13 à 7 segments) sont atoques.
Fig. 6. 20 jours après la décérébration. L’hétéronéréidation du porte-greffe est plus avancée (présence de soies hétéronéréidiennes, flèche) que celle des deux greffons (ayant régénéré respectivement 7 et 4 segments).
Fig. 7. 1 mois après la décérébration. Porte-greffe et greffon sont épitoques. Les cirres parapodiaux dorsaux du porte-greffe sont crénelés (caractère mâle) alors que ceux du greffon sont lisses (caractère femelle) (astérisque). Remarquer la présence d’un parapode surnuméraire situé au niveau de la zone de contact porte-greffe-greffon: le cirre dorsal de ce parapode (édifié à partir des tissus du porte-greffe) est crénelé (flèche).
Fig. 8. Greffe de parapodes (g) sur la face dorsale d’une Nereis. Remarquer la présence de parapodes surnuméraires (flèche) au niveau du contact entre la face ventrale du greffon et la face dorsale du porte-greffe.
Les cirres parapodiaux régénérés, soit au niveau des segments néoformés par les tronçons de corps fixés latéralement (97) ou caudalement (21) sur le porte-greffe, soit après ablation élective de cirres parapodiaux sur les greffons (127 tronçons de corps; 136 bandes de parapodes) présentent dans tous les cas (Nereis différenciées sexuellement ou non au moment de la greffe) les mêmes caractères sexuels que les cirres parapodiaux anciens du greffon.
(2) Parapodes surnuméraires
Nous considérerons d’abord les conditions d’apparition de ces parapodes puis leur comportement au cours de l’hétéronéréidation.
(a) Conditions d’apparition des parapodes surnuméraires
Des parapodes surnuméraires se sont édifiés au niveau de la jonction greffon-porte-greffe dans un certain nombre de cas de greffes de tronçon de corps en position latérale (a) et pour presque toutes les greffes de parapodes (β).
(α) Cas de greffes latérales de tronçon de corps
Greffe sur la face dorsale du porte-greffe
Des parapodes surnuméraires se forment dans 45% des cas environ (54/122) pour les tronçons fixés par leur partie antérieure ou par leur partie postérieure (8/19) sur la face dorsale du porte-greffe. Le nombre de parapodes néoformés au niveau de la jonction greffon-porte-greffe varie entre 1 à 5 parapodes. Néanmoins, tous les parapodes se forment au niveau de la jonction de la face dorsale du porte-greffe et de la face ventrale du greffon à la base des parapodes (70 % des parapodes surnuméraires) ou au niveau de l’extrémité de la chaîne nerveuse sectionnée du greffon jouxtant le porte-greffe (30% des parapodes surnuméraires). Ils sont orientés le cirre ventral dirigé vers la face ventrale du greffon et le cirre dorsal vers la face dorsale du porte-greffe (Fig. 7).
Greffe sur la face ventrale du porte-greffe
Pour les greffes réalisées sur la face ventrale la néoformation de parapodes se produit dans tous les cas (9/9) au niveau de la jonction des deux faces hétérologues (dorsale du greffon, ventrale du porte-greffe) à proximité des nerfs parapodiaux sectionnés du porte-greffe. Le cirre ventral du parapode surnuméraire est alors orienté vers la face ventrale du porte-greffe et le cirre dorsal vers la face dorsale du greffon.
(β) Cas de greffes de parapodes
Les parapodes surnuméraires sont apparus dans tous les cas de greffes de parapodes dans la région postérieure du corps (101 survivants) et dans 67% des cas de greffes de parapodes dans la région antérieure (35 survivants).
L’étude de tous les cas de néoformations obtenues montre que :
-les parapodes néoformés sont généralement plus petits que les parapodes anciens mais parfaitement constitués;
-pour un même type de greffe, les parapodes apparaissent toujours sur le même côté du greffon et au niveau de contact entre greffon et porte-greffe;
-les parapodes néoformés sont toujours implantés du côté où s’affrontent deux faces différentes (ventrale et dorsale) du greffon et du porte-greffe;
-les parapodes néoformés sont orientés de telle sorte que leurs faces (dorsale ou ventrale) sont placées vis-à-vis d’une face homologue du greffon ou du porte-greffe (Fig. 8).
(b) Comportement des parapodes surnuméraires au cours de l’hétéronéréidation
Nous avons étudié la différenciation des caractères sexuels des cirres des parapodes surnuméraires édifiés après greffe entre individus sexuellement différenciés (a) et après greffe de parapodes de Nereis sexuellement indifférenciées sur des porte-greffe sexuellement différenciés ou non (β).
(α) Greffes entre Nereis sexuellement différenciées
Greffe de tronçon de corps
Dans les cas des greffes hétérosexuées de tronçon de corps sur la face dorsale du porte-greffe, les caractères sexuels des parapodes surnuméraires sont identiques à ceux du greffon dans 40 % des cas en moyenne, soit 17/43 cas pour les parapodes édifiés à la base de parapodes du greffon et 8/19 cas pour ceux formés au niveau de l’extrémité de la chaîne nerveuse; dans les autres cas (60 %) ils sont du même type que ceux du porte-greffe (respectivement 26/43 et 11/19).
Lorsque le tronçon est fixé sur la face ventrale du porte-greffe (greffes hétéro-sexuées), 44 % (4/9) des parapodes surnuméraires développent les mêmes caractères sexuels que ceux du greffon, dans les autres cas (5/9) ils sont conformes à ceux du porte-greffe.
Les parapodes surnuméraires, bien que formés au niveau de la jonction de territoires du greffon et du porte-greffe, sont quelquefois nettement implantés dans l’un ou l’autre de ces territoires; ils présentent alors toujours les caractères sexuels somatiques typiques du territoire sur lequel ils se sont développés. Ainsi, dans certains cas, plusieurs parapodes surnuméraires induits au niveau d’une même greffe, mais les uns édifiés essentiellement en territoire greffon et les autres en territoire porte-greffe, présentent des caractères sexuels de type opposé.
Dans tous les cas des greffes homosexuées, les caractères sexuels des parapodes surnuméraires sont toujours identiques à ceux du greffon et du porte-greffe (8/8 cas).
Greffe de parapodes (Tableau 1)
Les parapodes surnuméraires subissent aussi les transformations consécutives à l’installation de l’épitoquie. Toutefois, l’évolution de leurs cirres parapodiaux est variable; ils se comportent, soit comme ceux du porte-greffe, soit comme ceux du greffon.
Type de transformation présentée par les cirres de parapodes surnuméraires édifiés à la jonction de greffons et de porte-greffe de sexe opposé après greffe de parapodes dans la région orthotope ou hétérotope

Pour les greffes effectuées sur la face dorsale de la région orthotope 52 % (20/38 cas) des parapodes surnuméraires se comportent comme les parapodes du porte-greffe, 38 % (14/38 cas) comme ceux du greffon; dans 10 % des cas (4/38 cas) certains des 4–5 parapodes induits par la présence d’un greffon constitué d’une bande de 4–5 parapodes, présentent les caractères sexuels du greffon tandis que les autres ont manifesté les mêmes caractères que ceux du porte-greffe.
Dans le cas de greffes réalisées sur la face ventrale 44 % (4/9 cas) des para-podes surnuméraires différencient des caractères sexuels identiques à ceux du greffon et 45 % se comportent comme ceux du porte-greffe. En outre, les deux types de caractères sexuels sont représentés dans 11 % des cas (1/9 cas) au niveau d’une série de parapodes surnuméraires édifiés pour un même greffon.
Lorsque les greffons sont implantés dans la région hétérotope la plupart des parapodes (11/14) présentent les mêmes transformations hétéronéréidiennes que les parapodes du greffon; il convient cependant de remarquer que dans pratiquement tous ces cas les parapodes sont nettement implantés dans le territoire greffon.
(β) Greffe de parapodes sexuellement indifférenciés sur des porte-greffe sexuellement différenciés ou non
Les caractères sexuels secondaires des parapodes surnuméraires sont identiques à ceux du greffon et du porte-greffe lorsque ceux-ci présentent le même type de caractères sexuels somatiques (63 % soit 38/60 cas); dans le cas inverses les parapodes surnuméraires développent soit les mêmes caractères sexuels que ceux du porte-greffe (60 % soit 13/22 cas), soit les mêmes que ceux du greffon (40 % soit 9/22 cas).
B. Evolution des pygidiums néoformés
La régénération du pygidium de Nereis pelagica est semblable à celle observée chez Nereis diversicolor par Boilly (1969); elle est achevée vers le 12ème jour suivant l’amputation, date à laquelle les segments sétigères commencent à se différencier. Le pygidium est restitué suivant le même processus après ablation du cerveau; dans ce cas, seule la régénération des segments sétigères est inhibée (Boilly, 1974).
Nous considérerons, chez les Nereis mâles, puis chez les femelles, l’évolution du pygidium lorsque l’épitoquie est déclenchée à différents moments de la régénération caudale.
(1) Nereis mâles
Les papilles pygidiales se différencient dans tous les cas (63) quels que soient l’état génital (différencié ou non) de la Nereis et la longueur du régénérât au moment du déclenchement de l’épitoquie. Elles sont ébauchées à partir du 7e-8e jour suivant la décérébration; leur morphologie (Fig. 9) est semblable à celle observée chez les Hétéronéréis mâles naturelles.
Régénérais caudaux de N. pelagica L. (microscope électronique à balayage). Epitoquie déclenchée 3 mois après la régénération du pygidium.
Fig. 9. Hétéronéréis mâle. Une rosette de longues papilles digitiformes (pa) entoure l’anus (a), ca, cirre anal.
Fig. 10. Hétéronéréis femelle (diamètre des ovocytes des segments souches de 30–40 μm au moment du déclenchement de l’épitoquie). Les papilles (pa), bien que plus petites, présentent la même disposition et la même morphologie que chez le mâle, a, anus; ca, cirre anal.
Régénérais caudaux de N. pelagica L. (microscope électronique à balayage). Epitoquie déclenchée 3 mois après la régénération du pygidium.
Fig. 9. Hétéronéréis mâle. Une rosette de longues papilles digitiformes (pa) entoure l’anus (a), ca, cirre anal.
Fig. 10. Hétéronéréis femelle (diamètre des ovocytes des segments souches de 30–40 μm au moment du déclenchement de l’épitoquie). Les papilles (pa), bien que plus petites, présentent la même disposition et la même morphologie que chez le mâle, a, anus; ca, cirre anal.
(2) Nereis femelles (Tableau 2)
Les papilles pygidiales se développent dans tous les cas lorsque la décérébration est effectuée dans le délai maximum d’un mois après la régénération du pygidium. Lorsque l’épitoquie est déclenchée plus tardivement, le pourcentage de différenciation des papilles diminue progressivement jusqu’à s’annuler pour les régénérais âgés de plus de 4 mois au moment de la décérébration. Dans tous les cas, les papilles pygidiales édifiées sur les régénérais femelles sont morphologiquement comparables à celles des régénérais mâles (Fig. 10).
Pourcentage de différenciation des papilles sur le pygidium femelle régénéré en fonction de l’âge et de la longueur du régénérât ainsi que de l’état génital de la souche au moment du déclenchement de l’épitoquie

L’étude plus détaillée de ces résultats nous a amenée à considérer la différenciation des papilles en fonction de la longueur du régénérât et de l’état génital de la souche et du régénérât.
(a) Longueur du régénérât
Les régénérats sont répartis en trois catégories suivant leur longueur (0–10 segments, 11–20 segments, 21–30 segments) au moment du déclenchement de l’épitoquie.
Les conditions de différenciation des papilles sont identiques dans les trois cas lorsque la décérébration est effectuée au cours du premier mois suivant la régénération du pygidium (100 % de différenciation) ou après le 4e mois (0 % de différenciation). Du 2e au 4e mois, les papilles se développent d’autant plus fréquemment que le régénérât est long.
(b) Etat génital de la souche et du régénérât
Pendant toute la durée des expériences, la croissance ovocytaire se poursuit dans la souche. Le plus petit diamètre ovocytaire rencontré dans la souche est de 20–30 μm un mois après la régénération du pygidium et respectivement de 30–50 μm et 50–70 μm lorsque celle-ci est réalisée depuis au plus 3 et 4 mois. Au-delà du 4e mois, le diamètre ovocytaire est supérieur à 70 μm dans tous les cas. Au niveau des segments régénérés, de jeunes ovocytes (10-20 μm) apparaissent au cours du 2e-3e mois suivant la régénération du pygidium.
Lorsque l’âge des régénérats n’excède pas un mois, les papilles se forment dans tous les cas quel que soit l’état génital. Puis, la différenciation des papilles est d’autant plus rare que la taille des ovocytes est importante; elle s’annule lorsque le diamètre ovocytaire dépasse 50–60 μm au niveau de la souche.
DISCUSSION
Nous discuterons de la nature (mâle ou femelle) des caractères sexuels édifiés par les cirres parapodiaux et le pygidium à différents moments de la régénération.
A. Caractères sexuels des cirres parapodiaux
L’expression du caractère sexuel des cirres parapodiaux régénérés s’effectué toujours conformément au sexe d’origine, quels que soient l’âge de la Nereis, le moment de la régénération par rapport à l’hétéronéréidation et la nature (mâle ou femelle) de l’environnement dans lequel s’effectue la régénération.
Ces résultats nous permettent de penser que la détermination des caractères sexuels des cirres parapodiaux est particulièrement stable et que la nature de leur différenciation n’est pas, au cours de l’hétéronéréidation, contrôlée par des facteurs épigénétiques. De plus, ils suggèrent que le génome des cellules régénératrices participant à la restitution des cirres parapodiaux n’est pas qualitativement altéré au cours de la régénération puisque la détermination se maintient à travers ce processus morphogénétique; ils impliquent donc que les cellules régénératrices ne se dédifférencient pas totalement au cours de la régénération.
Le comportement des parapodes surnuméraires au cours de l’hétéro-néréidation pose cependant un problème. En effet, pour une même greffe, nous avons obtenu à la fois des parapodes surnuméraires présentant les caractères sexuels du greffon et des parapodes surnuméraires du type porte-greffe. Cependant, les conclusions de l’étude des cirres parapodiaux régénérés d’une part et certaines observations relatives à la position des parapodes surnuméraires par rapport au greffon et au porte-greffe d’autre part, permettent d’interpréter ces résultats apparemment paradoxaux. En effet, les parapodes surnuméraires peuvent non seulement être édifiés à partir du greffon ou du porte-greffe, mais pourraient aussi résulter de la participation des tissus du greffon et du porte-greffe, de sorte que le parapode surnuméraire représente dans ces conditions une chimère sur le plan de la détermination des caractères sexuels somatiques. La présence plus ou moins grande de tissus provenant du porte-greffe ou du greffon serait donc responsable de la différenciation ou non du caractère somatique suivant le cas.
B. Pygidium
Il s’avère que contrairement aux caractères sexuels des cirres parapodiaux le caractère papilles pygidiales apparaît chez toutes les Nereis, quels que soient le sexe et l’état de différenciation sexuelle de celles-ci, à condition toutefois que l’hétéronéréidation débute pendant le premier mois suivant la régénération du pygidium. Une observation analogue a d’ailleurs été rapportée par Hofmann (1964) qui avait constaté l’apparition de papilles pygidiales chez des Platynereis dumerilii femelles dont l’épitoquie est déclenchée au moment de l’amputation caudale. Nos résultats sur la labilité des caractères sexuels du pygidium corroborent ceux obtenus précédemment et relatifs à l’apparition de papilles pygidiales chez les jeunes femelles subissant une hétéronéréidation anticipée (Boilly-Marer, 1974b) et les femelles de tous âges évoluant en présence d’un milieu mâle (Boilly-Marer, 1974b), et confirment les premières constatations effectuées par Durchon (1960) après greffe de tronçons femelles sur des Nereis mâles.
On constate donc que, mis à part le cas de l’influence de l’environnement mâle, les papilles pygidiales peuvent se différencier chez les femelles pourvu que les tissus concernés par cette morphogenèse soient jeunes (qu’il s’agisse de tissus d’individus jeunes ou de tissus régénérés). Il est intéressant de signaler à ce propos l’existence d’une inhibition de la différenciation des papilles pygidiales chez les mâles de la race sans épitoquie de Perinereis cultrifera. Normalement, ces individus ne subissent aucune transformation hétéronéréidienne et en conséquence ne différencient pas de papilles pygidiales; toutefois celles-ci peuvent apparaître sur des pygidiums de mâles régénérés peu de temps avant la maturité génitale (Durchon, 1955).
A partir du 2e mois suivant la régénération du pygidium des femelles le taux de différenciation des papilles varie en fonction de la longueur du régénérât et de l’état génital de la Nereis. Les papilles se différencient alors d’autant moins fréquemment que le régénérât est court et que la maturation ovocytaire est plus avancée; elles ne se développent jamais lorsque le diamètre ovocytaire est supérieur à 50–60 μm au niveau de la souche au moment du déclenchement de l’épitoquie; c’est-à-dire lorsque la maturation ovocytaire anticipée devient quasi normale (Choquet, 1962; Dhainaut, 1970a et b). Cette constatation explique d’autre part le fait que les papilles n’apparaissent jamais après le 4e mois suivant la régénération pygidiale; à ce moment le diamètre des ovocytes de la souche est toujours supérieur à 60 μm.
Les résultats obtenus précédemment chez les jeunes femelles (Boilly-Marer, 1974 a) laissaient supposer l’intervention d’un facteur inhibiteur de la différenciation des papilles à partir d’un certain stade de la maturation génitale femelle (diamètre ovocytaire supérieur à 40 μm). Ce facteur présent chez les individus dont le pygidium a été régénéré depuis 1 mois au maximum, ou bien n’aurait pas le temps de bloquer la différenciation des papilles pygidiales, ou encore n’aurait aucune emprise sur les tissus jeunes. Ce n’est qu’à partir du 2e mois, période correspondant à la différenciation des ovocytes dans le régénérât, que le pygidium régénéré réagit à la levée de l’influence endocrine cérébrale de la même manière que le pygidium non néoformé. Il acquiert ce comportement d’autant plus rapidement qu’il est proche des segments souches (régénérât court) et que la maturation ovocytaire de ces segments est plus avancée.
Il semble donc que le caractère sexuel papilles pygidiales soit un caractère neutre dont la différenciation est conditionnée par l’âge des tissus et la nature du milieu intérieur au moment de la levée de l’inhibition endocrine cérébrale de l’épitoquie.
CONCLUSION
Les caractères sexuels somatiques mâles de N. pelagica (crénelures et papilles pygidiales) apparaissent très différents quant aux modalités de leur détermination et de leur différenciation.
Les caractères sexuels des cirres parapodiaux (crénelures) déterminés de façon précoce et uniquement chez le mâle, sont particulièrement stables et ne s’expriment que chez les mâles quelles que soient les circonstances.
Le caractère papilles pygidiales, par contre, est déterminé aussi précocement mais à la fois chez le mâle et la femelle. Normalement sa différenciation est inhibée chez la femelle. Cependant, il peut s’exprimer chez ce sexe au niveau de tissus jeunes (individu jeune ou tissus régénérés) ou en présence d’un milieu mâle.
La labilité de la différenciation du caractère sexuel porté par le pygidium s’oppose donc à la stabilité de la détermination et de la différenciation des caractères sexuels des cirres parapodiaux.
RESUME
Des expériences de régénération in situ, ou sur un greffon ont permis d’éprouver la stabilité de la détermination des caractères sexuels somatiques de Nereis pelagica.
Les caractères sexuels des cirres parapodiaux (renflements chez le mâle et la femelle, crénelures chez le mâle) s’expriment toujours au niveau de la souche et du régénérât conformément au sexe d’origine. Les parapodes surnuméraires qui se développent au niveau de la jonction entre les faces hétérologues de l’hôte et du greffon de sexes opposés, peuvent avoir les caractères de l’un ou de l’autre sexe. Ce résultat peut être interprêté en supposant que le parapode surnuméraire est édifié à partir soit des tissus de l’hôte, soit de ceux du greffon et qu’il développe les caractères sexuels correspondants.
Par contre, les papilles pygidiales qui se différencient normalement uniquement chez l’hétéronéréis mâle, peuvent apparaître également sur le régénérât des femelles en hétéro-néréidation naturelle ou après décérébration dans un nombre de cas variable avec l’âge du régénérât, sa longueur et l’état génital de la souche et du régénérât. Les papilles pygidiales constituent donc un caractère qui n’est pas spécifique du sexe, leur différenciation est cependant inhibée chez la femelle au cours de la maturation génitale.