Supernumerary tail and parapodia induction by deviation of the intestine in nereids (Annelida: Polychaetd)

Localized ablation of the intestine has been performed on normal and grafted specimens of the two polychaetes Nereis pelagica L. and Perinereis cultrifera G. with the following results:

  1. In the absence of the intestine, segments are not regenerated but parapodia grow on the plane of section.

  2. A segmented tail arises where the intestine is deviated; the regenerate we obtain in this case is of the ‘aneurogenic’ type and without anal cirri and parapodia.

  3. These results suggest that caudal regeneration results from the association of different tissues (intestine and the body wall) whereas the nerve cord exerts an influence upon the organization of the regenerate. Likewise the caudal regeneration of parapodia is the consequence of the juxtaposition of a dorsal and a ventral body wall in the presence of the central nervous system.

Chez les Annélides, la régénération caudale de segments procède nécessairement à partir de la paroi du corps et de l’intestin sectionnés au moment de l’amputation. Le rôle de ces formations dans la morphogenèse régénératrice a été abordé, avec des succès variables, essentiellement par élimination de l’une d’entre elles du processus morphogénétique, que ce soit par excision d’une partie de la paroi du corps (Kiortsis & Moraitou, 1965) ou ablation de l’intestin (bibliographie dans Boilly, 1969a). Par contre, le rôle de celles-ci dans le déclenchement même de la régénération n’a été que rarement recherché en raison de difficultés expérimentales évidentes. En effet, seule la paroi du corps a fait l’objet de quelques travaux (Avel, 1932, 1950; Boilly-Marer, 1969, 1971 a), alors que la participation de l’intestin dans ce phénomène n’a pas encore été recherchée. Nous nous sommes donc proposé d’aborder ce problème en étudiant le rôle du tube digestif dans la régénération caudale de quelques Nereidae et notamment dans le déclenchement de cette morphogenèse.

L’expérimentation a été conduite sur des Nereis pelágica L. récoltées à Ambleteuse (Pas-de-Calais) dans des crampons de laminaires et des Perinereis cultrifera G. provenant de Luc-sur-Mer (Calvados). Elle consiste d’une part à suivre la régénération caudale après élimination de l’intestin du front de section et d’autre part à étudier le comportement de la paroi du corps après déviation de l’intestin au niveau de celle-ci.

1. Elimination de Vintestin

Elle est obtenue soit par ablation localisée de l’intestin, soit par déviation de celui-ci du front de section.

(a) Ablation de l’intestin

Elle est réalisée soit sur un animal entier, soit sur un court tronçon greffé sur une Nereis normale.

Cas d’un animal entier. En raison de la nature du tissu intestinal (manque de consistance) et des nombreuses adhérences existant entre l’intestin et la paroi du corps (dissépiments), l’ablation de l’intestin n’est pratiquée que sur une distance relativement faible (de l’ordre de 3 à 5 segments au maximum (Fig. 1 D).

Fig. 1.

Régénération d’un tronçon antérieur de Nereis après ablation ou déviation de l’intestin. En A, B, C, régénération caudale normale à l’extrémité du tronçon antérieur (témoin). En D, E, F, régénération caudale après ablation partielle de l’intestin. En G, H, I, régénération d’une queue sur la face dorsale et de parapodes sur le front de section après déviation de l’intestin. En J, K, L, régénération d’une queue sur la face dorsale et le front de section après ouverture de la paroi intestinale sur la face dorsale du corps. Les formations néoformées sont ombrées. Les flèches représentent le niveau d’amputation; les signes γ indiquent la présence des agrafes utilisées pour fixer l’intestin à la paroi du corps. □, paroi de corps ; ◼, paroi intestinale.

Fig. 1.

Régénération d’un tronçon antérieur de Nereis après ablation ou déviation de l’intestin. En A, B, C, régénération caudale normale à l’extrémité du tronçon antérieur (témoin). En D, E, F, régénération caudale après ablation partielle de l’intestin. En G, H, I, régénération d’une queue sur la face dorsale et de parapodes sur le front de section après déviation de l’intestin. En J, K, L, régénération d’une queue sur la face dorsale et le front de section après ouverture de la paroi intestinale sur la face dorsale du corps. Les formations néoformées sont ombrées. Les flèches représentent le niveau d’amputation; les signes γ indiquent la présence des agrafes utilisées pour fixer l’intestin à la paroi du corps. □, paroi de corps ; ◼, paroi intestinale.

Cas d’un greffon. Nous avons utilisé des tronçons de Nereis de cinq à six segments au maximum en raison de la possibilité d’extraire relativement facilement l’intestin sur toute la longueur de celui-ci. Ces tronçons dépourvus d’intestin sont ensuite greffés sur la face latéro-dorsale d’une Nereis normale (Fig. 2D).

Fig. 2.

Régénération d’un greffon de Nereis. En A, B, C, régénération d’une queue normale en présence de l’intestin à l’extrémité du greffon (témoin). En D, E, F, régénération de parapodes en l’absence d’intestin à l’extrémité du greffon. Les formations néoformées sont ombrées. Les flèches représentent le niveau d’amputation; les signes γ indiquent la présence des agrafes utilisées pour fixer l’intestin à la paroi du corps. □, paroi de corps; ◼, paroi intestinale.

Fig. 2.

Régénération d’un greffon de Nereis. En A, B, C, régénération d’une queue normale en présence de l’intestin à l’extrémité du greffon (témoin). En D, E, F, régénération de parapodes en l’absence d’intestin à l’extrémité du greffon. Les formations néoformées sont ombrées. Les flèches représentent le niveau d’amputation; les signes γ indiquent la présence des agrafes utilisées pour fixer l’intestin à la paroi du corps. □, paroi de corps; ◼, paroi intestinale.

(b) Déviation de l’intestin du front de section

Après amputation, l’extrémité postérieure de l’intestin sectionné est amenée en direction d’une ouverture de la paroi du corps et fixée à ce niveau à l’aide d’agrafes (Fig. 1 G).

Dans tous les cas, l’amputation de la Nereis est effectuée au niveau d’un intersegment de la zone dépourvue d’intestin.

2. Déviation de l’intestin dans la paroi du corps

Elle consiste soit à amener l’extrémité sectionnée de l’intestin à l’extérieur du corps (Fig. 1G), soit à pratiquer une ouverture dans la paroi intestinale en relation avec l’extérieur (Fig. 1J). Le tube digestif est maintenu ouvert à la surface du corps par fixation de sa paroi au tégument à l’aide d’agrafes. La déviation est réalisée soit sur la face dorsale, soit sur la face ventrale de la Nereis.

Les animaux opérés sont élevés dans de l’eau de mer normale à la température du 13 °C. Les observations ont été poursuivies jusqu’à 5 mois après l’opération.

L’étude histologique a été effectuée au microscope photonique après fixation des pièces au mélange de Bouin-Hollande sans acide acétique et coloration des coupes (6 μm d’épaisseur) par la triple coloration de Prenant (variante de Gabe).

Avant d’exposer les résultats de nos expériences, il convient de rappeler que, après amputation, l’intestin subit une extrusion au niveau de la plaie (Figs. 1 B, 2 B). La paroi intestinale se recourbe en direction du tégument puis se soude à celui-ci. La régénération est assurée par allongement de la paroi du corps et de l’intestin (Fig. 1 C). Le même processus se déroule lorsque l’amputation concerne un tronçon de corps greffé sur une Nereis normale et ceci même si l’intestin du greffon n’entre pas en contact avec celui du porte-greffe (Fig. 2C). Nous considérerons d’abord les résultats relatifs à la régénération caudale en l’absence d’intestin puis ceux ayant trait à la déviation de l’intestin sans tenir compte de l’espèce étudiée étant donné que les résultats obtenus chez N. pelágica L. et P. cultrifera G. sont semblables.

1. Régénération caudale en l’ absence d’intestin (Tableau 1)

(a) Ablation partielle de l’intestin d’une Nereis normale

Lorsque l’ablation de l’intestin est pratiquée sur une Nereis normale, l’extrémité sectionnée de celui-ci régénère (Fig. 1 E) en direction du front de section qu’il atteint dans un délai proportionnel à la longueur d’intestin excisé (de l’ordre de 4 jours pour une longueur d’intestin correspondant à 2 segments). Au moment où l’intestin régénéré atteint le plan d’amputation, la plaie est fermée par un épiderme cicatriciel formé à partir des bords lésés du tégument. L’anus se perce après contact et soudure entre l’intestin régénéré et l’épiderme cicatriciel. La régénération caudale est alors identique à celle des témoins (Fig. 1F), les conditions expérimentales étant semblables; elle se traduit par l’édification d’un régénérât segmenté constitué d’un pygidium pourvu de deux cirres anaux, d’une zone de prolifération et d’un certain nombre de segments portant chacun une paire de parapodes (Fig. 1 C, F). Il est donc impossible d’étudier la régénération caudale en l’absence d’intestin par ablation partielle de celui-ci sur une Nereis normale.

Tableau 1.

Régénération après élimination ou déviation de l’intestin du front de section

Régénération après élimination ou déviation de l’intestin du front de section
Régénération après élimination ou déviation de l’intestin du front de section

(b) Ablation totale de l’intestin d’un greffon

Quand l’amputation est effectuée sur un greffon totalement dépourvu d’intestin (Fig. 2D), le tube digestif du porte-greffe ne régénère pas en direction du front de section du greffon étant donné qu’il n’a subi aucune lésion au cours de la greffe. Dans ce cas, l’extrémité sectionnée du greffon cicatrise par opposition des bords lésés de la paroi du corps (Fig. 2E) mais ne régénère jamais de segments sétigères ni de pygidium. Par contre, un certain nombre de parapodes complets (1 à 2 paires) sont édifiés dans tous les cas sur l’aire cicatricielle (Figs. 2 F, 3 A) dans un délai de 45 à 60 jours après l’amputation. Les parapodes néoformés sont placés entre les parapodes du dernier segment de la souche pratiquement dans le prolongement du corps de l’animal et présentent une polarité dorso-ventrale normale. A l’examen histologique (Fig. 5 A), ils apparaissent anatomiquement identiques aux parapodes témoins; leur innervation est assurée par un cordon issu de la chaîne nerveuse.

(c) Déviation de l’intestin du front de section

Si la paroi de l’extrémité sectionnée de l’intestin reste maintenue au tégument après déviation, le tube digestif ne peut pas régénérer en direction caudale (Fig. 1 G). Dans ces conditions, en l’absence d’intestin au niveau du front de section, la cicatrisation du segment amputé est assurée, comme précédemment, par soudure des tissus de la paroi du corps (Fig. 1 H). Le régénérât s’édifie donc uniquement à partir du tégument; il ne comporte aucun segment mais seulement quelques parapodes (1 à 2 paires) (Fig. 1I). Ces néoformations sont implantées comme précédemment directement sur le front d’amputation entre les parapodes du dernier segment de la souche et présentent la même orientation.

2. Déviation de l’intestin (Tableau 1)

Le maintien de l’intestin dévié à la paroi du corps est particulièrement difficile à réaliser. En effet, dans la plupart des cas, le contact entre ces deux formations ne se maintient pas pendant un temps suffisant pour permettre la soudure; le plus souvent, on observe l’arrachement des tissus de la paroi intestinale et corrélativement le retrait de l’intestin à l’intérieur du corps. Dans ces conditions, la plaie de la paroi du corps ayant été en contact avec l’intestin cicatrise et aucune néoformation n’apparaît à ce niveau. La partie déviée de l’intestin ou bien régénère en direction caudale (cas de la déviation de l’intestin complet) ou bien cicatrise normalement (cas de l’ouverture de la paroi intestinale à l’extérieur du corps). Dans ce dernier cas, on peut alors réinciser le tégument et réitérer l’opération.

En dépit de ces difficultés expérimentales, nous avons réussi à obtenir un certain nombre d’individus chez lesquels la déviation de l’intestin s’est maintenue mais ceci uniquement sur la paroi dorsale du corps. En effet, jusqu’à présent, les déviations intestinales ventrales ont toutes échoué vraisemblablement en raison des frottements occasionnés lors des déplacements de l’animal. Lorsque la paroi intestinale reste en contact avec le tégument, elle se soude à ce dernier comme dans la régénération caudale normale (Fig. 1 H, K). Cette cicatrisation est alors suivie de la régénération d’une queue segmentée orientée perpen-diculairement ou obliquement par rapport à la surface du corps (Fig. 1I, L). Le régénérât est constitué d’un pygidium dépourvu de cirres anaux et de plusieurs segments (jusqu’à 7) totalement démunis de parapodes (Figs. 3 B, C, D, 4A). La segmentation est soulignée par la présence des anses vasculaires transversales reliant les deux vaisseaux longitudinaux issus du prolongement du vaisseau dorsal de la souche. L’examen histologique de ces régénérats (Fig. 5C, D) confirme les observations morphologiques relatives à la segmentation: la cavité cœlomique est cloisonnée par des dissépiments en tous points semblables à ceux des témoins. Les queues néoformées sur la face dorsale présentent néanmoins une particularité importante: elles sont totalement dépourvues de chaîne nerveuse. L’évolution des néoformations dorsales est d’autre part intéressante à considérer. Le plus souvent, leur croissance est limitée. Des observations effectuées sur des individus chez lesquels une amputation de segments a été pratiquée en même temps que la déviation dorsale (Fig. 1 L) ont permis en effet de montrer que la longueur des régénérats dorsaux est toujours inférieure à celle des régénérats caudaux bien que le nombre de segments ne soit guère différent; d’autre part, la croissance en épaisseur des régénérats dorsaux est réduite de sorte qu’ils présentent le plus souvent une forme cylindrique alors que les régénérats normaux sont toujours coniques. Cependant, les queues néoformées sur la face dorsale peuvent subir les transformations pygidiales liées à l’épitoquie; nous avons en effet observé la différenciation de papilles pygidiales chez les individus épitoques (Fig. 4B). Parfois, il arrive que le régénérât dorsal, lorsqu’il est particulièrement ténu, semble se résorber et disparaisse; dans ce cas, le tégument cicatrise et la régénération ne se manifeste plus, bien que l’intestin soit maintenu par le tissu cicatriciel à proximité immédiate de l’épiderme (Fig. 5 B).

FIGURE 3

Régénération après ablation ou déviation de l’intestin chez la Nereis. (A) Régénération de parapodes à l’extrémité d’un greffon dépourvu d’intestin (flèche), 2 mois après l’amputation (= Fig. 2 F). pg, porte-greffe. (B) Cicatrisation de l’intestin sur la paroi dorsale du corps (cas d’une ouverture de la paroi intestinale à la surface du corps) 15 jours après la déviation (= Fig. 1A); l’extroversion de l’intestin est nettement visible (flèche). (C) Régénération d’un pygidium (flèche) sur la face dorsale du corps après déviation de l’intestin, 30 jours après l’opération (= Fig. 1I). On distingue le vaisseau périanal du régénérât relié par un vaisseau longitudinal au vaisseau dorsal de la souche. (D) Régénération d’une queue segmentée (flèche) sur la face dorsale du corps après déviation de l’intestin, 3 mois après la déviation (= Fig. 11). Le régénérât comprend le pygidium dépourvu de cirres anaux et quatre segments dépourvus de parapodes.

FIGURE 3

Régénération après ablation ou déviation de l’intestin chez la Nereis. (A) Régénération de parapodes à l’extrémité d’un greffon dépourvu d’intestin (flèche), 2 mois après l’amputation (= Fig. 2 F). pg, porte-greffe. (B) Cicatrisation de l’intestin sur la paroi dorsale du corps (cas d’une ouverture de la paroi intestinale à la surface du corps) 15 jours après la déviation (= Fig. 1A); l’extroversion de l’intestin est nettement visible (flèche). (C) Régénération d’un pygidium (flèche) sur la face dorsale du corps après déviation de l’intestin, 30 jours après l’opération (= Fig. 1I). On distingue le vaisseau périanal du régénérât relié par un vaisseau longitudinal au vaisseau dorsal de la souche. (D) Régénération d’une queue segmentée (flèche) sur la face dorsale du corps après déviation de l’intestin, 3 mois après la déviation (= Fig. 11). Le régénérât comprend le pygidium dépourvu de cirres anaux et quatre segments dépourvus de parapodes.

FIGURE 4

Queues régénérées sur la face dorsale du corps après déviation de l’intestin (microscope électronique à balayage). (A) Trois mois après la déviation, Nereis atoque. Aucune trace de parapodes et de cirres anaux est visible. (B) Deux mois après la déviation, Nereis épitoque. Même légende que Fig. A. Remarquer les nombreuses papilles pygidiales entourant l’orifice anal.

FIGURE 4

Queues régénérées sur la face dorsale du corps après déviation de l’intestin (microscope électronique à balayage). (A) Trois mois après la déviation, Nereis atoque. Aucune trace de parapodes et de cirres anaux est visible. (B) Deux mois après la déviation, Nereis épitoque. Même légende que Fig. A. Remarquer les nombreuses papilles pygidiales entourant l’orifice anal.

Fig. 5.

FIGURE 5 Etude histologique de la régénération après déviation de l’intestin chez Nereis. (A) Régénération de parapodes à l’extrémité d’une Nereis dont l’intestin a été dévié du front d’amputation. Le parapode néoformé visible sur la photographie (flèche) est placé dans l’alignement du corps perpendiculairement aux parapodes de la souche dont les acicules seuls sont présents sur le cliché (astérisques); il est innervé par la chaîne nerveuse (cri). (B) Résorption (flèche) d’une queue régénérée sur la face dorsale du corps après déviation de l’intestin (z). L’intestin est séparé de la zone en voie de résorption par un tissu cicatriciel (c). en, chaîne nerveuse. (C) Régénération d’une queue (flèche) sur la face dorsale du corps après déviation de l’intestin (coupe transversale), en, chaîne nerveuse; i, intestin. (D) Régénération d’une queue segmentée sur la face dorsale du corps après déviation de l’intestin (coupe sagittale). L’axe de l’intestin de la souche (is) est perpendiculaire à celui du régénérât (/>). Les flèches indiquent la base du régénérat.

Fig. 5.

FIGURE 5 Etude histologique de la régénération après déviation de l’intestin chez Nereis. (A) Régénération de parapodes à l’extrémité d’une Nereis dont l’intestin a été dévié du front d’amputation. Le parapode néoformé visible sur la photographie (flèche) est placé dans l’alignement du corps perpendiculairement aux parapodes de la souche dont les acicules seuls sont présents sur le cliché (astérisques); il est innervé par la chaîne nerveuse (cri). (B) Résorption (flèche) d’une queue régénérée sur la face dorsale du corps après déviation de l’intestin (z). L’intestin est séparé de la zone en voie de résorption par un tissu cicatriciel (c). en, chaîne nerveuse. (C) Régénération d’une queue (flèche) sur la face dorsale du corps après déviation de l’intestin (coupe transversale), en, chaîne nerveuse; i, intestin. (D) Régénération d’une queue segmentée sur la face dorsale du corps après déviation de l’intestin (coupe sagittale). L’axe de l’intestin de la souche (is) est perpendiculaire à celui du régénérât (/>). Les flèches indiquent la base du régénérat.

Nous discuterons successivement de la régénération caudale en l’absence d’intestin puis de la régénération dorsale après déviation de l’intestin.

1. Régénération caudale en Vabsence d’intestin

Les résultats obtenus montrent que chez les Nereis étudiées aucun segment (segment sétigère ou pygidium) n’est régénéré en l’absence de tube digestif. Ce résultat diffère donc de tous ceux obtenus jusqu’à présent relatifs au rôle du tube digestif dans la régénération caudale des Annélides. En effet, bien que l’influence de l’intestin sur ce processus soit certaine (Berril, 1961), la régénération de segment n’est jamais bloquée mais uniquement ralentie en l’absence de tube digestif ; dans le cas extrême, seul le pygidium est restitué (Okada, 1938; Boilly, 1969a). Chez les Nereis étudiées, par contre, seuls des parapodes sont édifiés sur le front de section sans qu’aucune ébauche de segment n’apparaisse; le régénérât obtenu dans ces conditions ne représente donc pas une queue hétéromorphique. Une morphogenèse semblable a déjà été observée au cours de la régénération antérieure d’autres Polychètes (Abeloos, 1950, 1952; Boilly, 1961) mais est restée inexpliquée. Dans le cas présent, les résultats obtenus par Boilly-Marer (1969, 1971a, b) relatifs à l’induction de parapodes surnuméraires par juxta-position de territoires ventral et dorsal en présence de nerf pédieux, permettent d’interpréter nos observations. En effet, en l’absence d’intestin, la cicatrisation de la plaie ne peut s’effectuer que par recouvrement de celle-ci par la paroi du corps seule dont les bords sectionnés se soudent entre eux; ce processus entraîne donc une juxtaposition de territoires hétérologues (paroi de corps dorsale et ventrale) créant ainsi les conditions de déclenchement d’une morphogenèse parapodiale.

2. Régénération dorsale après déviation de l’intestin

Lorsque l’intestin est dévié vers la surface du corps et sa paroi fixeé solidement au tégument de façon à maintenir le tube digestif ouvert à l’extérieur, on assiste dans tous les cas à l’édification d’un régénérât de type caudal pourvu d’un pygidium, d’une zone de prolifération et d’un certain nombre de segments et dont la morphogenèse est semblable, dans ses grandes lignes, à celle obtenue après amputation de segments. Le résultat de cette contre-expérience permet donc d’affirmer sans ambiguïté que, chez la Nereis, l’intestin est indispensable à la régénération d’une queue. Les caractères morphologiques du régénérât obtenu dans ces conditions et les conditions de déclenchement de cette morphogenèse appellent cependant quelques commentaires.

(a) Caractères morphologiques du régénérât induit par déviation de l’intestin

Les régénérais obtenus sur la face dorsale du corps après déviation de l’intestin se caractérisent par l’absence de cirres anaux sur le pygidium et de parapodes sur les segments et rappellent à ce titre les régénérats aneurogéniques obtenus après déviation de la chaîne nerveuse du front de section (Boilly & Combaz, 1970); ils se comportent d’ailleurs de la même manière que ces derniers au cours de l’épitoquie en différenciant une couronne de papilles pygidiales toutes semblables (Boilly-Marer & Combaz, 1972). Une telle identité de comportement s’explique parfaitement bien puisque, dans les conditions de nos expériences de déviation dorsale de l’intestin, la chaîne nerveuse n’est pas lésée et ne peut en conséquence pénétrer dans le régénérât. Les régénérats dorsaux obtenus sont effectivement dépourvus de chaîne nerveuse tout comme les régénérats aneurogéniques obtenus par déviation de la chaîne nerveuse. Ils diffèrent cependant de ces derniers par le fait qu’ils sont formés uniquement au dépens du tégument dorsal alors que la mise en place des régénérats aneurogéniques procède toujours à partir du tégument de toute la périphérie du corps comme dans le cas normal. Néanmoins, en dépit de cette différence, il convient de remarquer que les régénérats aneurogéniques et dorsaux sont morphologiquement et anatomiquement semblables; on peut donc supposer, ou bien que la nature dorsale ou ventrale du tégument n’intervient pas dans l’édification du régénérât caudal, ou encore que le tégument du régénérât aneurogénique est entièrement de type dorsal comme le laissent d’ailleurs supposer d’autres résultats (Combaz & Boilly, 1971).

Les résultats de nos expériences démontrent donc que, si la régénération de la queue chez la Nereis dépend étroitement de la présence de l’intestin, l’absence de la chaîne nerveuse ne l’empêche pas, bien qu’elle retentisse sur l’organisation du régénérât (différenciation des cirres anaux et des parapodes). Ils permettent de réaffirmer l’originalité du comportement morphogénétique de la Nereis parmi les Annélides qui, dans l’ensemble, peuvent régénérer en l’absence du tube digestif mais nécessitent le plus souvent la présence de la chaîne nerveuse pour restituer les parties amputées.

(b) Conditions du déclenchement de la régénération dorsale

Il est intéressant de remarquer que le régénérât caudal est induit là où un contact permanent est assuré entre la paroi du corps et celle de l’intestin, bien que ces conditions expérimentales ne font que répéter ce qui se passe au cours de la cicatrisation normale consécutive à une amputation de segments (Boilly, 1969b). L’induction d’une morphogenèse par contact de tissus normalement séparés l’un de l’autre rappelle, en effet, le processus de déclenchement d’une néoformation parapodiale décrit par Boilly-Marer (1969, 1971 a, b). Selon cet auteur, l’induction de parapodes surnuméraires peut être réalisée par juxta-position d’une paroi de corps dorsale et d’une paroi de corps ventrale dans certaines conditions d’innervation (présence du nerf pédieux au niveau de la zone de contact des territoires hétérologues). De même, dans le cas de nos expériences, c’est le contact entre la paroi intestinale et celle du corps qui semble déclencher le processus régénérateur. Cependant, bien que le principe du déclenchement de la morphogenèse soit semblable (discontinuité tissulaire), les modalités en sont différentes; deux différences importantes méritent en effet d’être signalées, la première ayant trait à la nature et localisation des tissus, la seconde à l’intervention du système nerveux.

Nature et localisation des tissus. Dans le cas présent, les tissus entrant en contact sont différents (paroi de corps et intestinale) alors que dans l’induction parapodiale ils sont de même nature (paroi de corps uniquement); toutefois ils doivent provenir de sites différents (paroi de corps dorsale et ventrale) pour que la morphogenèse parapodiale puisse être déclenchée. Par contre, dans le cas de la régénération dorsale par déviation de l’intestin, le lieu d’origine des tissus impliqués dans la morphogenèse n’intervient pas dans le processus. En particulier, dans le cas de l’ouverture de la paroi de l’intestin à l’extérieur (Fig. 1 J), c’est uniquement de la paroi intestinale dorsale qui entre en contact avec de la paroi de corps dorsale.

On peut donc considérer à la lumière de ces résultats que c’est l’hétérogénéité du contact tissulaire qui déclenche le processus morphogénétique, l’hétérogénéité pouvant être créée par un contact entre tissus différents (cas de la régénération caudale) ou par un contact entre tissus semblables mais prélevés à des niveaux opposés d’un gradient de différenciation dorso-ventral (cas de la régénération parapodiale).

Intervention du facteur nerveux. L’induction parapodiale, par contact entre parois de corps dorsale et ventrale, n’est assurée qu’en présence d’un nerf pédieux au niveau de la zone de contact (Boilly-Marer, 1971 b). Par contre, dans le cas de la régénération dorsale d’une queue par déviation de l’intestin, la présence du système nerveux central, notamment de la chaîne nerveuse, n’est pas nécessaire pour permettre à la disharmonie tissulaire de se manifester. Ce résultat souligne à nouveau l’indépendance de la régénération caudale de la Nereis vis-à-vis du système nerveux (Boilly & Combaz, 1970). Nos expériences démontrent donc l’importance capitale du rôle de l’intestin dans l’induction de la régénération caudale de la Nereis et rappellent par analogie les travaux relatifs à la chaîne nerveuse dont le rôle dans le déclenchement de la régénération a été mis en évidence chez un grand nombre d’Annélides (Durchon, 1967).

Des expériences d’ablation localisée de l’intestin sur animal intact ou sur greffon, et de déviation de l’intestin vers la paroi dorsale du corps ont été réalisées chez les Annélides Polychètes Nereis pelágica L. et Perinereis cultriferaG. Les résultats obtenus sont les suivants:

  1. En l’absence d’intestin aucun segment n’est régénéré; par contre des parapodes sont édifiés sur le plan de section.

  2. Une queue segmentée est édifiée là où l’intestin est dévié; le régénérât obtenu est de type ‘aneurogénique’ et dépourvu de cirres anaux et de parapodes.

Ils permettent de considérer que c’est la contact de tissus différents (paroi intestinale - paroi du corps) qui déclenche la régénération caudale, la chaîne nerveuse n’intervenant que dans l’organisation de ce régénérât.

De même, la régénération caudale de parapodes résulte de la juxtaposition d’une paroi de corps dorsale et d’une paroi de corps ventrale en présence du système nerveux central.

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