ABSTRACT
Des recherches récentes (Salzgeber & Pinot, 1968) ont montré que les ébau-ches de membres d’embryons de 3 à jours d’incubation (stades 18 à 20 de Hamburger & Hamilton, 1951) traitées in vitro à l’aide d’une solution d’ypérite azotée et de liquide de Tyrode, et greffées après lavage à l’embryon de Poulet, évoluent en membres micromèles, phocomèles ou ectromèles. Le type de mal-formation obtenue dépend de la durée du traitement et de la concentration de la solution. Ces expériences apportent la preuve d’une action directe de l’ypérite azotée sur les ébauches de membres.
Des expériences de dissociation et de réassociation des constituants de l’ébauche, après traitement de l’un d’entre eux par l’ypérite azotée, ont en outre montré une différence très nette de la sensibilité entre les deux territoires (Salzgeber & Wolff, 1966), Salzgeber (1967, 1968b). Des bourgeons provenant de la réassociation d’un mésoderme traité et d’un ectoderme sain évoluent dans certaines conditions expérimentales en membres micromèles, phocomèles ou ectromèles alors que le même traitement appliqué au constituant ectodermique détermine, dans la plupart des cas, l’apparition de membres normaux.
Nous nous proposons, au cours de ce travail, de soumettre le constituant ectodermique à l’action de doses croissantes d’ypérite azotée et de comparer les malformations ainsi obtenues à celles qui sont déterminées par l’action de la substance toxique sur le constituant mésodermique. Ces observations morphologiques du squelette ont été complétées par des examens histologiques portant sur des greffons prélevés 6, 15, 24 et 48 h après le traitement.
Les recherches exposées dans ce travail concernent des associations de tissus provenant de bourgeons de pattes. Elles corroborent les résultats obtenus avec les bourgeons alaires au cours de travaux antérieurs (Salzgeber, 1968d) et montrent, d’une part, que les deux constituants de l’ébauche n’ont pas la même sensibilité envers l’agent radiomimétique, et d’autre part, que les mal-ormations obtenues sont différentes selon que le tissu traité est de nature ectodermique ou mésodermique.
Des associations chimères résultant d’une recombinaison d’un mésoderme de patte et d’un ectoderme d’aile ou inversement d’un mésoderme d’aile et d’un ectoderme de patte ont aussi été réalisées. Les recherches de Zwilling (1955), de Hampé (1959) ont montré que dans les cas d’échanges entre constituants alaires et pédieux, c’est toujours le constituant mésodermique qui détermine l’évolution des pièces squelettiques du membre. Ainsi un bourgeon, constitué d’un mésoderme de patte, recouvert d’un ectoderme d’aile, évolue en patte, et inversement, un ectoderme de patte associé à un mésoderme d’aile donne une aile. Ces expériences mettent en évidence le rôle du mésenchyme dans la détermination de la qualité du membre, de son évolution en aile ou en patte.
Comment évolue le bourgeon provenant d’une association chimère après traitement à l’ypérite azotée du constituant mésodermique? Ce tissu altéré est-il capable d’orienter l’évolution du membre en patte ou en aile ?
TECHNIQUES
Les bourgeons, prélevés au stade 18–19 de Hamburger & Hamilton (3 jours d’incubation), sont plongés dans une solution d’ypérite azotée et de liquide de Tyrode à des concentrations variant de 0,05 mg à 0,5 mg/ml. La durée du traitement est de 5 à 20 min pour une concentration de 0,05 mg/ml et de 5 min pour une concentration de 0,1 à 0,5 mg/ml. Après lavage des embryons au liquide de Tyrode, on excise les bourgeons de pattes ou d’ailes et on les traite selon la méthode de Zwilling (1955) soit par une solution de trypsine (2% Difco dans le Tyrode sans calcium ni magnésium) pour obtenir le constituant ectodermique, soit par une solution de versène EDTA (Kestranal 1 ‰) pour obtenir le constituant mésodermique. Les deux territoires sont ensuite réassociés; le mésoderme d’un bourgeon traité est recombiné à l’ectoderme d’un bourgeon sain et inversement le mésoderme d’un bourgeon sain est placé au contact d’un ectoderme d’un bourgeon traité.
L’ensemble de l’ébauche est greffé à un embryon hôte de stade 19–20, à la place des bourgeons d’ailes préalablement excisés, selon une méthode mise au point par Hampé (1959). Les bourgeons témoins subissent les mêmes traitements, l’ypérite azotée étant remplacée par le liquide de Tyrode. Pendant les 24 et 48 h qui suivent l’opération, on contrôle l’évolution des bourgeons greffés; les transplants mal greffés sont éliminés.
Tous les embryons sont autopsiés et fixés au liquide de Bouin le 10° jour de l’incubation, soit 7 jours après le traitement. Afin de mettre en évidence le squelette, la plupart d’entre eux sont traités selon la technique de Lundvall (1927).
Des bourgeons de membres sont fixés au liquide de Bouin à différents intervalles après le traitement (6 à 48 h) en vue d’une étude histologique. Les colorations sont effectuées à l’hémalun de Mayer–Eosine.
RESULTATS
A. Associations homogènes de mésoderme et d’ectoderme de bourgeons de patte
Les observations ont porté sur 29 membres témoins et sur 116 membres ‘traités à l’ypérite azotée’. Cinquante quatre d’entre eux proviennent de l’association d’un mésoderme ‘traité’ (0,05 à 0,5 mg/ml) et d’un ectoderme sain; 62 sont constitués d’un mésoderme sain et d’un ectoderme ‘traité’ (0,05 à 0,5 mg/ml). Sur les 29 pattes témoins, 16 appartiennent à la série ‘traitement du mésoderme’ et 13 à la série ‘traitement de l’ectoderme’ l’ypérite azotée étant dans ces cas remplacée par le liquide de Tyrode. Les études histologiques concernent 18 cas témoins et 47 bourgeons traités à l’ypérite azotée. Les greffons ont été prélevés 6, 15, 24 ou 48 h après la greffe.
1. Etudes morphologiques
Les résultats de ces expériences sont consignés dans les table 1 et 2.
Après traitement du constituant mésodermique (Tableau 1) la malformation phocomèle (fig. 1 A) domine pour des doses de 0,05 mg/ml. Vingt et un membres sur 27 sont de type phocomèle. Le nombre de sujets ectromèles (fig. 1 B) et celui des phocomèles ne possédant qu’un seul doigt augmentent avec la concentration de la solution ou avec la durée du traitement. Pour des doses supérieures à 0,3 mg/ml, le développement des bourgeons greffés est inhibé dans 8 cas sur 8.
Les ébauches de membres, provenant de la réassociation d’un mésoderme de patte et d’un ectoderme de patte, ont été greffées à l’emplacement de bourgeons alaires préalablement excisés d’embryons hôtes de jours. Stade de traitement des bourgeons: 3 jours. Autopsie de tous les embryons hôtes: 7 jours après le traitement. (A) Patte phocomèle à 3 doigts. Le mésoderme avait été traité pendant 6 min. Dose d’ypérite azotée: 0,05 mg/ml de Tyrode. (B) Un minuscule moignon (flèche) est visible à l’emplacement du bourgeon d’aile. Malformation de type ectromèle. Dose: 0,05 mg/ml. Durée de traitement du méso-derme: 8 min. (C) Patte d’aspect normal. Traitement de l’ectoderme, concentration de 0,05 mg/ml pendant 8 min. (D) Patte de type micromèle et à partie distale réduite. Soudure des doigts. Traitement de l’ectoderme: 0,05 mg/ml pendant 20 min.
Les ébauches de membres, provenant de la réassociation d’un mésoderme de patte et d’un ectoderme de patte, ont été greffées à l’emplacement de bourgeons alaires préalablement excisés d’embryons hôtes de jours. Stade de traitement des bourgeons: 3 jours. Autopsie de tous les embryons hôtes: 7 jours après le traitement. (A) Patte phocomèle à 3 doigts. Le mésoderme avait été traité pendant 6 min. Dose d’ypérite azotée: 0,05 mg/ml de Tyrode. (B) Un minuscule moignon (flèche) est visible à l’emplacement du bourgeon d’aile. Malformation de type ectromèle. Dose: 0,05 mg/ml. Durée de traitement du méso-derme: 8 min. (C) Patte d’aspect normal. Traitement de l’ectoderme, concentration de 0,05 mg/ml pendant 8 min. (D) Patte de type micromèle et à partie distale réduite. Soudure des doigts. Traitement de l’ectoderme: 0,05 mg/ml pendant 20 min.
Le dénombrement des pièces squelettiques (fig. 2B, Tableau 3) révèle l’absence d’éléments proximaux dans 18 cas sur 25. Le péroné manque dans tous les cas. La partie distale, constituée par les métatarsiens et les doigts, est aussi affectée, mais elle l’est moins que la partie proximale. Le doigt III est toujours présent.
Dénombrement des pièces squelettiques présentes dans les membres étudiés (les flèches indiquent les soudures de pièces squelettiques)

Squelettes de pattes provenant d’ébauches de membres ‘recombinées’. Les agrafes indiquent l’emplacement du greffon. F = fémur; T = tibia; MT = métatarsiens; P = péroné; doigts = I, 11, III, IV. (A) .Patte témoin à 4 doigts. Toutes les phalanges sont présentes: le doigt I à 2 phalanges, le doigt II à 3 phalanges, le doigt III à 4 phalanges, le doigt IV à 5 phalanges, mais la dernière phalange des doigts III et IV est peu visible sur la photo. (B).Patte phocomèle obtenue à partir d’un bourgeon dont le mésoderme avait été soumis à un traitement à l’ypérite azotée pendant 6 min (concentration 0,05 mg/ml). (C) .Traitement de l’ectoderme pendant 10 min à la concentration de 0,05 mg/ml. Faible raccourcissement du tibia. Présence d’un péroné de même longeur que le tibia. Les métatarsiens sont de taille normale. Les doigts sont malformés. Le doigt II ne possède qu’une seule phalange, laquelle est soudée à la première phalange du doigt III. Celui-ci présente 4 phalanges et le doigt IV n’en possède que 4 au lieu de 5. (D).Traitement de l’ectoderme pendant 5 min, concentration d’ypérite: 0,4 mg/ml. Tibia de taille normale. Le péroné est présent mais n’est pas visible sur la photo. Malformation de la partie distale. Le doigt III possède 1 phalange, le doigt IV a 2 phalanges. (E) .Traitement de l’ectoderme pendant 5 min. Concentration de la solution d’ypérite : 0,1 mg/ml de Tyrode. Faible raccourcissement du tibia. Le péroné est présent. L’extrémité distale du membre est malformée. Soudure des métatarsiens 2 et 3. Doigt IV à 2 phalanges, doigt III à 1 phalange, doigt II à 1 phalange? Fusion des doigts. (F).Patte provenant d’un bourgeon dont l’ectoderme avait été traité pendant 5 min à la dose de 0,2 mg/ml. Tibia bien développé, mais absence du péroné. Soudure des doigts et des métatarsiens. (G). Traitement de l’ectoderme, 0,5 mg pendant 5 min. Membre réduit à un moignon. (H). Traitement de l’ectoderme pendant 5 min. Dose de 0,5 mg/ml. Présence d’un péroné. Réduction considérable des doigts, mais les métatarsiens MT4 et MT3 sont bien développés.
Squelettes de pattes provenant d’ébauches de membres ‘recombinées’. Les agrafes indiquent l’emplacement du greffon. F = fémur; T = tibia; MT = métatarsiens; P = péroné; doigts = I, 11, III, IV. (A) .Patte témoin à 4 doigts. Toutes les phalanges sont présentes: le doigt I à 2 phalanges, le doigt II à 3 phalanges, le doigt III à 4 phalanges, le doigt IV à 5 phalanges, mais la dernière phalange des doigts III et IV est peu visible sur la photo. (B).Patte phocomèle obtenue à partir d’un bourgeon dont le mésoderme avait été soumis à un traitement à l’ypérite azotée pendant 6 min (concentration 0,05 mg/ml). (C) .Traitement de l’ectoderme pendant 10 min à la concentration de 0,05 mg/ml. Faible raccourcissement du tibia. Présence d’un péroné de même longeur que le tibia. Les métatarsiens sont de taille normale. Les doigts sont malformés. Le doigt II ne possède qu’une seule phalange, laquelle est soudée à la première phalange du doigt III. Celui-ci présente 4 phalanges et le doigt IV n’en possède que 4 au lieu de 5. (D).Traitement de l’ectoderme pendant 5 min, concentration d’ypérite: 0,4 mg/ml. Tibia de taille normale. Le péroné est présent mais n’est pas visible sur la photo. Malformation de la partie distale. Le doigt III possède 1 phalange, le doigt IV a 2 phalanges. (E) .Traitement de l’ectoderme pendant 5 min. Concentration de la solution d’ypérite : 0,1 mg/ml de Tyrode. Faible raccourcissement du tibia. Le péroné est présent. L’extrémité distale du membre est malformée. Soudure des métatarsiens 2 et 3. Doigt IV à 2 phalanges, doigt III à 1 phalange, doigt II à 1 phalange? Fusion des doigts. (F).Patte provenant d’un bourgeon dont l’ectoderme avait été traité pendant 5 min à la dose de 0,2 mg/ml. Tibia bien développé, mais absence du péroné. Soudure des doigts et des métatarsiens. (G). Traitement de l’ectoderme, 0,5 mg pendant 5 min. Membre réduit à un moignon. (H). Traitement de l’ectoderme pendant 5 min. Dose de 0,5 mg/ml. Présence d’un péroné. Réduction considérable des doigts, mais les métatarsiens MT4 et MT3 sont bien développés.
Les mesures de l’axe squelettique (fémur + tibia + métatarsien 3 +doigt III) et de la partie distale (métatarsien 3 et doigt III) ont été portées dans le Tableau 4 Le rapport D/A (longueur de la partie distale/longueur de l’axe squellettique) est de 0,60 dans les cas de phocomélie où la partie proximale subsiste, alors que chez les témoins, ce rapport est de 0,46. J’ai mentionné dans ce tableau des mesures de pattes provenant de bourgeons entiers traités par l’ypérite azotée (0,05 mg/ml), mais non dissociés et greffés entiers à l’embryon hôte. Dans les deux séries d’expériences, les rapports sont semblables. Ces mesures montrent la dominance de la partie distale sur la partie proximale; elle représente 60% de l’axe squelettique total.
Moyenne des longueurs des axes squelettiques A (fémur + tibia + métatarsien 3 + doigt III) et des parties distales D (métatarsien 3 + doigt III) en mm. Rapport de ces longueurs dans le cas des différents traitements

Les effets de l’ypérite azotée sur le constituant ectodermique (Tableau 2) portent essentiellement sur la partie distale du membre. Sur 62 greffons ayant atteint l’âge de 10 jours, 10 sont normaux, 38 présentent des malformations distales et 10 sont dépourvus d’articles distaux (hémimèles); 2 bourgeons n’ont pas évolué (ectromèles); 2 pattes sont raccourcis (micromèles). On constate que les doses faibles (0,05 mg/ml, 5 à 8 min) n’ont pas d’action sur l’ectoderme; la plupart des membres, 8 sur 9, évoluent normalement, (fig. 1 C). Une patte présente une légère réduction de taille mais les pièces squelettiques sont présentes. Dans les cas où l’ectoderme provient de bourgeons soumis à des doses plus élevées (0,05 mg/ml, 10 à 20 min de traitement ou des doses supérieures à 0,05 mg/ml, pendant 5 min) des malformations distales apparaissent, alors que la région proximale n’est pas ou peu atteinte (fig. 1D). Des doses de 0,1 à 0,3 mg/ ml sont essentiellement responsables de l’apparition de ces anomalies distales. Vingt membres ont des doigts déformés, soudés ou raccourcis, 2 ne possèdent que la partie proximale: tibia et fémur. Enfin dans le cas des 13 membres dont l’ectoderme a été soumis aux doses de 0,4 et 0,5 mg/ml pendant 5 min, 8 ont évolué en hémimèles, leurs squelettes étant réduits à la seule partie proximale et 5 présentent des anomalies des doigts et des métatarsiens. Les expériences effectuées à l’aide de doses élevées (1 mg/ml de Tyrode) n’ont pas été mention-nées dans le tableau, car la réassociation d’un tel ectoderme traité avec un mésoderme sain s’est avérée difficile; l’ectoderme trop altéré ne reste pas au contact du mésoderme et se détache de ce constituant au moment de la greffe. Sur 12 membres provenant d’associations réussies, 4 possèdent des doigts mal-formés, 2 n’ont pas évolué et 6 ne présentent qu’une seule pièce cartilagineuse, le fémur. A l’aspect extérieur, ces pattes à parties distales malformées présentent des doigts soudés ou réduits de taille (Fig. 2, C à F). L’étude du squelette montre des déformations de doigts caractérisées par la courbure des articles distaux, l’absence d’un ou plusieurs doigts (ectrodactylie), ou des soudures de doigts et de phalanges (syndactylie). Les altérations portent aussi bien sur les doigts que sur les métatarsiens (Tableau 3) :
Dix-sept pattes seulement sur 42 membres étudiés possèdent le métatarsien 1 (MT1. Dans 28 cas, les métatarsiens 2 et 3 (MT2 et MT3) ont fusionné (la fusion est indiquée par une flèche↔dans le Tableau 3). Le métatarsien 4 (MT4) est présent dans 34 cas sur 42. Notons que le doigt III persiste dans la plupart des cas (36 sur 42), mais il est généralement plus court que le doigt IV. Dans 3 cas seulement, il possède le nombre normal de 4 phalanges; dans 29 cas, il est réduit à une phalange; dans 8 cas, il est soudé au doigt II.
Pour les autres doigts I, II, IV, on observe aussi des réductions du nombre de phalanges. Les 42 membres étudiés présentent tous un fémur et un tibia. Ceux-ci sont parfois de taille réduite. Le péroné est visible dans 32 cas sur 42 alors qu’après traitement du mésoderme, il est toujours absent.
Les moyennes des mesures concernant la longueur de l’axe squelettique et la longueur de la partie distale sont consignées dans le Tableau 4. On observe un net raccourcissement de la partie distale. Le rapport D/A est nettement inférieur à celui du témoin. 11 est de 0,23 et 0,25 dans le cas des malformations distales alors qu’il est de 0,46 pour les pattes témoins.
2. Etudes histologiques
Les études histologiques ont porté sur 18 bourgeons témoins et 47 bourgeons ‘traités’. Dans 20 cas, c’est le mésoderme qui a été soumis à l’action de l’ypérite azotée, aux concentrations de 0,05 à 0,5 mg/ml pendant 5 min. Dans 27 cas, l’ectoderme a été traité avec des doses de 0,2 et 0,5 mg/ml de Tyrode, pendant 5 min. Les bourgeons de pattes ont été fixés au liquide de Bouin 6, 15, 24 et 48 h après avoir été greffés à l’embryon de Poulet hôte. Des bourgeons entiers, non dissociés, traités pendant 5 min (doses de 0,05 à 0,2 mg/ml) et greffés après lavage sur un embryon hôte, présentent, 24 h après le traitement, des altérations comparables à celles décrites pour les bourgeons de membres d’embryons traités dans l’œuf (Salzgeber, 1964, 1966). Sous une cape apicale, de structure dense, à cellules petites, d’aspect cylindrique, s’étend un mésenchyme lâche à gros noyaux et à nombreuses figures mitotiques anormales (fig. 3 B). De fortes doses d’ypérite azotée (0,5 mg/ml) sont toxiques pour les deux constituants; après 24 h de traitement, on observe de nombreux noyaux pycnotiques non seulement dans le tissu mésodermique mais aussi dans le tissu ectodermique.
Coupes transversales de bourgeons de membres, 24 h après le traitement. M = mésoderme; E = ectoderme; c.a. = cape apicale. Coloration: hématoxyline-éosine. (A) .Bourgeon témoin non dissocié. Traitement au liquide de Tyrode pendant 6 min. (B). Bourgeon non dissocié, greffé à l’embryon après un traitement de 6 min à l’ypérite azotée, dose de 0,05 mg/ml de Tyrode. Mésenchyme (M) à gros noyaux; la cape apicale (c.a.) est bien développée. (C) . Bourgeon témoin provenant de la réassociation d’un mésoderme traité au liquide de Tyrode et d’un ectoderme sain. (D).Bourgeon provenant de la recombinaison d’un mésoderme traité à l’ypérite azotée (0,05 mg/ml pendant 5 min) et d’un ectoderme sain. Le mésenchyme présente une structure lâche. Le bourgeon de membre a le même aspect qu’un bourgeon traité non dissocié (fig. 3B).
Coupes transversales de bourgeons de membres, 24 h après le traitement. M = mésoderme; E = ectoderme; c.a. = cape apicale. Coloration: hématoxyline-éosine. (A) .Bourgeon témoin non dissocié. Traitement au liquide de Tyrode pendant 6 min. (B). Bourgeon non dissocié, greffé à l’embryon après un traitement de 6 min à l’ypérite azotée, dose de 0,05 mg/ml de Tyrode. Mésenchyme (M) à gros noyaux; la cape apicale (c.a.) est bien développée. (C) . Bourgeon témoin provenant de la réassociation d’un mésoderme traité au liquide de Tyrode et d’un ectoderme sain. (D).Bourgeon provenant de la recombinaison d’un mésoderme traité à l’ypérite azotée (0,05 mg/ml pendant 5 min) et d’un ectoderme sain. Le mésenchyme présente une structure lâche. Le bourgeon de membre a le même aspect qu’un bourgeon traité non dissocié (fig. 3B).
Les bourgeons provenant de la réassociation d’un ectoderme sain et d’un mésoderme traité dans les mêmes conditions que les bourgeons entiers, évoluent comme ces derniers. La figure 3D montre les zones de la cape apicale normale et du mésenchyme sous-jacent à gros noyaux, 24 h après transplantation à l’embryon hôte. Des amas de cellules nécrotiques apparaissent dans les cas d’altérations importantes du tissu mésodermique, et au cours du développement ultérieur, entre 30 et 48 h après le traitement. Notons que les doses supérieures à 0,1 mg/ml affectent le mésoderme de la même manière que les doses plus faibles. La cape apicale est maintenue et paraît normale. Au contact d’un mésoderme très altéré, contenant de nombreux noyaux en pycnose, et obtenu après traitement avec des doses de 0,2 à 0,5 mg/ml, la cape apicale évolue d’abord normalement pendant 24 h; des signes de dégénérescence apparaissent ultérieurement. La structure de la crête est désorganisée et des pycnoses sont visibles. La plupart de ces bourgeons ne se développent pas (malformations ectromèles).
Comment évolue l’ectoderme provenant de bourgeons traités avec des doses croissantes d’ypérite azotée et placé au contact d’un mésoderme de bourgeons sains? Nous avons utilisé au cours de ces expériences, deux concentrations différentes d’ypérite azotée, d’une part, 0,2 mg/ml, dose qui détermine l’apparition de malformations de la partie distale (fig. 2F) et d’autre part 0,5 mg/ml, dose qui affecte le développement de manière plus intense; la croissance du membre est affectée et la formation de la partie distale est inhibée (fig. 2G, H).
Les tissus soumis à des doses faibles d’ypérite azotée (0,05 mg/ml) ont le même aspect que les témoins. L’examen de coupes effectuées dans la zone distale du bourgeon de membre, 24 h après la réassociation d’un mésenchyme sain et d’un ectoderme traité par l’ypérite azotée (dose de 0,2 mg/ml, Fig. 4C) montre un mésenchyme normal de structure dense à nombreuses figures mitotiques. L’ectoderme et la cape apicale qui le recouvrent présentent des signes d’altérations. Les anomalies restent néanmoins faibles et localisées; la crête est présente, elle contient des cellules altérées et des noyaux pycnotiques. Par endroits, l’ectoderme et la crête s’effritent. Au cours du développement ultérieur, 48 h après le traitement, on observe des régions saines et des zones en dégénérescence (fig. 4D). La cape apicale, de petite taille dans la plupart des cas, est présente; elle contient quelques éléments pycnotiques et des cellules s’en détachent. Si l’ectoderme provient de bourgeons traités avec de fortes doses d’ypérite azotée (0,5 mg/ml) et s’il est associé à un mésenchyme sain, le bourgeon ainsi reconstitué montre des figures de dégénérescence, 6 h après la greffe, alors que le bourgeon témoin est sain. Non seulement, l’ectoderme et la crête, mais aussi le mésoderme sous-jacent sont atteints. La zone de nécrose est particulièrement nette dans la région distale; du côte proximal, on observe des cellules saines parmi les éléments nécrotiques. Vingt quatre heures après le traitement, la désorganisation des tissus est complète (fig. 4E). Ces bourgeons ressemblent aux bourgeons dénudés, greffés à l’embryon après traitement par le Versène et non associés à une calotte ectodermique. Ces observations histologiques mettent en évidence la sensibilité différentielle des deux constituants, méso-dermique et ectodermique, de l’ébauche. Les doses nécessaires pour détruire le composant ectodermique sont supérieures à celles qui déterminent l’altération du constituant mésodermique.
Sections transversales ou sagittales de bourgeons de membres fixés 24h, 48 h après la greffe à l’embryon de Poulet hôte. Tous les bourgeons proviennent de la ré-association d’un ectoderme ‘traité’ et d’un mésoderme sain. M — mésoderme; E = ectoderme; c.a. = cape apicale. (A). Bourgeon témoin réassocié à partir d’un ectoderme traité au liquide de Tyrode et d’un mésoderme. Fixation du bourgeon, 24h après la greffe. Nombreuses mitoses dans le mésenchyme (M). (B). Bourgeon témoin, 48h après la greffe. (C). Traitement de l’ectoderme pendant 5 min à la dose de 0,2 mg/ml. Fixation 24 h après le traitement. Altérations de la cape apicale. (D). L’ectoderme a subi le même traitement que celui du bourgeon de la fig. 4 C (0,2 mg pendant 5 min), mais la fixation a été effectuée 48 h après le traitement. La cape apicale est peu développée et l’ectoderme s’effrite. (E) .Traitement de l’ectoderme pendant 5 min à la dose de 0,5 mg/ml. Fixation de l’ébauche: 24h après le traitement. Altérations de la calotte ectodermique et présence de nombreuses zones de nécrose dans le mésenchyme. (F). Traitement de l’ectoderme (0,5 mg/ml pendant 5 min). Fixation 48h après le traitement. Effritement de la cape apicale. Présence de vacuoles dans le mésenchyme provenant vraisemblablement de la dégénérescence de cellules.
Sections transversales ou sagittales de bourgeons de membres fixés 24h, 48 h après la greffe à l’embryon de Poulet hôte. Tous les bourgeons proviennent de la ré-association d’un ectoderme ‘traité’ et d’un mésoderme sain. M — mésoderme; E = ectoderme; c.a. = cape apicale. (A). Bourgeon témoin réassocié à partir d’un ectoderme traité au liquide de Tyrode et d’un mésoderme. Fixation du bourgeon, 24h après la greffe. Nombreuses mitoses dans le mésenchyme (M). (B). Bourgeon témoin, 48h après la greffe. (C). Traitement de l’ectoderme pendant 5 min à la dose de 0,2 mg/ml. Fixation 24 h après le traitement. Altérations de la cape apicale. (D). L’ectoderme a subi le même traitement que celui du bourgeon de la fig. 4 C (0,2 mg pendant 5 min), mais la fixation a été effectuée 48 h après le traitement. La cape apicale est peu développée et l’ectoderme s’effrite. (E) .Traitement de l’ectoderme pendant 5 min à la dose de 0,5 mg/ml. Fixation de l’ébauche: 24h après le traitement. Altérations de la calotte ectodermique et présence de nombreuses zones de nécrose dans le mésenchyme. (F). Traitement de l’ectoderme (0,5 mg/ml pendant 5 min). Fixation 48h après le traitement. Effritement de la cape apicale. Présence de vacuoles dans le mésenchyme provenant vraisemblablement de la dégénérescence de cellules.
Au cours de nos expériences, nous avons observé dans la plupart des bour-geons, fixés 6 à 24 h après la greffe, la présence de pycnoses ou de cellules dégénérées au sommet de la crête apicale. De telles altérations ont été décrites par Searls & Zwilling (1964) qui constatent, en outre, la dégénérescence suivie de régénération de la cape apicale, dans certaines conditions expérimentales.
B. Etude des associations chimères
Des associations chimères ont été effectuées entre le mésoderme de bourgeon d’aile et l’ectoderme de bourgeon de patte et inversement entre le mésoderme de bourgeon de patte et l’ectoderme de bourgeon d’aile.
1. Association: mésoderme de bourgeon d’aile et ectoderme de bourgeon de patte
Quinze greffons témoins ont atteint le stade de 10 jours. Les 15 membres sont de type aile: 12 ont évolué normalement (fig. 5A) et 3 sont légèrement raccourcis (micromèles).
Squelettes de pattes ou d’ailes provenant d’ébauches chimères: associations entre le mésoderme de bourgeon d’aile et l’ectoderme de bourgeon de patte et inversement entre le mésoderme de bourgeon de patte et l’ectoderme de bourgeon d’aile. F = fémur; T = tibia; P = Péroné; MT = métatarsiens; D = doigts; H = Humérus; R = Radius; C = Cubitus; MC = métacarpiens. Les grossissements des figures sont identiques à ceux des figures 2. (A)Témoin: mésoderme de bourgeon d’aile + ectoderme de bourgeon de patte. Formation d’une aile normale. (B) Témoin: mésoderme de bourgeon de patte + ectoderme de bourgeon d’aile. Formation d’une patte normale. (C)Mésoderme de bourgeon d’aile (4 min de traitement à l’ypérite azotée, 0,05 mg/ ml) associé à l’ectoderme d’un bourgeon de patte. Formation d’une aile de taille réduite. (D)Mésoderme de bourgeon de patte (5 min de traitement, 0,05 mg/ml) associé à l’ectoderme d’un bourgeon alaire. Patte d’aspect phocomèle. (E). Mésoderme sain de bourgeon d’aile associé à un ectoderme de bourgeon de patte (5 min de traitement, 0,2 mg/ml). Développement d’une aile à partie distale réduite. (F).Mésoderme normal de bourgeon de patte associé à l’ectoderme de bourgeon d’aile traité (5 min de traitement, 0,2 mg/ml). Bon développement de la partie proximale, mais réduction de la partie distale.
Squelettes de pattes ou d’ailes provenant d’ébauches chimères: associations entre le mésoderme de bourgeon d’aile et l’ectoderme de bourgeon de patte et inversement entre le mésoderme de bourgeon de patte et l’ectoderme de bourgeon d’aile. F = fémur; T = tibia; P = Péroné; MT = métatarsiens; D = doigts; H = Humérus; R = Radius; C = Cubitus; MC = métacarpiens. Les grossissements des figures sont identiques à ceux des figures 2. (A)Témoin: mésoderme de bourgeon d’aile + ectoderme de bourgeon de patte. Formation d’une aile normale. (B) Témoin: mésoderme de bourgeon de patte + ectoderme de bourgeon d’aile. Formation d’une patte normale. (C)Mésoderme de bourgeon d’aile (4 min de traitement à l’ypérite azotée, 0,05 mg/ ml) associé à l’ectoderme d’un bourgeon de patte. Formation d’une aile de taille réduite. (D)Mésoderme de bourgeon de patte (5 min de traitement, 0,05 mg/ml) associé à l’ectoderme d’un bourgeon alaire. Patte d’aspect phocomèle. (E). Mésoderme sain de bourgeon d’aile associé à un ectoderme de bourgeon de patte (5 min de traitement, 0,2 mg/ml). Développement d’une aile à partie distale réduite. (F).Mésoderme normal de bourgeon de patte associé à l’ectoderme de bourgeon d’aile traité (5 min de traitement, 0,2 mg/ml). Bon développement de la partie proximale, mais réduction de la partie distale.
Après traitement à l’ypérite azotée du bourgeon alaire dont le mésoderme est ensuite placé au contact d’un ectoderme de bourgeon de patte normal, on voit apparaître des malformations ectromèles, phocomèles ou micromèles (fig. 5C). Toutes les pièces squelettiques, lorsqu’elles sont présentes, sont de type aile. Quatorze bourgeons ont été soumis à un traitement variant de 4 à 6 min (0,05 mg/ml); 11 d’entre eux ont évolué jusqu’au stade de l’autopsie de l’hôte (10 jours). Ces membres sont de type phocomèle (6 cas), micromèle (2 cas) ou ectromèle (3 cas).
L’expérience inverse qui consiste à recombiner un mésoderme d’une ébauche alaire saine avec un ectoderme d’une ébauche de patte traitée à l’ypérite azotée (0,2 et 0,4 mg/ml, durée 5 min) fait apparaître des anomalies de la partie distale. Sur 9 greffons, observés à l’âge de 10 jours: 2 ont évolué normalement, 4 présentent des fusions et des raccourcissements de doigts et 3 sont réduits à leur seule partie proximale, la partie distale est absente (fig. 5E).
2. Associations:mésoderme de bourgeon de patte et ectoderme de bourgeon d’aile
Les observations ont porté sur 10 bourgeons témoins et sur 31 bourgeons dont le mésoderme ou l’ectoderme ont été soumis à l’action de l’ypérite azotée. Les 10 bourgeons témoins ont tous évolué en membres de type patte: 9 d’entre eux sont normaux (fig. 5 B), 1 patte présente 1 doigt supplémentaire à 2 phalanges.
Les membres provenant de bourgeons ‘reconstitués’ à partir d’un mésoderme de patte traité à l’ypérite azotée (0,05 mg/ml) pendant 4 à 6 min et d’un ecto-derme d’aile ont évolué soit en phocomèles de type patte (13 cas, fig. 5D), en micromèles (2 cas) ou en ectromèles (12 cas).
Dans les 4 cas d’une association de mésoderme de bourgeon de patte sain et d’ectoderme de bourgeon d’aile traité (0,2 mg/ml pendant 5 min), on obtient également des pattes mais dont la partie distale est réduite (fig. 5 F). Les malformations obtenues sont identiques à celles qu’on obtient dans les combinaisons homogènes de mésoderme de patte avec l’ectoderme de patte.
Les expériences témoins qui consistent à soumettre le constituant mésodermique au liquide de Tyrode (durée 8 min) confirment les résultats obtenus par Zwilling (1955), Hampé (1959), Kieny (1959) et Amprino & Camosso (1963) sur le développement des membres chimères. L’évolution du membre est conforme à l’origine du mésoderme. Tous les bourgeons de membres ‘reconstitués’ donnent des pattes si le mésoderme est de type patte ou des ailes si le mésoderme est de type aile. Le traitement du constituant mésodermique ne modifie pas cette évolution du membre en aile ou en patte. Les pièces squelettiques qui subsistent sont déterminées par le constituant mésodermique, quel que soit son degré d’altération. Les malformations obtenues sont identiques à celles qu’on obtient dans le cas de combinaison: mésoderme de patte et ectoderme de patte ou mésoderme d’aile avec ectoderme d’aile, après traitement de l’un d’entre eux par l’ypérite azotée.
CONCLUSIONS
On sait, d’après les travaux de nombreux auteurs, Saunders (1948), Zwilling (1955, 1961), Hampé (1957, 1959), Kieny (1960), que la morphogenèse normale du membre de l’embryon de poulet dépend d’interactions réciproques entre les deux constituants du bourgeon, le mésoderme et l’ectoderme. L’épiblaste et sa crête apicale assureraient la croissance et la formation des parties distales du membre, le mésoderme maintiendrait l’activité de l’ectoderme apical. Nos recherches montrent qu’en agissant à l’aide d’un facteur toxique, sur l’un ou l’autre des constituants des bourgeons de membres, cette morphogenèse nor-male est perturbée. On obtient différents types de malformations selon que l’action porte sur le territoire mésodermique ou ectodermique de l’ébauche (Tableau 5).
Le traitement du constituant mésodermique détermine essentiellement des altérations des territoires proximaux. C’est le cas de la phocomélie, malformation caractérisée par l’absence ou la réduction extrême du fémur, du tibia et parfois des métatarsiens. Le péroné manque dans tous les cas. La partie distale persiste et présente 2, 3, ou 4 doigts. Dans les cas de dégénérescence plus accentués, on n’observe qu’un seul doigt, le doigt III; et, dans les cas extrêmes, le bourgeon dégénère complètement; il en résulte la malformation de type ectromèle. Ces expériences apportent une explication embryologique à la genèse des malformations phocomèles et ectromèles obtenues après traitement de l’embryon dans l’œuf, à un stade précis du développement. En effet, au stade de l’intervention, les territoires proximaux, en voie de différenciation, sont sensibles à l’action de la substance tératogène alors que la calotte ectodermique n’est pas altérée. Celle-ci peut donc induire la formation de parties distales à partir de territoires qui n’ont pas été détruits par le traitement; mais la croissance des zones proximales du bourgeon de membre est inhibée, le mésoderme altéré ne pouvant répondre à l’action inductrice de la cape apicale. Une atteinte plus intense du mésoderme entraîne la dégénérescence du bourgeon. Des expériences chimères, réalisées en associant un mésoderme d’un bourgeon de patte, traité à l’ypérite azotée, avec un ectoderme d’aile normale, ou inversement un mésoderme de bourgeon alaire traité à l’ypérite azotée associé avec un ectoderme pédieux normal, ont montré que l’évolution en patte ou en aile du mésenchyme n’était pas modifiée par le traitement. Les membres obtenus au cours de ces expériences sont des phocomèles de type patte ou de type aile selon l’origine du mésoderme.
Le traitement du constituant ectodermique a pour conséquence l’apparition de membres normaux ou de membres malformés selon la concentration d’ypérite azotée utilisée au cours de ces expériences. Notons que les malformations sont très différentes de celles qu’on observe après traitement du constituant méso-dermique. Ce sont les parties distales qui sont altérées alors que les territoires proximaux sont normalement développés ou ne présentent qu’un faible rac-courcissement de leurs pièces squelettiques. Le péroné est présent dans la plu-part des cas alors qu’il manque après traitement du mésoderme. Ces malformations distales consistent en déformations de doigts, en soudures ou pertes de phalanges. L’examen au microscope révèle des anomalies dans le développement de la crête apicale, mais les dégénérescences cellulaires restent localisées et n’affectent qu’une partie du tissu. Avec l’augmentation de la dose (0,5 mg/ml), on voit apparaître des malformations plus graves, ectrodactyles, hémimèles ou des moignons réduits à une pièce cartilagineuse. Les observations histologiques montrent que la calotte ectodermique est nettement altérée, mais le mésenchyme sous-jacent n’est pas épargné. Bien que provenant d’un bourgeon sain, il présente, déjà 6 h après la greffe, d’importantes zones de nécrose. Ces expériences montrent qu’en présence d’une cape ectodermique altérée, le mésoderme ne peut poursuivre un développement normal; il contient de nombreux éléments pycnotiques, la croissance est faible et la partie distale ne se forme pas. Les bourgeons évoluent comme les bourgeons dénudés auxquels on aurait enlevé la calotte ectodermique. Ces recherches confirment les travaux de Saunders (1948), de Zwilling (1955), de Hampé (1959), Gasseling & Saunders (1959, 1961); selon ces auteurs, la croissance du membre serait inhibée en l’absence de cape apicale. Il ressort de notre série expérimentale que les malformations distales obtenues sont dues à l’altération de la calotte ectodermique.
Mais ici une remarque s’impose. Après traitement dans l’œuf des embryons âgés de 3 à jours, nous n’avons jamais observé ce type de malformations distales; le mésoderme étant plus sensible au traitement que l’ectoderme, ce sont surtout les parties proximales qui sont atteintes et les malformations sont toujours de type micromèle, phocomèle ou ectromèle. Les recherches que nous poursuivons actuellement montrent qu’on peut obtenir des malformations distales, des ectrodactyles et des hémimèles en traitant les embryons dans l’œuf entre 4 et 5 jours (stades 24 à 26 de Hamburger & Hamilton). En examinant les bourgeons au microscope, 24 h après le traitement, on constate que la zone distale du mésenchyme présente d’importantes lésions, alors que la calotte ectodermique paraît intacte. Dans ce cas, les malformations sont dues, non pas à une désorganisation de la crête apicale telle que nous l’avons observée après traitement de l’ectoderme de bourgeons dissociés, au stade 18–19 de H. et H., mais à une altération du mésenchyme et en particulier de ses territoires les plus distaux en voie de différenciation, les territoires proximaux n’étant que peu ou pas lésés.
L’ensemble des recherches apportent la preuve expérimentale d’une différence de sensibilité entre les deux constituants de l’ébauche de membre, confirmant ainsi les observations histologiques effectuées par différents auteurs, sur l’embryon de Poulet (Salzgeber, 1966), de souris (Jurand, 1961, 1963) ou sur les batraciens (Gillette & Bodenstein, 1946).
Les résultats évoquent ceux qui ont été obtenus à l’aide des rayons X par Schué (1951), Wolff & Kieny (1962). Ces auteurs ont montré qu’il existe une compétition de matériel entre les ébauches du tibia et du péroné d’une part, entre les différents rayons des doigts d’autre part.
Les lésions du constituant mésodermique dues à l’ypérite azotée font apparaître une dominance du tibia sur le péroné et du doigt III sur les autres doigts. Les altérations du territoire ectodermique provoquent des malformations variées des doigts, mais le doigt III, bien que réduit à 1 ou 2 phalanges dans la plupart des cas, persiste en dernier lieu.
RESUME
Les effets de l’ypérite azotée sur les deux constituants du bourgeon de membre ont été étudiés chez l’embryon de Poulet.
Les embryons, prélevés au stade 18–19 de Hamburger & Hamilton (3 jours d’incubation), sont immergés dans une solution d’ypérite azotée et de liquide de Tyrode à des concentrations variant entre 0,05 et 0,5 mg/ml. La durée du traitement est de 5 à 20 min pour des doses de 0,05 mg/ml et de 5 min pour des doses supérieures à 0,05 mg/ml.
Les bourgeons de membres sont ensuite traités selon la méthode de Zwilling (1955), soit par le Versène pour obtenir le constituant mésodermique, soit par la trypsine pour obtenir le constituant ectodermique. La recombinaison des deux constituants a lieu selon 2 modalités: un mésoderme traité est associé à un ectoderme sain et inversement un ectoderme traité est recombiné à un mésoderme sain. Les deux composants proviennent de bourgeons de pattes dans la plupart des cas, mais des associations chimères ont aussi été effectuées entre les constituants des bourgeons alaires et pédieux.
Les bourgeons de membres ainsi reconstitués sont greffés, selon la méthode de Hampé (1959) à l’emplacement de bourgeons alaires, préalablement excisés, d’embryons hôtes âgés de 3 à
jours. La plupart des bourgeons, ainsi greffés, sont prélevés 7 jours après le traitement. D’autres ébauches sont fixés 6 à 48 h après le traitement, en vue d’une étude histologique.
Les malformations obtenues diffèrent selon qu’on soumet le constituant mésodermique ou ectodermique à l’action de l’ypérite azotée (Tableau 5). Le traitement du constituant mésodermique détermine l’apparition de membres phocomèles et ectromèles, alors que le traitement du constituant ectodermique à fortes doses fait apparaître des malformations distales (déformation ou raccourcissement des doigts, des ectrodactyles et des hémimèles), figs. 1 et 2.
Le degré d’altération du membre dépend de la dose d’ypérite appliquée à l’ébauche. Les 2 constituants présentent une différence de sensibilité nette (Tableau 5).
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Après traitement du constituant mésodermique avec une dose de 0,05 mg/ ml pendant 5–8 min, on obtient essentiellement des membres phocomèles (77,8 %). Les autres sont ectromèles (22,2 %). A l’inverse, les bourgeons dont l’ectoderme est soumis au même traitement, évoluent normalement dans 88,8 % des cas ou présentent un faible raccourcissement de leur squelette.
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Une augmentation de la durée du traitement ou des doses croissantes d’ypérite azotée (0,1 à 0,3 mg/ml pendant 5 min.) appliquées au mésoderme déterminent l’apparition d’un nombre élévé d’ectromèles (58%); le nombre de phocomèles atteint 42%. Après traitement du constituant ectodermique, on observe d’importantes malformations des doigts (91 %).
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Pour des doses supérieures à 0,3 mg/ml, le pourcentage des malformations distales est de 38,5 % et celui des hémimèles dépourvus de parties distales atteint 61,5%. Le traitement du mésoderme produit l’ectromélie (100%).
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L’étude histologique des bourgeons, 6 à 48 h après la greffe, montre d’importantes altérations après traitement soit du constituant mésodermique (fig. 3), soit du territoire ectodermique avec de fortes doses d’ypérite azotée (fig. 4).
Les expériences portant sur des associations chimères montrent que le traitement du constituant mésodermique ne modifie pas la qualité du membre; celui-ci évolue en patte ou en aile selon l’origine du mésoderme. Les malformations sont identiques à celles qu’on observe après traitement et réassociation homogène de constituants de bourgeons de pattes ou de bourgeons d’ailes.
L’ensemble de ces recherches permettent de donner une interprétation embryologique de la genèse des malformations de membres, en particulier de la phocomélie.
SUMMARY
Comparative study of the effects of nitrogen mustard on mesodermal and ectodermal limb bud components of chick embryos
The effects of nitrogen mustard on the two components of chick embryo limb buds have been studied.
The embryos, taken at stages 18–19 of Hamburger & Hamilton (3 days’ incubation) were immersed in a solution of Tyrode and nitrogen mustard, the concentration of which varied from 0·05–0·5 mg/ml. The treatment lasted from 5 to 20 min for doses of 0·05 mg/ml and 5 min for doses over 0·05 mg/ml.
Limb buds were then excised and treated according to Zwilling’s method (1955) either with Versene (EDTA) to get the mesodermal component or with trypsin to get the ectodermal component. The tissues were recombined in two ways: treated mesoderm was associated with normal ectoderm or treated ectoderm was placed in contact with healthy mesoderm. The two components were mainly taken from leg buds, but chimeric associations were also carried out between wing and leg bud components.
The limb buds which were recombined in this way were grafted into host embryos,
days old, according to Hampé’s method (1959), in place of the wing buds previously excised. Most buds, thus treated, were removed 7 days after treatment and submitted to morphological study. Other grafts were fixed 6–48 h after treatment for histological study.
According to which tissue had been exposed to nitrogen mustard, varied malformations of the limbs were produced. Treatment of the mesodermal part resulted mostly in phocomelia and ectromelia, whereas treatment of the ecto-dermal part resulted in malformations of the digits (deformations or shortening of the digits, ectrodactylia and hemimelia).
The degree of alteration of the limbs depends on the dose of nitrogen mustard originally applied to the tissue. The two components showed an obvious difference in their sensitivity (Table 5).
After treatment of the mesodermal component with a dose of 0·05 mg/ml for 5–8 min, phocomelian limbs (77·8 %) were usually obtained. The others were ectromelian (22·2 %). On the other hand, the buds whose ectoderm underwent similar treatment, developed normally in 88·8 % of the cases or showed a slightly shortened skeleton.
After increasing the time of treatment (10–20 min) or increasing the doses of nitrogen mustard (0·1 to 0·3 mg/ml for 5 min) applied to the mesoderm, a high proportion of ectromelian limbs (58 %) was obtained. The proportion of phocomelian limbs was 42%. After treatment of the ectodermal component (0·1–0·3 mg/ml), important malformations of the digits (91 %) were observed.
With doses over 0·3 mg/ml, the percentage of distal malformations was 38·5% and that of hemimelias deprived of distal parts reached 61·5%.
Histological study of leg buds, 6–48 h after treatment, showed important alterations either in the mesodermal or ectodermal component with strong doses of nitrogen mustard.
Experiments with chimeric associations showed that the treatment of the mesoderm did not change the nature of the limb. The latter developed into leg or wing according to the origin of the mesoderm. The malformations were similar to those one may observe after treatment and homologous reassociation of limb bud components.
As a whole, these experiments allow us to give an embryological explanation of the genesis of limb malformations, especially of phocomelia.