ABSTRACT
The action of lithium chloride on the metabolism of carbohydrates was investigated in the amphibian Rana temporaria.
Anaerobic glycolysis was inhibited in lithium-treated embryos.
Lithium chloride had no action on the activity in vitro of hexokinase and aldolase, but inhibited the activity of triosephosphate-dehydrogenase.
Lithium chloride inhibited the increase in oxygen consumption during embryonic development.
Lithium treatment did not modify the respiratory quotient.
Normal gastrulae, in the presence of intermediary substrates of carbohydrate breakdown, showed an increased oxygen consumption. This increase was slight or absent in lithium-treated gastrulae.
Potassium ions compensated for the inhibition of respiration in lithium-treated gastrulae, and restored oxygen consumption to normal.
Dehydrogenase activity was 25 per cent, inhibited in lithium-treated gastrulae.
Lithium chloride did not affect the activity of cytochrome-oxidase.
The intracytoplasmic sedimentable particulate material, mitochondria and microsomes, suffered a considerable loss of ribonucleic acid in lithium-treated gastrulae.
This effect of the lithium ion on the particulate material seems to be fundamental in the development of the morphological and metabolic alterations appearing in the course of embryonic development.
INTRODUCTION
Depuis la découverte initiale de Herbst, l’ion lithium s’est montré un agent particulièrement efficace dans l’étude de la détermination et de la différenciation. Les savants suédois ont apporté une contribution très importante à l’analyse des effets morphologiques et biochimiques du lithium sur le développement de l’œuf d’Oursin. Raven et ses élèves ont étudié en détail l’action du lithium sur la Limnée. Chez les Amphibiens, les effets du traitement lithiné ont été décrits et analysés, surtout du point de vue morphologique. Nous nous proposons d’examiner ici les effets de l’ion lithium sur la biochimie du développement embryonnaire de la grenouille, Rana temporaria.
Rappelant au préalable l’essentiel des contributions apportées chez les Amphibiens, à la morphologie de l’embryon lithiné, nous notons que Leplat (1920), Adelmann (1934), et Töndury (1937) ont étudié les déficiences oculaires et céphaliques. Lehmann (1937) montra le premier que ces déficiences ne se limitent pas aux régions céphaliques, mais s’étendent également aux structures troncales, où l’on peut remarquer une transformation plus ou moins complète du territoire chordal présomptif en somites. Pasteels (1945), dans une étude systématique sur l’œuf de divers Amphibiens, Anoures et Urodèles, a décrit et analysé les hypomorphoses consécutives à l’action du chlorure de lithium.
Le rôle fondamental attribué au métabolisme des glucides au cours du développement embryonnaire, nous a conduit à examiner ce point de vue en détails. Certaines particularités de la dégradation aérobique et anaérobique des glucides chez les embryons lithinés, ont été ainsi mises en évidence.
La glycolyse anaérobique notamment est diminuée chez les embryons lithinés. L’étude de l’action du chlorure de lithium sur des systèmes enzymatiques purifiés impliqués dans la glycolyse, tels que l’hexokinase, l’aldolase, la triosephosphate-déshydrogénase, montre que l’activité de ce dernier enzyme est réduite en présence de chlorure de lithium. La consommation d’oxygène est diminuée chez les embryons lithinés. La valeur du quotient respiratoire n’est pas modifiée. L’activité des systèmes déshydrogénasiques et l’activité du système cytochrome — cytochrome-oxydase ont été mesurées, afin de déterminer leur part respective dans l’inhibition de la respiration. Les embryons lithinés présentent une inhibition importante de l’activité de leur système déshydrogénasique.
L’étude de l’utilisation de divers substrats intervenant dans la dégradation aérobique des glucides a donné des résultats particulièrement significatifs, et nous avons pu confirmer par cet ensemble d’observations, à quel point les altérations morphologiques sont liées au métabolisme des glucides.
Lindahl (1936), a abouti à des conclusions analogues en étudiant l’action du chlorure de lithium sur l’Oursin.
L’effet de l’ion potassium sur la consommation d’oxygène des embryons témoins et lithinés est examiné en corrélation avec l’effet antagoniste de cet ion avec l’ion lithium.
Le fait que la plupart des enzymes responsables du catabolisme aérobique des glucides, et sans doute également la plupart de ceux plus spécifiquement en relation avec le catabolisme anaérobique, soient liés à des particules sédimen-tables intracellulaires, nous a incité à étudier celles-ci. Utilisant comme critère analytique le pourcentage d’acide ribonucléique fixé à ces particules, nous avons pu montrer, que chez les embryons lithinés, l’ensemble de ces particules, mitochondries et microsomes, perd une fraction notable de son acide ribonucléique.
Certes, l’utilisation des glucides joue un rôle considérable au cours du développement embryonnaire et toute modification de leur métabolisme doit retentir sur l’organogenèse, mais cela n’exclut toutefois pas d’autres interprétations. La littérature biochimique est riche en travaux montrant que les particules sédimentables intracellulaires, en raison de leur constitution enzymatique complexe, constituent un véritable carrefour d’activités métaboliques et le métabolisme des glucides n’en représente qu’une partie. De nombreuses indications nous permettent de penser que la synthèse des protéines s’effectue en relation étroite avec ces particules.
Les réactions fournissant l’énergie se déroulent donc en liaison intime avec les mécanismes spécifiques des synthèses protéiques. Toute atteinte à l’intégrité structurale de ces particules doit retentir sur leurs multiples fonctions et l’on conçoit ainsi que l’élaboration des structures vivantes spécifiques puisse être modifiée par l’action du lithium.
Ces considérations, jointes aux résultats expérimentaux obtenus par l’étude du métabolisme glucidique, nous ont permis d’avancer l’idée que l’ion lithium devrait ses propriétés morphogénétiques à son action sur le système particulaire (Lallier, 1950). Gustafson (1952), Gustafson & Lenicque (1952), dans leurs importantes recherches sur l’activité du lithium chez l’Oursin, aboutissent à une conclusion analogue.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Les œufs de l’Amphibien anoure Rana temporaria sont utilisés. Les œufs sont dégangués aussitôt après la fécondation par la technique de Bataillon (1912). La méthode de Spiegel (1951) a également été employée. Pour les mesures manométriques, il est préférable de laisser une mince couche de gangue adhérente à l’œuf. Celle-ci ne gêne pas les mesures manométriques et offre l’avantage de diminuer considérablement la fragilité des œufs.
Traitement au chlorure de lithium
Les conditions du traitement sont celles décrites par Pasteels (1945). Elles donnent le maximum d’hypomorphoses. Les embryons sont traités au stade blastula avancée, à raison de 50 pour 100 c.c. de solution de LiCl à 9%o dans l’eau ordinaire, pendant 3 heures à 18° C. Les embryons sont ensuite lavés longuement à l’eau courante. Pour chacune des expériences, les embryons ont été choisis au stade jeune gastrula.
Mesure de la glycolyse anaérobique
Cinquante embryons sont mis dans une solution de Ringer au 1/10 dans des tubes où l’on fait le vide. Les tubes scellés sont placés dans un thermostat à 22° C., pendant une durée variable selon les expériences. L’acide lactique présent au début et à la fin de l’expérience est dosé par la méthode de Barker & Summerson (1941).
Pour l’étude des enzymes de la glycolyse, l’hexokinase est préparée selon la méthode de Meyerhof (1927) et le test d’activité utilisé est celui décrit par Wajzer (1949). La préparation de l’aldolase et de la triosephosphatedéshydrogénase et les tests d’activité de ces enzymes sont décrits par Cori, Slein, & Cori (1948).
Mesures manométriques
La méthode de Warburg est utilisée pour la mesure de la consommation d’oxygène. 100 embryons dans du liquide de Ringer au 1/10, occupant un volume total de 5·5 c.c., sont mis dans chaque fiole de Warburg. Le CO2 est absorbé par 0·2 c.c. d’une solution de KOH à 20 pour cent. La température est de 22° C.
La mesure du quotient respiratoire est effectuée par la méthode de Warburg, utilisant 3 manomètres. Chaque fiole contient 100 embryons. Le CO2 est déplacé par une solution de SO4H2 3N.
L’activité déshydrogénasique est mesurée par la méthode de Quastel & Wheatley (1938). Cinquante embryons sont homogénéisés dans une solution de Holtfreter au 1/10 additionnée de CO3NaH (concentration finale 0·025 M). Le volume total de l’homogénat est de 5 c.c. Chaque fiole de Warburg reçoit 2·7 c.c. d’homogénat et le diverticule latéral 0·3 c.c. d’une solution de ferricyanure de potassium M et de CO3NaH 0 025 M. Un manomètre de contrôle est utilisé pour la mesure du CO2 dégagé par l’action de l’acide lactique formé au cours de l’expérience, sur le bicarbonate du milieu. Au début de l’expérience, l’air des manomètres est remplacé par un mélange gazeux comprenant 95 pour cent de N et 5 pour cent de CO2. Après 10 minutes, l’équilibre de la température étant atteint, on verse la solution de ferricyanure sur l’homogénat. Les lectures sont faites toutes les 10 minutes. L’activité déshydrogénasique est mesurée par la quantité de CO2 formée en une heure.
L’activité de la cytochrome-oxydase est mesurée par la méthode de Stotz (1939), utilisant comme substrat l’hydroquinone. 50 embryons sont homogénéisés dans une solution de tampon phosphate M/20 à pH 7-4, formant un volume total de 5 c.c. Chaque fiole de Warburg reçoit 2 c.c. d’homogénat, 1 c.c. de solution de tampon phosphate 0·05 M à pH 7·2 et 1 c.c. d’une solution de cytochrome C (la concentration finale de cytochrome C dans chaque fiole est de 0·05 10−4 mM. par c.c.). Dans le diverticule latéral de chaque fiole, on met 0·2 c.c. d’une solution fraîchement préparée d’hydroquinone à 3 pour cent dans un tampon phosphate 0·1 M. à pH 7·2. Le CO2 formé est absorbé par 0·2 c.c. d’une solution de KOH à 20 pour cent. Pour la correction due à l’autooxydation de l’hydroquinone, on utilise un manomètre témoin contenant 2 c.c. d’homogénat, dont l’activité cytochrome-oxydase a été préalablement détruite par chauffage. La température est de 25° C. Les lectures sont faites toutes les 10 minutes. L’activité de la cytochrome-oxydase est donnée par la mesure de la quantité d’oxygène consommée en 60 minutes, cette valeur étant obtenue par l’extrapolation des mesures effectuées pendant les 30 premières minutes de l’expérience.
Fractionnement des homogénats et dosage de l′acide ribonucléique
Cinquante embryons sont homogénéisés à 0° C. dans une solution de Ringer sans Ca, tamponnée à pH 7·1. Le volume total est de 3 c.c. L’homogénat est centrifugé une première fois pendant 10 minutes à 2,000 tours / minute. Le culot, constitué essentiellement de débris cellulaires et de vitellus, est éliminé. Le liquide surnageant est centrifugé à nouveau pendant 2 minutes à 10,000 tours/ minute. Le culot obtenu, contenant les granules de pigment, est éliminé et le surnageant recueilli est ultracentrifugé pendant une heure à 40,000 tours/ minute. Ce culot constitué de particules de tailles variées, mitochondries et microsomes, est lavé par remise en suspension dans la solution d’homogénat et ultracentrifugé à nouveau dans les mêmes conditions. Le liquide de rinçage est ajouté au surnageant. L’acide ribonucléique est dosé dans le surnageant et dans le culot de matériel sédimenté.
Les caractéristiques de ces centrifugations sont indiquées dans le tableau 1.
Nous avons établi le rapport: acide ribonucléique (culot de granules)/acide ribonucléique total (culot de granules + surnageant); et à titre de contrôle le rapport: acide ribonucléique (culot de granules)/N total (culot de granules).
L’acide ribonucléique est extrait au bain marie bouillant par une solution de PO4HNa2 M/5, puis dosé par la méthode de Barrenscheen & Peham (1942).
L’azote est dosé par la microméthode de Kjeldahl modifiée. Les échantillons minéralisés sont distillés dans l’appareil de Markham. Le distillât est absorbé dans une solution d’acide borique en présence d’un indicateur et le titrage est effectué à l’aide d’une microburette de Linderstrôm-Lang, par une solution de SO4H2N/2O.
RÉSULTATS EXPÉRIMENTAUX
Glycolyse anaérobique
Les résultats sont indiqués dans le tableau 2. Ces dosages sont effectués sur des lots de 50 embryons, mis en anaérobiose pendant une durée variable, selon les expériences. Les embryons lithinés produisent moins d’acide lactique en anaérobiose que les embryons témoins. La différence peut atteindre 50 pour cent.
Étude de systèmes enzymatiques isolés
L’effet du lithium sur l’activité in vitro de systèmes enzymatiques isolés (hexokinase, aldolase, triosephosphatedéshydrogénase) a été examiné. Ces enzymes sont préparés selon les procédés maintenant courants à partir de la levure pour l’hexokinase, et du muscle de lapin pour l’aldolase et la triosephosphatedéshydrogénase. L’origine du matériel enzymatique, l’expérimentation in vitro, donnent à ces mesures une valeur indicative utile pour l’interprétation des effets du lithium in vivo sur l’embryon de grenouille.
Hexokinase
L’activité de l’hexokinase in vitro n’est pas modifiée en présence de LiCl 0·2 M, ainsi qu’il ressort de l’examen des courbes de la figure 1.
Action du LiCl sur l’activité in vitro de l’hexokinase. Trait plein: témoins; tirets: LiCl (0·2 M.). LiCl (0.2 M.) ne change pas l’activité de l’hexokinase in vitro.
Aldolase
L’activité de l’aldolase est mesurée en dosant le phosphore libéré par l’hydrolyse en milieu alcalin du triosephosphate libéré lors de la réaction:
d-phosphoglycéraldehyde + phosphodihydroxyacétone⇌fructose 1·6 diphosphate.Dans nos expériences, les quantités de P formées sont très voisines lorsque la réaction se déroule en l’absence ou en présence de lithium, à deux concentrations différentes, 0·2 M. et 0-4 M. Dans l’une de ces expériences nous avons obtenu: témoins: 38-4y de P; LiCl (0·2 M.) : 36·8y de P; LiCl (0·4 M.) : 36·8γ de P. L’activité de l’aldolase, in vitro, n’apparaît pas modifiée par le lithium.
Triosephosphatedéshydrogénase
Les courbes de la figure 2 font apparaître une diminution de l’activité de la triosephosphatedéshydrogénase en présence de LiCl à la concentration 0·2 M. LiCl (0·4 M.) supprime presque complètement l’activité enzymatique in vitro.
Action du LiCl sur l’activité in vitro de la triosephos-phatedéshydrogénase. Trait plein: témoins; tirets: LiCl (0·2 M.); points et tirets: LiCl (0·4 M.). LiCl (0·2 M. et 0·4 M.) inhibe l’activité de la triosephosphatedéshydrogénase.
Consommation d’oxygène
Les courbes de la figure 3 indiquent l’évolution de la consommation d’oxygène chez 100 jeunes gastrulas témoins et lithinées à 22° C. La consommation d’oxygène est inhibée chez les embryons lithinés. En outre chez ces derniers, la pente moins accentuée de la courbe indique un accroissement moins rapide de la consommation d’oxygène, au cours du développement.
Consommation d’oxygène de 100 jeunes gastrulas (à 22° C.). Trait plein: embryons témoins; tirets: embryons lithinés. L’accroissement de la consommation d’oxygène est ralentie chez les embryons lithinés.
Quotient respiratoire
Le tableau 3 donne la mesure du quotient respiratoire pour 4 expériences distinctes. Le quotient respiratoire des embryons lithinés conserve une valeur analogue à celle des témoins malgré une inhibition importante de la consommation d’oxygène. Bien que l’expérience soit commencée avec des embryons au même stade, la correspondance entre les stades des embryons traités et normaux n’est pas conservée pendant toute la durée de l’expérience, surtout si celle-ci dure assez longtemps, en raison du ralentissement du développement chez les embryons lithinés.
Consommation d’oxygène en présence de substrats
Nous avons observé précédemment que l’addition au milieu de culture des embryons, de divers substrats intermédiaires de la dégradation des glucides, ne modifie pas les effets de l’ion lithium sur la morphologie de l’embryon. Il est toutefois intéressant de comparer les effets de ces substrats sur la consommation d’oxygène des embryons normaux et lithinés. A cet effet on a utilisé le lactate, le pyruvate, l’acétate, le cétoglutarate, le succinate, le glutamate, le malate, et le fumarate de sodium. La concentration de ces substrats dans le milieu est de M/50.
Les valeurs de la consommation d’oxygène sont indiquées dans le tableau 4. On remarque que l’addition de substrats provoque chez les embryons témoins un accroissement de la consommation d’oxygène, pouvant atteindre, avec l’acétate notamment, 75 pour cent. Chez les embryons lithinés, la consommation d’oxygène déjà diminuée, par suite de l’action du lithium, n’est que faiblement accrue, ou diminuée, ou même ne subit pas de modification. Ainsi avec l’acétate notamment, la consommation d’oxygène est accrue d’environ 16 pour cent, chez les embryons lithinés; les embryons témoins montrent avec ce même substrat un accroissement de l’ordre de 75 pour cent. Le plus souvent, la consommation d’oxygène de l’embryon lithiné ne varie pas en présence de substrat (pyruvate, lactate). Elle montre même une diminution, en présence de cétoglutarate, de fumarate et de glutamate.
Consommation d’oxygène et ion potassium
Le rôle antagoniste de l’ion potassium sur les effets morphogénétiques de l’ion lithium d’une part et la relation établie entre le métabolisme glucidique et le potassium d’autre part, nous ont incité à examiner l’effet de ces ions utilisés séparément et simultanément sur la consommation d’oxygène de jeunes gastrulas. A cet effet, les embryons sont laissés respectivement pendant 6 heures à 18° C. dans les solutions suivantes: LiCl 4-5%o; KC1 4·5‰; LiCl 4·5‰ + KC1 4·5‰. La durée du traitement est prolongée en raison de la faible concentration des solutions. Le tableau 5 indique la consommation d’oxygène en mm.3 par heure pour 100 embryons à 25° C. Il ressort nettement de l’examen des chiffres ci-dessous que le KC1 accroît la respiration, tandis qui LiCl l’inhibe. L’action combinée de ces deux sels laisse la respiration à son niveau sensiblement normal. L’antagonisme entre les ions K+ et Li+, déjà signalé dans les études morphologiques, est ainsi confirmé par l’étude de la consommation d’oxygène.
Activité déshydrogénasique
Les résultats sont indiqués dans le tableau 6. Il s’agit de l’activité déshydrogénasique globale sur homogénat, sans addition de substrats. La quantité de CO2 dégagée mesurant dans ce test l’activité déshydrogénasique, on constate que cette activité est fortement réduite chez les embryons lithinés. Cette inhibition est de l’ordre de 25 pour cent.
Activité de la cytochrome-oxydase
Les résultats de 3 expériences sont consignés dans le tableau 7. L’activité de la cytochrome-oxydase est mesurée par la consommation d’oxygène d’un homogénat en présence d’un substrat, l’hydroquinone, et d’un excès de cytochrome C. La valeur de la consommation d’oxygène chez les embryons témoins et traités est très voisine; celle-ci est même un peu plus élevée chez les embryons traités, principalement dans l’expérience III. Il ressort ainsi nettement que le traitement au chlorure de lithium ne diminue pas l’activité de la cytochrome-oxydase.
Étude du système particulaire cytoplasmique
Le tableau 8 montre la répartition de l’acide ribonucléique entre le culot de granules et le liquide surnageant. Cette répartition est indiquée par le rapport: acide ribonucléique (granules)/acide ribonucléique (granules + surnageant). Les valeurs sont exprimées en γ d’acide ribonucléique par gastrula. On constate que la répartition de l’acide ribonucléique entre les particules sédimentables et le surnageant est profondément modifiée chez les embryons lithinés. Chez les embryons témoins, la teneur des granules en acide ribonucléique est de 45 pour cent, elle s’abaisse à 22 et 17 pour cent respectivement chez les embryons lithinés. Afin de contrôler ces résultats, nous avons étudié directement le rapport: acide ribonucléique/N total, sur le culot de particules sédimentables. Les valeurs obtenues sont données dans le tableau 9. On remarque également, chez les embryons lithinés, une diminution de l’acide ribonucléique dans le matériel particulaire sédimentable.
DISCUSSION
L’ion lithium modifiant profondément le développement embryonnaire de la grenouille, en mettant en jeu les mécanismes de la détermination, quelles relations pouvons-nous établir entre les caractères morphologiques d’une part et les caractères biochimiques d’autre part, des effets de cet ion sur le développement embryonnaire?
L’action de l’ion lithium sur la détermination ressort de l’examen des embryons lithinés dont la structure subit des remaniements pouvant atteindre une ampleur considérable. Cette action se situe au niveau des tissus présomptifs, dont elle modifie le sort. Les transformations chorde présomptive en somites, somites présomptifs en pronéphros, en sont des exemples significatifs. L’axe chordomésoblastique est non seulement troublé dans son organisation, mais son pouvoir d’induction lui-même est abaissé sous l’action du lithium ainsi que l’a montré Hall (1942), dans ses expériences d’explantation. L’axe neural est également atteint, les annexes sensorielles sont réduites ou supprimées, le cerveau est atrophié. Il s’agit non seulement d’une diminution de la capacité inductrice du chordomésoblaste, mais la compétence de l’épiblaste est également diminuée (Lallier, 1952,1953; Lombard, 1952).
Ce bref aperçu de la morphologie de l’embryon lithiné montre combien les mécanismes impliqués dans la détermination embryonnaire sont sensibles à l’action du lithium. Cette étude ayant mis en évidence certaines particularités du métabolisme glucidique, chez les embryons lithinés, il nous reste maintenant à établir les relations entre ces données biochimiques et les conséquences morphologiques du traitement au chlorure de lithium.
Chez les embryons lithinés, l’utilisation des glucides est nettement ralentie, l’inhibition portant à la fois sur la glycolyse et sur la respiration.
Bien que chez l’embryon d’amphibien, la glycolyse anaérobique s’accroisse au cours du développement (Brachet, 1934), et qu’elle soit particulièrement intense au niveau de l’organisateur (Boell, Needham, & Rogers, 1939), la signification de ce phénomène dans la morphogenèse n’apparaît pas encore clairement. Les effets de divers inhibiteurs de la glycolyse, tels la monoiodacétamide et le fluorure de sodium, sur le développement ont été décrits par Brachet (1938). Aucune de ces substances ne conduit aux remarquables effets morphologiques du lithium. Il semble ainsi peu probable que l’inhibition de la glycolyse anaérobique puisse jouer un rôle déterminant dans l’action du lithium.
Au cours du développement, la consommation d’oxygène s’accroît. Une liaison étroite existant entre la respiration et la morphogenèse, il est normal de penser qu’une inhibition de la respiration retentisse sur le développement. L’ion lithium inhibe notablement la respiration de l’embryon; cependant cette inhibition peut être provoquée par des facteurs très variés, sans entraîner l’apparition d’anomalies morphologiques, comparables à celles provoquées par le lithium. Il n’apparaît ainsi aucune relation directe entre ces anomalies et l’inhibition de la respiration.
On se trouve placé devant une situation analogue en examinant l’activité des systèmes déshydrogénasiques. Celle-ci est fortement déprimée chez les embryons lithinés et ce phénomène peut rendre compte de l’inhibition de la respiration. L’effet, sur le développement embryonnaire de la grenouille, de certaines substances inhibitrices des déshydrogénases, étudié par Pamas & Krasinska (1921), Brachet (1934), montre qu’aucune de ces substances ne provoque d’altérations morphologiques comparables à celles observées avec le chlorure de lithium. Le mode d’action de ces inhibiteurs est d’ailleurs complexe et leur action s’étend également au cytoplasme dont ils modifient les propriétés physiques (Heilbrunn, 1920). L’iodacétamide, la chloropicrine, utilisées par Brachet (1944) et la chloracétophénone (Beatty, 1951) sont également capables d’inhiber certaines déshydrogénases par blocage de leurs groupements suifhydriles. Cependant, ces substances ne produisent pas les hypomorphoses caractéristiques de l’action du lithium.
Le quotient respiratoire conserve la même valeur chez les embryons témoins et chez les embryons lithinés, malgré une nette inhibition de la respiration chez ces derniers. Ce fait peut indiquer que seule la quantité des substrats oxydés par l’embryon est diminuée sans que la nature de ces substrats soit modifiée. Cette interprétation ne peut toutefois être adoptée sans restriction avant l’analyse détaillée de l’utilisation des divers substrats au cours du développement. En effet, des substrats fort différents peuvent être oxydés sans entraîner de modifications appréciables du quotient respiratoire.
En contraste avec les embryons normaux, les embryons lithinés ne présentent qu’un accroissement partiel ou nul de la consommation d’oxygène en présence de divers substrats intermédiaires de la dégradation des glucides. Les embryons normaux possèdent un équilibre enzymatique leur permettant d’oxyder les substrats d’origine endogène et de répondre par un accroissement de la consommation d’oxygène à l’addition de substrats exogènes. Cette propriété est perdue ou très diminuée chez les embryons lithinés, dont la capacité normale d’utilisation des substrats endogènes est déjà fortement réduite.
Ces expériences nous indiquent que le métabolisme des glucides est fortement perturbé chez les embryons lithinés. Cependant cet effet ne semble pas suffisant à lui seul pour expliquer les caractères de l’action de l’ion lithium sur la morphogenèse. Les effets de l’ion lithium sont-ils dus à son action sur le système particulaire intracellulaire? Un certain nombre de considérations plaident en faveur de cette hypothèse.
De nombreux travaux ont été consacrés à l’étude de ces granules sédimen-tables intracellulaires. On sait maintenant que ceux-ci possèdent les éléments enzymatiques indispensables, assurant l’oxydation de divers métabolites glucidiques et lipidiques, et la synthèse de composés à liaisons phosphoriques riches en énergie. A leur niveau s’établissent ainsi d’importants transferts d’énergie nécessaires aux synthèses endergoniques. Ces granules joueraient également un rôle particulièrement important dans la synthèse des protéines cellulaires. Ils sont notamment riches en acide ribonucléique et les rapports entre la synthèse des protéines et la concentration en acide ribonucléique ont été nettement mis en évidence grâce aux travaux de Brachet et de Caspersson. Au cours du développement embryonnaire chez les Amphibiens, Brachet (1940) a montré l’accumulation de ces granules ribonucléiques aux points où la morphogenèse est la plus active. Le traitement au chlorure de lithium entraînant une diminution générale de la basophilie due à ces granules ribonucléiques (Lallier, 1952), la liaison entre la diminution de la basophilie et les hypomorphoses apparaît ainsi significative. Elle traduit à l’échelle histologique ce que nous avons observé à l’échelle histochimique, c’est à dire un bouleversement de la répartition de l’acide ribonucléique fixé aux granules. Il existe donc un parallélisme frappant d’une part entre la richesse en acide ribonucléique et l’activité morphogénétique, d’autre part entre la diminution de l’acide ribonucléique fixé aux granules et la diminution de l’activité morphogénétique exprimée par les hypomorphoses.
De nombreux travaux ont montré que ces granules constituent une population très variée, formant des groupes de composition différente et assumant des fonctions diverses. Ces granules doivent évoluer à la fois qualitativement et quantitativement au cours du développement embryonnaire (Brachet & Chan-trenne, 1942), et des liaisons fonctionnelles plus ou moins labiles s’établissent vraisemblablement entre ces particules. Il y a là, pour reprendre l’expression de Weiss appliquée aux molécules, toute une écologie particulaire dont l’analyse est seulement commencée. Cette complexité des fonctions assumées au niveau des granules permet de rendre compte de la multiplicité des effets de l’ion lithium sur le métabolisme et sur la morphogenèse. Le lithium, en lésant les granules, atteint les mécanismes enzymatiques liés à ces granules. On conçoit ainsi que le métabolisme des glucides soit modifié, ainsi que l’élaboration des protéines spécifiques intervenant au cours de la morphogenèse. Certes une inhibition de l’utilisation des glucides doit influer sur la synthèse des protéines; c’est en effet l’oxydation des glucides qui fournit la majeure partie de l’énergie nécessaire aux synthèses de matériel cellulaire. Mais dans l’action du lithium, les effets morphologiques ne paraissent pas directement subordonnés aux anomalies du métabolisme glucidique. Ils résultent, au contraire, d’un effet direct de l’ion lithium sur le matériel particulaire; celui-ci régissant à la fois le métabolisme glucidique et la synthèse des protéines, on conçoit qu’il puisse exister une relation entre l’inhibition du métabolisme glucidique et les effets morphologiques du lithium, sans que celle-ci soit nécessairement une relation directe de cause à effet. L’antagonisme entre les ions lithium et potassium, déjà signalé, tant du point de vue morphologique que métabolique, est également susceptible d’être interprété selon ces considérations. En effet, la richesse des mitochondries en potassium (Pressman & Lardy, 1952), la participation de cet ion à diverses étapes du métabolisme glucidique, telle qu’elle est mise en évidence dans de nombreux travaux, font ressortir nettement l’importance des relations entre les ions, les granules et le métabolisme des glucides. Le fait que l’ion lithium puisse interférer avec chacun de ces facteurs, précise encore l’intérêt de l’étude du matériel particulaire au cours de l’action du lithium.
Ces considérations ne restent pas limitées aux Amphibiens. Chez l’Oursin, également, le lithium modifie la détermination embryonnaire, et il est intéressant de constater que sur ce matériel, Lindahl (1936) a trouvé une action de cet ion sur le métabolisme glucidique. Plus récemment Gustafson (1952), Gustafson & Lenicque (1952), étudiant l’évolution des systèmes enzymatiques chez les embryons normaux et lithinés ont émis l’hypothèse d’une action du lithium sur la genèse des mitochondries.
Malgré la diversité des organismes considérés dans ces études, l’oursin, la grenouille, il est intéressant de faire ressortir, et sans doute y a-t-il là plus qu’une coïncidence, la liaison entre l’action du lithium sur les mécanismes de la détermination embryonnaire, l’altération du métabolisme glucidique et les modifications du système particulaire.
RÉSUMÉ
L’action du chlorure de lithium sur le métabolisme des glucides est étudié chez l’Amphibien Rana temporaria.
La glycolyse anaérobique est inhibée chez les embryons lithinés.
Le chlorure de lithium, sans action sur l’activité in vitro de l’hexokinase et de l’aldolase, inhibe l’activité de la triosephosphatedéshydrogénase.
Le chlorure de lithium inhibe l’accroissement de la consommation d’oxygène au cours du développement embryonnaire.
Le traitement au chlorure de lithium ne modifie pas le quotient respiratoire.
En présence de substrats intermédiaires de la dégradation des glucides, les gastrulas normales présentent un accroissement de la consommation d’oxygène. Cet accroissement est nul ou peu marqué chez les gastrulas lithinées.
L’ion potassium compense l’inhibition de la respiration chez la gastrula lithinée, et restaure la consommation d’oxygène à son niveau normal.
L’activité déshydrogénasique est inhibée de 25 pour cent chez les gastrulas lithinées.
Le chlorure de lithium ne modifie pas l’activité de la cytochrome-oxydase.
Le matériel particulaire sédimentable intracytoplasmique, mitochondries et microsomes, subit une perte notable d’acide ribonucléique chez les gastrulas lithinées.
Cet effet de l’ion lithium sur le matériel particulaire apparaît fondamental dans la genèse des altérations morphologiques et métaboliques observées au cours du développement embryonnaire.