Aussi simple, aussi facile à réaliser qu’il soit, aussi clairement qu’il semble parler dans un sens univoque, il n’est point de fait expérimental qui ne prête à controverse au nom de certaines vues théoriques discordantes, ou qui n’appelle des recherches complémentaires, soit quant aux moyens d’en mieux assurer le résultat, soit quant aux conséquences et aux enseignements qui peuvent sortir de sa réalisation imparfaite.

L’un de nous ayant réussi en 1935 à effectuer une stérilisation de la Grenouille rousse par l’action des rayons ultraviolets sur le pôle inférieur de l’œuf, cette expérience est venue corroborer de la façon la plus précise l’existence, dans cet œuf encore indivis, d’un ‘déterminant germinal’ localisé, notion où conduisait également l’étude préalable de la lignée reproductrice, telle qu’on peut la suivre, grâce à certains aspects cytologiques de ses cellules, en remontant à des stades de plus en plus jeunes du développement (Bounoure, 1935,1937, 1939).

A la suite de nouvelles expériences, nous sommes amenés à envisager les trois points suivants:

1°. La notion de ‘déterminant germinal’ et sa valeur.

2°. Recherche d’une technique assurant une stérilisation totale.

3°. La régulation du germen consécutive à une stérilisation subtotale.

On sait que l’existence d’une différentiation spéciale du cytoplasme ovulaire entraînant la ségrégation précoce de la lignée reproductrice, a été systématisée par les recherches de Hegner (1914) dans la notion du déterminant germinal: sous cette notion sont venus se ranger tous les exemples de corpuscules ou de plasmes liés à la différentiation du germen, le polares Plasma de Miastor (Kahle, 1908), le Keimbahnplasma de Chironomus (Hasper, 1911), les granules polaires de Drosophila (Huettner, 1923; Geigy, 1931), le pôle disc de Calligrapha et de Leptinotarsa (Hegner, 1909), I’oosome de Copidosoma (Silvestri, 1914), le Keim-bahnkôrper de Polyphemus (Kuhn, 1931), les ectosomes de Cyclops et de Dia-ptomus (Hacker, 1937; Amma, 1911), le ‘corps particulier’ (besondere Kôrper) de Sagitta (Elpatiewsky, 1910; Buchner, 1910), les ectosomes d’Asplanchna (Nachtwey, 1925), le cytoplasme germinal de Rana (Bounoure, 1931, 1939). Sans doute une étude comparative manque, qui aurait pu seule mettre en évidence l’homologie foncière de toutes ces formations; mais des analogies certaines les rapprochent: même existence précoce au pôle inférieur de l’œuf, même ségrégation dans une lignée cellulaire spéciale par le jeu différentiel des divisions de segmentation, même rôle déterminant à l’égard des cellules germinales, rôle démontré par l’observation embryologique et confirmé dans plusieurs cas précis par l’expérience.

Dans un remarquable travail expérimental, Nieuwkoop (1946,1950) découvre l’origine des cellules germinales primordiales des Urodèles (Trituras, Amby-stoma) dans les lèvres ventrales et latéro-ventrales de la gastrula, territoire présomptif du mésoderme des lames latérales; ces cellules représentent, parmi les cellules mésodermiques banales, des éléments de nature spéciale, prédéterminés, c’est à dire aptes à se différencier dans le sens germinal sous une action inductrice émanant de l’endoderme caudal. Si le lieu d’origine du germen est ici mésodermique, et non endodermique comme chez les Anoures, Nieuwkoop considère que cette différence ‘may be not so fundamental a phenomenon as the special nature of these cells represents’; or cet état prédéterminé ‘must be based on a cytoplasmic differentiation’, et le savant embryologiste d’Utrecht n’exclut pas l’idée que ‘this cytoplasmic differentiation may be represented in Urodelès too in the form of a “cytoplasme germinal” found in Anurans’ (1950, p. 264).

Si l’Ascaris constitue un autre exemple, non moins probant, de la ségrégation très précoce du germen, celle-ci présente chez cet animal, suivant les recherches classiques de Boveri et de son école, quelques traits particuliers, à savoir la diminution chromatique qui affecte les noyaux de la lignée somatique, et, d’autre part, l’absence apparente d’une différenciation polaire de l’œuf comme dans les autres cas de ‘déterminants germinaux’. Boveri s’est efforcé jadis de montrer, par une pénétrante analyse expérimentale, que, chez l’Ascaris également, la ségrégation du germen a pour base une constitution cytoplasmique régionale, c’est à dire, en somme, un déterminant germinal invisible, qui préserve l’un des blastomères initiaux de la diminution chromatique et l’oriente ainsi vers une destinée germinale; il attribuait en effet à l’œuf une constitution hétéropolaire, c’est à dire un gradient animal-végétatif, qui a été nié par Von Ubisch (1943), ce dernier auteur plaçant le facteur de détermination germinale, non au pôle végétatif de l’œuf, mais dans la zone sous-équatoriale.

Plus récemment Pasteels (1948) a apporté des précisions nouvelles sur les conditions et les facteurs cytologiques de la différenciation somato-germinale chez ce même Nématode. Étudiant au début du développement la structure cyto-chimique de l’œuf en division et des premiers blastomères, il voit, à la télophase de la première mitose, apparaître, au niveau de chacun des pôles, une calotte hyaline ou ‘cape polaire’, dans laquelle se concentrent les granules ribonucléiques de chacun des deux premiers blastomères (Fig. 1, a): dès ce moment on remarque que la cape polaire de la cellule germinale P se distingue de celle du blastomère somatique AB par sa densité, ses granules plus gros, ses rapports plus étroits avec le cortex. Ces capes semblent se former en relation avec l’aster télophasique, et elles s’effacent à l’intercinèse, mais, avant de disparaître, elles se disposent obliquement par rapport à l’axe de polarité (Fig. 1, b), déplacement qui paraît correspondre dans chaque blastomère à l’obliquité du fuseau de la division suivante (Fig. 1, c); rappelons en effet que les fuseaux de segmentation qui conduisent du stade 2 au stade 4 et que l’on considérait autrefois, l’un comme horizontal (dans AB), l’autre comme vertical (dans P), sont en réalité obliques, avec une orientation différente, le plan contenant l’axe de l’un étant perpendiculaire au plan où se trouve l’axe de l’autre.

FIG. 1.

Segmentation chez l’Ascaris; stade à 2 blastomères, l’un ‘animal’ AB, l’autre ‘végétatif’ P; a, capes polaires figurées en pointillé; b, déplacement des capes polaires; c, orientation des fuseaux de la division suivante. (D’après Pasteels, 1948.)

FIG. 1.

Segmentation chez l’Ascaris; stade à 2 blastomères, l’un ‘animal’ AB, l’autre ‘végétatif’ P; a, capes polaires figurées en pointillé; b, déplacement des capes polaires; c, orientation des fuseaux de la division suivante. (D’après Pasteels, 1948.)

Les mêmes phénomènes se répètent dans les cycles suivants: la cape polaire des cellules successives contenant la lignée germinale accentue chaque fois sa teneur en granules ribonucléiques, si bien que dans la cellule germinale définitive ces granules, ‘toujours denses, sont beaucoup plus abondants que dans les cellules somatiques’. Ainsi se réalise dans les éléments de la lignée reproductrice un ‘état particulier, acquis progressivement par une succession de divisions différentielles’; c’est cet état qui empêcherait notamment la diminution chromatique des noyaux dans cette lignée.

Ces importantes observations sur la segmentation chez l’Ascaris amènent leur auteur à remarquer que le mécanisme de la différentiation somato-germinale, chez ce Ver, ‘réside dans un élément du cytoplasme’ à savoir ‘la cape polaire rîbonucléique’, et que ces faits ‘ressemblent singulièrement à l’évolution de la lignée génitale chez les Cyclops (Amma, 1911) et les Rotifères (Nachtwey, 1925)’. Tout esprit non prévenu pourrait donc penser que la différentiation plasmatique du germen chez l’Ascaris relève, comme chez les autres animaux, de la notion de ‘déterminant germinal’. Or tel n’est pas l’avis de l’éminent embryologiste de Bruxelles: il combat au contraire ladite notion, lui reproche d’être trop ‘statique’, et la condamne comme impliquant l’idée inacceptable de ‘localisation germinale’. Et ‘plutôt qu’un plasma germinatif préexistant et même permanent’, il préfère admettre un ‘état germinal’ de la cellule. Soulignons en passant avec quelle facilité, — d’ailleurs entièrement justifiée, — les biologistes acceptent la permanence des gènes nucléaires et la transmission corpusculaire de l’hérédité individuelle, et à quel point ils répugnent à admettre l’existence continue d’une base matérielle cytoplasmique expliquant l’hérédité spécifique; cette hérédité n’est-elle pas cependant l’évidence première, la plus constante, la plus frappante, qui ressort de tout développement embryonnaire? mais sans doute, en raison de cette évidence même, ‘l’habitude en ôte l’étrangeté’.

Cette opposition systématique peut-elle invoquer ici des raisons positives? Ce ne peut être des raisons d’ordre cytochimique, car chez la plupart des animaux précédemment étudiés il s’agit, comme chez l’Ascaris, de corpuscules ou de plasmes basophiles; bien plus, chez le Coléoptère Acanthoscelides obtectus, Mulnard (1947) a reconnu que le plasme polaire comporte aussi une accumulation de granules ribonucléiques, et Pasteels regarde comme ‘extrêmement probable’ qu’il en est partout le même. Rien n’oblige à penser qu’à cet égard le cas des Amphibiens fasse exception; au moment où il a été étudié par l’un de nous, les méthodes de détection cyto-chimique des acides nucléiques n’existaient pas, et seules les particules figurées du cytoplasme, mitochondries et formations golgiennes, pouvaient servir à un rapprochement et à une tentative d’interprétation. Du plasme germinal de la Grenouille, une analyse micro-chimique reste encore à faire; apparemment très complexe, il renferme sans doute à côté de mitochondries, des éléments basophiles, comme l’indique sa coloration par le bleu de Volkonsky (violet-azur II), qui se superpose de façon très marquée à la coloration rose de la fuchsine; il n’est pas absurde de supposer que soit les mitochondries, soit le fond ergastoplasmique qui les englobe, soit ces deux constituants à la fois, sont porteurs d’acide ribonucléique, et l’absorption de l’U.V. par le pôle inférieur de l’œuf, siège de ce plasme, semble plaider dans ce sens. D’ailleurs le R.N.A., présent dans tout cytoplasme d’une manière générale, ne saurait devenir un critérium des déterminants germinaux que par un certain degré de concentration susceptible seulement d’appréciation arbitraire, ou par son association avec d’autres constituants chimiques. Et même si l’on voit dans sa présence un signe caractéristique des cellules germinales originelles, ce n’est point évidemment par là qu’il pourrait servir d’argument contre la notion de déterminant germinal.

Qu’est-ce qui fait alors l’intérêt de la différentiation plasmatique du germen chez l’Ascaris et lui donne un aspect aberrant? C’est qu’elle ne remonte pas à l’œuf indivis, qu’il n’y a pas de ‘plasma germinatif’ préexistant ou permanent et que l’’état germinal’ propre aux cellules à destinée reproductrice, est ‘acquis à la suite de segmentations différentielles suivant une modalité bradygénétique’. En un mot, la lignée germinale naît par une épigénèse, dont la bradygénèse n’est qu’une variété tardive. Si nous comprenons bien la pensée du savant auteur belge, c’est au nom de la théorie de l’épigénèse que la notion d’ ‘état germinal’ doit être substituée à celle de ‘déterminant germinal’ localisé.

‘Localisation germinale’, on ne peut douter que ces deux mots ne soient en horreur aux embryologistes: ils évoquent, à la faveur d’une confusion injustifiée, un relent de la préformation, le temps de Swammerdam et des ovulistes; toute localisation germinale fait ‘vieux jeu’; l’épigénèse seule rend compte de tout; une interprétation purement épigénétique, voilà qui est ‘up to date’.

Il est bien certain que tout développement est une suite de néoformations et de différentiations, dont aucune ne préexiste comme telle; mais l’épigénèse ne les crée pas ex nihilo’, elle a une base matérielle dans l’œuf; celui-ci, en l’absence de toute différentiation au sens organogénique, n’en possède pas moins une structure hétérogène, où les divers constituants, depuis les éléments figurés les plus visibles jusqu’aux macromolécules de nucléoprotéides, ont une certaine répartition spatiale, c’est à dire une localisation déterminée, et peuvent même former dans certains cas des territoires reconnaissables. En outre cet œuf n’est pas un commencement absolu; sa constitution spécifique, comme ses ‘localisations germinales’ quand il en possède, sont, elles aussi, des ‘états acquis’, nés des processus ‘épigénétiques’ de la longue période organisatrice de l’ovogénèse; de sorte qu’entre les plages ou formations ovulaires dites ‘prédéterminées’ et les ‘ségrégats’ ou différenciations qui naissent ultérieurement dans l’embryon, il n’y a pas de différence essentielle: matériel organo-formateur ou ‘déterminant’ de l’œuf, ségrégat embryonnaire à potentialités limitées, inducteur localisé, chacun est à la fois effet de l’épigénèse et préparant du futur, déterminé et déterminant, causé et finalisé. Ce n’est que dans les préparations mortes de l’embryologiste, où la durée mouvante du développement est découpée en instantanés définitivement arrêtés, qu’une formation ‘localisée’ peut paraître statique et être qualifiée comme telle; mais dans l’embryon vivant, tout est dynamique, toute ‘localisation’ matérielle est l’engrenage de réalisations ultérieures et entre comme telle dans leur mécanisme épigénétique; ainsi tout marche vers cette mosaïque de plus en plus fine de ségrégations et de différentiations, les unes tachygénétiques, les autres brady-génétiques, qui trouvent leur terme dans l’organisme achevé.

Une telle vue des phénomènes de l’ontogénèse paraîtra peut-être trop éclectique. Elle nous permet au moins d’échapper à l’obsédante querelle de la prédétermination et de l’épigénèse, comme à la nécessité de choisir entre le ‘déterminant germinal’ et F’état germinal’; pour nous, en effet, ces deux notions seulement ne s’opposent pas, mais sont au contraire corrélatives. Et Nieuwkoop, comme on l’a vu plus haut, admet très bien que chez les Urodèles Y état prédéterminé des premiers éléments du germen puisse être lié à la présence d’un cytoplasme germinal encore hypothétique.

En tout cas on ne peut douter que le déterminant germinal, chez maintes espèces, n’apparaisse sous une forme localisée dans l’œuf indivis’, et Mulnard (1947) a précisé, chez un Coléoptère, que le ‘plasme caudal’ formé de granules ribonucléiques, ‘existe déjà dans l’ovule en équilibre de première maturation, prélevé dans l’oviducte’; chez l’Ascaris, en revanche, il s’actualise seulement au cours des divisions différentielles de la segmentation: dans l’immense diversité des phénomènes de la vie, que pèse cette minime différence d’ordre chronologique, au regard de l’importance de ce facteur essentiel? Qu’il soit, dans la plupart des cas, et en un sens littéral plutôt que théorique, une ‘localisation’ de l’œuf, nous avons peine à croire que ce puisse être là un fait de scandale pour l’embryologiste.

La ségrégation d’une lignée privilégiée, vouée à ‘l’état germinal’, est une épigénèse, qui, comme toujours, exige un minimum de conditions matérielles. Cette condition minima, l’expérience qui consiste à détruire le déterminant germinal (Hegner, Geigy, Bounoure), prouve de façon décisive que c’est bien en ce déterminant qu’elle réside. Peut-être même ce seul fait scientifique (au sens de Claude Bernard) rend-il superflue toute la discussion qui précède.

II. RECHERCHE D’UNE TECHNIQUE DE STÉRILISATION ASSURANT SA RÉUSSITE TOTALE

La stérilisation de la Grenouille par irradiation U.V. du pôle inférieur de l’œuf est de réalisation à la fois aisée et difficile suivant le résultat qu’on en attend.

S’il s’agit de vérifier la présence d’un constituant cytoplasmique polaire et son rôle essentiel dans la détermination de la lignée germinale, l’expérience donne toujours un résultat amplement convaincant, pour des doses et des temps d’irradiation compris même entre des limites relativement larges: l’abolition des éléments germinaux, toujours considérable, se révèle au simple examen anatomique, chez les animaux à l’âge de la métamorphose, par les dimensions fortement réduites des gonades juvéniles; et leur étude histologique montre une chute énorme du nombre des gonocytes: les numérations effectuées dès les premières expériences en 1937, permettaient ‘d’estimer à 90% au minimum le ravage subi par la lignée germinale dans les cas les moins réussis’. Même en opérant sans précautions spéciales, il n’est pas rare d’obtenir des individus où le nombre des gonocytes tombe, pour l’ensemble des deux gonades, à quelques dizaines, ou même à quelques unités. Parmi les animaux étudiés en 1937, il s’en trouvait un ‘qui ne contenait que deux gonocytes, et un autre qui n’en avait plus qu’un seul: chez tous deux l’une des gonades était complètement dépourvue de cellules germinales’ (Bounoure, 1939, p. 168).

S’agissant d’une expérience dont le résultat est régulièrement d’une ampleur frappante, on pouvait penser qu’elle permettrait d’obtenir à coup sûr une stérilisation totale de l’animal irradié, et par conséquent des individus strictement réduits à leur soma depuis leur toute première origine, condition qui ouvrirait d’intéressantes possibilités pour d’autres études. Or on ne peut attendre de ce mode de castration précoce qu’il réalise avec certitude une destruction radicale de la lignée reproductrice: parmi tous les animaux issus d’œufs irradiés en 1937, il n’en était aucun qui n’ait permis à une observation minutieuse de découvrir quelques gonocytes, — ne fût-ce qu’un seul, — dans les gonades dépeuplées; du hasard seul semblait dépendre l’étendue de la destruction. Une nouvelle série d’essais, effectués en variant les conditions d’irradiation, permettait d’annoncer en 1950 l’obtention, sur environ 300 œufs, de 9 petites Grenouilles complètement privées de gonocytes (Bounoure, 1950, p. 250). Le résultat cherché n’était donc pas hors de toute possibilité d’atteinte, mais faute de voir apparaître la condition vraiment favorable, la réussite paraissait ne comporter qu’une faible probabilité.

Il s’agissait de reprendre d’une façon systématique et plus perfectionnée l’expérience primitive, pour améliorer le pourcentage des stérilisations totales: c’est en ce sens qu’ont été faits les essais suivants (R. Aubry, 1953).

La technique a consisté à utiliser une lampe Gallois, type S-500, sans écran, dont l’activité, pour les œufs placés à 20 cm. du foyer, est d’environ 800 finsens par minute; l’irradiation était pratiquée sur des œufs soigneusement dégangués et placés sous une faible couche d’eau dans une petite boîte rectangulaire à paroi de quartz; le faisceau de rayons, dirigé de bas en haut, frappait directement les œufs à travers cette paroi; la durée de l’irradiation était de 1 mn., 1 mn. 30 s., ou 2 mn. suivant les lots.

Une première série d’essais a visé simplement à établir, à l’aide d’un nombre suffisant d’animaux, le pourcentage des réussites obtenues dans les conditions les plus simples, c’est à dire sans artifice spécial dans la manière d’exposer les œufs à la source de rayons U.V. Le résultat fournit un terme de comparaison pour le deuxième type d’expérience.

Dans cette deuxième série, on a cherché à déprimer les deux pôles de l’œuf à l’aide d’une légère pression, pour que le pôle inférieur touche le fond du récipient de quartz par une calotte plane assez étendue et non par un simple point de tangence. Il faut remarquer en effet qu’un coin d’eau se glisse tout autour de ce point sous la region polaire, quand on laisse à l’œuf sa forme naturelle parfaitement sphérique; et on est amené à supposer que le déterminant polaire est ainsi protégé dans une certaine mesure par ce coussin d’eau contre l’action destructrice des rayons U.V. Pour obtenir l’aplatissement du pôle inférieur, les œufs, chaque fois au nombre de 20, étaient placés sur le fond de quartz à l’intérieur d’une cellule de verre cylindrique de 20 mm. de diamètre, puis recouverts d’une fine lamelle de verre circulaire, affleurant à la surface de l’eau et surchargée d’un poids de 1 gr. (Fig. 2 dans le texte); le poids total de la surcharge, réparti sur les 20 œufs, était de 1·85 gr.

FIG. 2.

Dispositif d’irradiation des œufs, les pôles légèrement déprimés.

FIG. 2.

Dispositif d’irradiation des œufs, les pôles légèrement déprimés.

Les résultats de ces deux séries d’expériences se traduisent par les chiffres suivants (Tableau 1), relevés respectivement sur 52 et 45 animaux parvenus à la métamorphose et dont les gonades ont été étudiées sur coupes sériées pour la numération des gonocytes.

TABLEAU 1
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Si les œufs laissés dans leur forme sphérique naturelle ont donné jusqu’à 31 pour cent d’animaux complètement stérilisés, pourcentage dont les résultats antérieurs étaient restés très éloignés, ce chiffre n’atteint pas encore le tiers des animaux soumis à l’expérience, et l’on ne peut donc attendre de la méthode la plus simple d’irradiation qu’une faible probabilité de réussite totale.

Mais, appliquée à des œufs dont le pôle inférieur déprimé subit plus largement et plus également sans doute l’action des rayons U.V., l’irradiation fournit un pourcentage de stérilisations totales qui est presque le double du précédent. Ce résultat paraît bien vérifier la validité de notre hypothèse, à savoir que le plasme germinal occupe l’étendue d’une calotte polaire assez large, qui ne subit dans son entier l’action des rayons U.V. qu’une fois déprimée et appliquée à plat contre le support de quartz traversé par le rayonnement. On peut même inférer que dans le cas d’une destruction seulement partielle, c’est la partie périphérique de cette calotte polaire qui est vraisemblablement le mieux épargnée, grâce au coin d’eau engagé sous elle et dont la hauteur va croissant à partir du pôle même.

Ce qui confirme cette manière de voir, c’est que pour certains des œufs à pôle déprimé, la stérilisation est inégalement poussée dans les deux gonades symétriques des animaux métamorphosés; voici, par exemple, les chiffres nettement inégaux qui, chez 6 individus, ont été relevés dans l’une et l’autre gonade (le chiffre le plus élevé, tantôt à droite, tantôt à gauche, étant énoncé le premier):
Cette dissymétrie résulte de toute évidence de la position légèrement oblique que prend parfois l’œuf immobilisé et comprimé entre le fond du récipient et la lamelle couvrante. Au contraire, quand l’œuf est libre et que son axe polaire s’oriente verticalement sous l’effet de la gravité, le plasme germinal du pôle inférieur subit dans tous ses secteurs une destruction sensiblement égale, et il n’y a pas de raison pour que les gonocytes subsistants ne soient pas répartis d’une façon approximativement symétrique entre les deux moitiés de l’organisme.

Quoi qu’il en soit, l’artifice technique qui consiste à soumettre à une légère compression l’œuf à irradier, s’il améliore le pourcentage des stérilisations totales, n’exclut pas de nouvelles recherches en vue d’une méthode opératoire encore plus favorable. Ces recherches ont donné lieu à une troisième série d’expériences.

Il était naturel de se demander si, dans les conditions où l’œuf est irradié, il n’entre pas un élément chronologique variable, qui fait que tous les essais ne sont pas exactement comparables. Entre l’entrée du spermatozoïde et l’apparition du premier sillon de segmentation, la période d’indivision, pour l’œuf de Grenouille, dure de 3 à 4 heures suivant la température, et ce laps de temps correspond à une activité interne en vertu de laquelle l’œuf ne reste pas constamment identique à lui-même. Le résultat de l’irradiation ne dépendrait-il pas, dans une certaine mesure, du moment précis où elle est appliquée au cours de la période d’indivision?

La réponse a été demandée à des œufs qui ont été tous également soumis à une compression légère, suivant la technique décrite à la page 251; ils ont été répartis en deux catégories expérimentales:

  • les uns ont été irradiés relativement tôt, soit approximativement vers le milieu de la période d’indivision, c’est à dire 1 heure | ou 2 heures après la ponte suivant la température;

  • les autres ont été irradiés juste avant l’apparition du premier sillon de segmentation.

Précisons que dans tous les cas il s’agit d’œufs obtenus à partir de couples de grenouilles tenus en observation; dans ces conditions parfaitement naturelles, tous les œufs d’une même ponte spontanée sont fécondés au même instant.

Les résultats sont résumés dans le tableau 2.

TABLEAU 2
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Il ressort de ces chiffres que l’on a d’autant plus de chances de détruire totalement le déterminant germinal que l’on opère plus près du moment où va apparaître le premier sillon de segmentation. Comment peut-on concevoir la raison de ce fait expérimental?

Dire qu’à ce moment-là le déterminant germinal offre une plus grande sensibilité à l’égard des rayons U.V., ce ne serait guère que se payer de mots tant que l’on ne possède aucune lumière sur les transformations physico-chimiques du cytoplasme ovulaire pendant la période où se prépare la première division. En revanche on recourt à une hypothèse simple et logiquement assez satisfaisante, en supposant que le plasme germinal, assez largement dispersé tout d’abord dans la calotte polaire inférieure, se concentre au voisinage même du pôle vers la ân de la période d’indivision, de telle sorte que cette localisation plus étroite et plus dense l’expose alors à une destruction plus complète par l’ultra-violet.

Cette hypothèse peut-elle invoquer le bénéfice de quelque vraisemblance? Oui, si l’on relie la concentration polaire présumée du plasme germinal à son sort ultérieur: il a été signalé en effet qu’au moment où débute le cloisonnement de l’œuf, on voit ce déterminant ‘s’infiltrer vers le haut, aux stades à 2, 4, 8 blasto-mères, le long des cloisons verticales qui séparent ces derniers’ (Bounoure, 1939, p. 153); il est fort possible que ce mouvement d’ascension très précoce soit précédé et préparé, immédiatement avant la première division de l’œuf, par une concentration du déterminant tout près du pôle où vont s’entrecroiser les deux premières cloisons méridiennes; ce n’est pas le premier exemple où l’on voit, dans l’ontogénèse, deux processus s’enchaîner de telle façon que le premier prend un caractère proleptique par rapport au suivant.

On ne peut envisager cette concentration polaire présumée du cytoplasme germinal de Rana, sans être tenté de la comparer à celle des granules ribonu-cléiques au pôle mitotique de l’œuf & Ascaris, telle que Pasteels l’a décrite; sans doute ne peut-il s’agir d’une homologie parfaite, tout au moins en ce qui concerne les rapports de ce phénomène avec la figure de division de l’œuf, car chez la grenouille de tels rapports n’existent pas. Il est vrai que chez le Nématode, on ne discerne pas clairement la relation de dépendance des capes à granules et des fuseaux de division: si c’est le pôle du premier fuseau qui détermine l’agglomération des granules, c’est à dire la formation de la cape, d’où vient le déplacement de la cape qui réglera l’obliquité du fuseau à la division suivante?; l’on s’étonne un peu de voir cape et fuseau échanger aussi rapidement les rôles mutuels d’effet et de cause. C’est pourquoi il reste possible de suggérer, à titre de simple rapprochement, que chez le Nématode et le Vertébré les matériaux cellulaires qui serviront à la ségrégation du germen subissent une concentration semblable à un moment identique, de simples contingences d’ordre topographique permettant chez le Ver des relations avec l’appareil mitotique, qui n’existent pas chez la grenouille. Au surplus, de telles considérations et tentatives de rapprochement sont peut-être entièrement vaines, en raison de l’immense écart qui sépare les deux phylums des Nématodes et des Vertébrés.

Quoi qu’il en soit, nos essais font apparaître la possibilité d’améliorer notablement le pourcentage des réussites totales dans la stérilisation de la grenouille ab ovo par les rayons U.V. Mais nous ne sommes pas encore en possession d’une méthode détruisant radicalement dans tous les cas la lignée reproductrice; il y faudrait sans doute des moyens plus puissants, tels que les rayons X. Mais on va voir qu’une destruction partielle de la lignée germinale n’est pas dépourvue de tout intérêt, car elle ménage des chances de reconstitution de cette lignée; si bien qu’en définitive l’expérience en question ne peut donner, quant à la destruction du germen, que tout ou rien.

Il est bien connu qu’une expérience où la réussite n’est que partielle, est souvent riche en faits instructifs, qui ne peuvent apparaître dans le cas où l’altération de la cause supprime totalement l’effet.

On peut se demander ce qu’il advient de la lignée germinale, lorsque l’irradiation a produit une destruction subtotale du déterminant polaire: la minime quantité subsistante de ce déterminant entraîne-t-elle la formation d’un nombre proportionnellement réduit de gonocytes primaires, lequel ne subit plus de variation jusque dans les gonades de l’animal en métamorphose? — ou bien le déterminant germinal épargné est-il la source, eu égard à sa masse très minime, de plus de gonocytes qu’il n’en aurait déterminé dans une ontogénèse normale, et cela grâce à une activité mitotique prolongée des gonocytes initiaux, tendant à une restauration de la lignée reproductrice? On va voir que c’est en faveur de cette dernière hypothèse que plaident les faits reconnus chez les individus ayant subi une stérilisation incomplète.1

Dans le développement normal, la lignée reproductrice se constitue, à partir des blastomères qui ont hérité d’une portion du déterminant germinal, dans une phase relativement précoce; la multiplication des premiers gonocytes, si elle se prolonge un peu plus dans l’ébauche du testicule que dans celle de l’ovaire, a pris fin depuis longtemps, dans les deux sexes, au moment de la métamorphose: chez les très jeunes Grenouilles on ne trouve pratiquement plus de cellules germinales en division dans les gonades.

S’il y a une régénération effective du germen chez les animaux issus d’œufs irradiés, c’est en comparant leurs gonades avec celles des individus normaux, que l’on pourra en trouver la preuve dans des mitoses de multiplication en nombre inhabituel à ce stade. Il y a donc lieu de fixer ce terme de comparaison en étudiant la structure des glandes génitales normales.

Étude des organes témoins

Dans les testicules et les ovaires normaux, de très nombreuses cellules germinales sont aux stades de préméiose et généralement au stade leptotène, avec ça et là des figures en bouquet caractéristiques. Toutefois chez les jeunes femelles l’ovogénèse, dans certaines des chambres ovariennes, est plus avancée, avec ovocytes en grand accroissement, pourvus d’une grosse vésicule germinative. En tout cas aucun de ces aspects nucléaires ne saurait être confondu avec des mitoses de multiplication.

Chez les mâles, les mitoses multiplicatives, sans être fréquentes, sont un peu moins rares que dans les ovaires: si la plupart des éléments germinaux sont à l’état de spermatocytes, on trouve ça et là quelques spermatogonies en division; de telles mitoses représentent sans doute un reste de la multiplication des premiers gonocytes embryonnaires; on peut en voir un exemple sur la Fig. A de la Planche 1 (bord gauche du testicule, figure d’anaphase).

Le nombre de ces divisions est toujours très restreint; nous considérons comme un cas limite celui d’un mâle chez lequel, compte tenu d’une erreur possible de 2 ou 3 unités, nous avons dénombré 30 figures de division: par rapport au nombre total de gonocytes, qui, pour les deux testicules, peut être évalué à 3.500 environ, le chiffre ci-dessus indiqué représente seulement 0·8 pour cent. Mais ce pourcentage est un maximum, et dans le sexe mâle le nombre des mitoses est toujours nettement au-dessous de ce chiffre; on peut admettre que l’activité mitotique moyenne, par rapport au nombre des gonocytes, est d’environ 0·5 pour cent.

Chez les témoins de sexe femelle, en raison de l’avance relative de l’ovogénèse, les divisions de gonocytes sont encore plus rares, eu égard au nombre élevé de ces éléments. Les Fig. B et C (Planche 1) montrent, la première une division anaphasique sur le bord gauche de l’organe, la deuxième deux mitoses juxta-posées du côté droit.

Dans un cas extrême nous avons pu compter chez une jeune Grenouille 19 gonocytes en division; le nombre total des cellules femelles pouvant être évalué à un total voisin de 12.000, le nombre des mitoses, rapporté à ce total, n’est ici que de 0-16 pour cent environ. On peut considérer que chez la plupart des jeunes femelles, le rapport en question est certainement inférieur à ce nombre.

En résumé la fréquence des mitoses est un peu plus élevée dans les testicules que dans les ovaires, ce qui s’accorde avec l’allure respective des premiers stades de la gamétogénèse dans l’un et l’autre sexe: chez le mâle, après la constitution du premier stock de spermatocytes, se rencontrent quelques divisions goniales isolées, qui semblent annoncer les grosses poussées ultérieures de la spermato-génèse de l’adulte; chez la femelle, où les éléments germinaux sont à l’état d’ovocytes plus ou moins grands, les ovogonies de réserve ne sont plus qu’en très petit nombre, avec de très rares divisions. Mais on peut dire que dans les deux sexes, à ce moment de la vie individuelle, il n’y a de divisions multiplicatives qu’en nombre infime.

C’est à ces données qu’il faut comparer celles que fournissent les animaux fortement stérilisés.

Étude des gonades atrophiques résultant d’une stérilisation dans l’œuf

Nous examinerons d’abord les cas où l’action des rayons U.V. a été peu intense par suite soit de circonstances de hasard, soit de l’intention de l’expérimentateur: les gonades n’ont subi qu’une faible réduction et se trouvent encore abondamment pourvues de gonocytes. La recherche des divisions cellulaires y est difficile, et leur nombre relatif ne peut être établi d’une façon valable.

En effet la structure des glandes génitales, si elle est, dans ce cas, encore proche de celle des glandes normales, est beaucoup plus irrégulière, les gonocytes, présents en grand nombre, étant inégalement répartis sur la longueur de l’organe, dont le calibre varie beaucoup sur les coupes successives. Cette irrégularité de forme exclut la possibilité d’évaluer le nombre total des gonocytes subsistants; car cette opération qui consiste, pour une glande coupée en série, à faire une numération moyenne sur quelques coupes et à calculer le total approximatif pour la série complète, ne donnerait ici qu’un résultat probablement très aberrant par rapport à la réalité. Le nombre relatif des gonocytes en division ne peut donc être établi avec quelque certitude.

Les recherches que nous avons faites dans ce cas nous ont donné des nombres de mitoses toujours inférieurs à 20, le plus faible étant de 5. Les Fig. D et E (Planche 1) montrent chacune un gonocyte en métaphase, sur des coupes qui offrent de grandes différences de taille et d’aspect.

Si, pour les raisons indiquées, l’évaluation d’un pourcentage de divisions est ici impossible, l’observation, conduite sans la préoccupation d’un résultat numérique, révèle, en gros, qu’il n’y a pas de différence importante entre les animaux témoins et ceux où le germen est encore largement présent; autrement dit ces derniers ne permettent pas de discerner les signes d’une régulation quand la lignée germinale n’est pas plus gravement détruite.

C’est quand la stérilisation a été massive ou subtotale que les faits sont le plus intéressants: c’est le cas lorsque la lésion du déterminant germinal n’a épargné qu’un nombre de gonocytes inférieur à une centaine. Alors la présence de mitoses relativement fréquentes, souvent d’une belle lisibilité, attire immédiatement l’attention dans le tissu de glandes parfois très simplifiées et de structure très claire. C’est l’observation de ces mitoses qui nous a amenés à faire une étude systématique du phénomène, étude qu’aucune idée théorique a priori ne pouvait suggérer. Les Fig. F à O (Planches 1 et 2) en montrent des exemples typiques.

Dans les gonades très fortement dépeuplées, il devient possible de compter les gonocytes un à un, avec une marge d’erreur relativement faible, et l’on peut alors chercher à établir la fréquence relative de ceux qui sont en division.

Sur 59 jeunes Grenouilles issues d’œufs irradiés, 22 se sont prêtées à une numération qui peut être regardée comme correcte. Parmi ces animaux, nous donnons d’abord trois exemples individuels (Tableau 3), dont deux représentent des jalons extrêmes, l’un possédant pour ses deux ovaires un total approximatif de 100 gonocytes, l’autre un nombre réduit à 15 unités; entre les deux on peut placer un cas moyen, où le nombre des gonocytes était de 30 environ.

TABLEAU 3
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La comparaison de ces trois cas individuels fournit déjà une indication sur l’augmentation, grosso modo, de l’activité mitotique de la lignée germinale, quand sa destruction est poussée à des degrés qui approchent de la stérilisation totale. Cette indication se renforce avec plus de précision quand on envisage l’ensemble des 22 cas étudiés.

Nous avons partagé cet ensemble en trois séries, suivant le nombre de gonocytes subsistants dans les glandes génitales de l’animal; dans chaque série, nous avons établi, pour le nombre correspondant d’individus, le total des gonocytes présents et le total des gonocytes en division, cette méthode ayant l’avantage de réduire l’importance des erreurs portant sur les numérations individuelles; le pourcentage des mitoses est calculé d’après ces nombres totaux (Tableau 4).

TABLEAU 4
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On a vu que chez les animaux normaux l’activité mitotique des gonocytes, à l’époque de la métamorphose, s’exprime chez les mâles, où elle semble plus élevée que chez les femelles, par un pourcentage très faible de 0·5 pour cent. Les données ci-dessus accusent un accroissement marqué de cette activité lorsque la lignée germinale n’est plus représentée chez la jeune Grenouille que par un nombre d’éléments inférieur à 100. Et l’on peut dire qu’en gros le nombre relatif des gonocytes en mitose s’élève d’autant plus que le procédé de stérilisation a produit une dévastation plus accentuée du germen.

Est-il possible de trouver, en dehors des figures de division, d’autres signes d’une multiplication accrue des gonocytes? Telle est, pour nous, la signification de certains groupes d’éléments germinaux isogéniques, qui s’observent également dans les gonades en partie stérilisées.

Il s’agit de groupements caractéristiques, comprenant soit 2, soit 4 gonocytes, entourés d’une enveloppe de petites cellules somatiques qui les isole, et se présentant strictement au même stade d’évolution nucléaire (Fig. P et Q, Planche 2). La ressemblance d’aspect des éléments ainsi groupés par 2 ou par 4, est toujours frappante: les noyaux y sont généralement au stade leptotène, ou parfois dans cet état compact et indéchiffrable, mais caractéristique, autrefois désigné sous le nom de synapsis, et aujourd’hui sous celui de synizesis. On ne peut que voir dans de tels groupements des cellules-sœurs, nées de la division tardive d’un élément germinal, et qui sont le début de la formation d’un nid d’ovules ou d’une ampoule testiculaire. Leur présence corrobore la réalité d’une activité de multiplication, corrélative de la destruction sub-totale de la lignée germinale.

Discussion et conclusion. — L’observation de fréquentes divisions des gonocytes chez les jeunes Grenouilles issues d’œufs à déterminant germinal irradié, nous a amenés à reconnaître que le nombre de ces divisions augmente en moyenne avec le degré de destruction de la lignée germinale.

On ne peut faire à leur sujet que deux hypothèses: ou bien elles représentent un épisode de la phase de multiplication de la gamétogénèse, ou bien elles ont la signification d’un phénomène de régulation du germen. Or on ne peut retenir la première hypothèse, car la comparaison avec les gonades des animaux témoins du même âge montre que la phase de multiplication est complètement révolue, au moins dans le sexe femelle, quand l’animal se métamorphose; chez les témoins, en effet, la plupart des cellules germinales sont déjà à l’état de cytes et les divisions de gonies résiduelles y sont tout à fait rares et exceptionnelles. Nous pensons donc que dans les animaux d’expérience, les divisions des éléments reproducteurs sont un phénomène nouveau, inhabituel, suscité par la déficience même de la lignée germinale, et constituant le mécanisme régulateur qui tend à reconstituer cette lignée.

On sait que la biologie moderne a introduit dans la conception générale de l’organisme et de la vie l’idée d’une grande fonction de régulation qui permet au vivant, quand son débat avec le monde aboutit à des ‘catastrophes’, — et l’expérimentateur est un grand agent de catastrophes — de rétablir sa constitution et son ordre propres: dans l’existence de cette propriété, K. Goldstein, par exemple, voit avec raison ‘une loi biologique fondamentale’ (1951, pp. 96-98). On pouvait se demander si le pouvoir de régulation, grâce auquel l’individu si souvent rétablit son équilibre physiologique ou répare son soma mutilé, entre aussi en jeu pour restaurer le germen endommagé, et notamment après l’effet destructeur des rayons U.V. sur le déterminant germinal.

La question de la régénération de la lignée germinale n’est pas nouvelle; un grand nombre d’auteurs ont cherché la source d’une telle régénération dans des éléments somatiques, capables de se transformer en gonocytes secondaires, pour remplacer les gonocytes primaires, disparus par dégénérescence naturelle ou par l’effet d’une cause expérimentale. Mais des observations contraires, beaucoup plus probantes, permettent de nier toute formation, aux dépens du soma, d’une deuxième génération de gonocytes — question qui a été longuement discutée dans l’ouvrage antérieur de l’un de nous (Bounoure, 1939, pp. 156-9) — et une belle expérience d’Ancel et Bouin (1926) tranche la question d’une façon catégoriquement négative chez les Mammifères. En conséquence on peut admettre que le soma est incapable d’assurer une reconstitution du germen, et que dans le cas d’une destruction totale de la lignée germinale, celle-ci ne peut être régénérée.

Mais l’expérience d’irradiation du déterminant polaire chez la Grenouille produit rarement une abolition totale du germen; elle laisse souvent au contraire subsister un petit nombre d’éléments de valeur germinale, réalisant ainsi la condition la plus favorable pour permettre de voir qu’il y a là effectivement le point de départ d’une régénération possible.

D’après les faits observés, cette régénération paraît ne s’établir qu’au moment de la métamorphose, comme si elle était liée à cette crise physiologique générale de l’organisme; il est clair que si elle avait commencé précocement dans la vie larvaire, elle aurait eu le temps de reconstituer une grosse population de gonocytes. Il nous est actuellement impossible de dire si ce début ou cette tentative de régénération se poursuit chez la Grenouille adulte avec des effets importants. En tout cas les signes de la multiplication des gonocytes résiduels à l’époque de la métamorphose revêtent la signification d’un véritable phénomène de régulation de la lignée germinale.

Il est donc permis de dire que la fonction de régulation joue au profit de l’espèce comme au profit de l’individu, et si on pouvait le supposer a priori, il n’en était que plus nécessaire d’en chercher la vérification dans une analyse précise des faits.

1. Par son caractère positif et sa valeur expérimentale, la notion de ‘déterminant germinal’ dépasse les vieilles discussions sur la prédétermination et l’épigénèse. Toute formation ou tout ségrégat reconnu dans l’œuf ou l’embryon peut être dit ‘localisé’ ou ‘prédéterminé’ dans la mesure où l’expérience le révèle comme tel; cette localisation n’exclut nullement son rôle dynamique dans les processus d’épigénèse, qui, d’un œuf en apparence homogène, font sortir la diversité d’un organisme. Si le déterminant du germen se présente, dans la plupart des cas, comme une ‘localisation’ ovulaire, c’est que l’œuf n’est pas un commencement absolu, et que l’ovogénèse fait partie, comme phase d’épigénèse organisatrice, de l’ontogénèse au sens large. C’est la présence de ce déterminant qui fait des divisions de segmentation un mécanisme ségrégatif, dissociant le matériel embryonnaire dans les lignées distinctes du germen et du soma.

2. L’action de rayons ultra-violets ascendants sur le pôle inférieur de l’œuf de Grenouille fournit rarement, et seulement de façon capricieuse, une stérilisation totale. Mais on améliore notablement le pourcentage des réussites,

  1. en déprimant le pôle inférieur de l’œuf en une calotte plane, adjacente par sa surface au support de quartz perméable aux rayons;

  2. en pratiquant l’irradiation au moment où l’œuf va effectuer sa première division, soit environ 3 heures après la fécondation.

L’analyse des faits tend à montrer: 1° que le déterminant germinal est d’abord dispersé dans une calotte assez étendue au pôle inférieur de l’œuf; 2° qu’au moment où va apparaître le premier cloisonnement, il s’est concentré au voisinage même du pôle dans une zone plus étroite, où il est plus efficacement soumis à l’action destructrice des rayons U.V.

3. Alors que dans les gonades des animaux normaux à l’âge de la métamorphose, les divisions des gonocytes sont en nombre infime (de l’ordre de 0·5 pour cent), chez les animaux d’expérience, où le nombre des gonocytes subsistants n’est plus qu’égal ou inférieur à une centaine, la fréquence relative des mitoses augmente visiblement; elle paraît s’accroître dans la mesure où la stérilisation est plus poussée: elle atteint jusqu’à 30 pour cent (moyenne de 5 animaux) quand le nombre des gonocytes tombe entre 25 et 15. Tout se passe donc comme si une activité mitotique inhabituelle répondait aux conditions créées par la stérilisation et tendait à une restauration du germen, exemple d’une faculté de régulation qui joue ici en faveur de l’espèce.

  1. By its positive character and heuristic value the notion of ‘germinal determinant’ goes beyond the categories of the old discussions on preformation and epigenesis. Every formation and every segregation found in egg or embryo may be called ‘localized’ or ‘predetermined’ in so far as experiment reveals it to be so; and this localization in no way excludes its dynamic role in the epigenetic processes by which, from an egg homogeneous in appearance, emerges the diversity of the organism. If the determinant of the germ-line is manifested, in most cases, as a ‘localization’ in the egg, this is because the egg is not an absolute beginning, and ovogenesis, as a phase of epigenetic organization, is part of ontogenesis broadly conceived. It is the presence of this determinant which makes a segregating mechanism out of the segmentation divisions, separating the embryonic material into the distinct lines of germ and soma.

  2. The action of ultra-violet irradiation directed upwards on to the lower pole of a frog’s eggs results in a total sterilization only rarely and capriciously. But the percentage of successes is greatly improved,

    • by compressing the lower pole of the egg so that it forms a flat cap, its surface against the quartz support which is ultra-violet permeable;

    • by irradiating just before the first division of the egg, about 3 hours after fertilization.

      Analysis of the facts seems to show: (1) that the germinal determinant is first of all spread as a rather extensive cap at the lower pole of the egg; (2) that at the moment when the first division is about to appear it is concentrated in the neighbourhood of the pole itself in a restricted zone, where it is more effectively exposed to the destructive action of the U.V. radiation.

  3. While in the gonads of normal animals at metamorphosis, divisions of gonocytes are present in very small numbers (of the order of 0 5 per cent.), in experimental animals where the number of persisting gonocytes is only 100 or fewer the relative frequency of mitoses is visibly increased. It seems to increase as the degree of sterilization is more extreme: it reaches 30 per cent, (mean of 5 animals) when the number of gonocytes falls to between 25 and 15. It is as if an unusual mitotic activity was a response to the conditions created by the sterilization and was tending to restore the germ-line: an example of a power of regulation which is here acting in favour of the species.

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Grossissements: Fig. A à G, 310 x. Fig. H à Q, 390 x.

Nota: Quelques figures de mitose, peu distinctes sur la photographie, ont été légèrement retouchées.

PLANCHE 1

FIG. A. Testicule normal avec un gonocyte en anaphase sur le bord gauche de la coupe.

FIG. B et C. Ovaires normaux: une mitose sur le bord gauche de la fig. B; 2 mitoses voisines sur le bord droit de la cavité ovarienne, fig. C.

FIG. D et E. Deux ovaires ayant conservé des gonocytes nombreux et très inégalement répartis; une métaphase près du bord droit (fig. D), et près de l’extrémité de l’organe (fig. E).

FIG. F et G. Deux gonades à nombre de gonocytes entre 100 et 50; une mitose (métaphase) sur chacune des figures.

PLANCHE 1

FIG. A. Testicule normal avec un gonocyte en anaphase sur le bord gauche de la coupe.

FIG. B et C. Ovaires normaux: une mitose sur le bord gauche de la fig. B; 2 mitoses voisines sur le bord droit de la cavité ovarienne, fig. C.

FIG. D et E. Deux ovaires ayant conservé des gonocytes nombreux et très inégalement répartis; une métaphase près du bord droit (fig. D), et près de l’extrémité de l’organe (fig. E).

FIG. F et G. Deux gonades à nombre de gonocytes entre 100 et 50; une mitose (métaphase) sur chacune des figures.

PLANCHE 2

FIG. H à L. Quatre gonades à nombre de gonocytes entre 100 et 50; une mitose (métaphase) sur chacune des fig. H à K; deux mitoses côte à côte sur la fig. L.

Fio. M. Coupe d’un testicule possédant 42 gonocytes, l’un d’eux vu en métaphase.

Fio. N. Coupe d’un testicule possédant 23 gonocytes, l’un d’eux vu en anaphase.

FIG. O. Coupe d’un ovaire n’ayant plus que 15 gonocytes, l’un d’eux vu en métaphase.

FIG. P. Coupe d’un testicule montrant 3 groupes de 2 ou 4 cellules germinales isogéniques (en synapsis).

FIG. Q. Coupe d’un ovaire, montrant un nid de 4 gonocytes au stade leptotène.

PLANCHE 2

FIG. H à L. Quatre gonades à nombre de gonocytes entre 100 et 50; une mitose (métaphase) sur chacune des fig. H à K; deux mitoses côte à côte sur la fig. L.

Fio. M. Coupe d’un testicule possédant 42 gonocytes, l’un d’eux vu en métaphase.

Fio. N. Coupe d’un testicule possédant 23 gonocytes, l’un d’eux vu en anaphase.

FIG. O. Coupe d’un ovaire n’ayant plus que 15 gonocytes, l’un d’eux vu en métaphase.

FIG. P. Coupe d’un testicule montrant 3 groupes de 2 ou 4 cellules germinales isogéniques (en synapsis).

FIG. Q. Coupe d’un ovaire, montrant un nid de 4 gonocytes au stade leptotène.

1

L’’absence de tout pouvoir de régulation pour la lignée germinale’ (Bounoure, 1939, p. 203) était à comprendre dans le sens d’une non-régénération de cette lignée par des éléments d’origine somatique, dits gonocytes secondaires. Toutefois l’assertion était présentée d’une façon ambigüe, et nous sommes heureux que la présente étude fasse la lumière sur l’existence, dans la lignée des gonocytes primaires, d’un pouvoir propre d’auto-régulation.