ABSTRACT
La répartition des potentialités cardiogénétiques dans le blastoderme d’oiseau aux stades précoces du développement a été étudiée par de nombreux auteurs. Au stade du blastoderme non incubé les parties périphériques, mais non les parties centrales, peuvent fournir en culture in vitro du tissu cardiaque spontanément pulsatile (Olivo, 1928). Les cellules cardiaques présomptives sont plus abondantes dans la région postérieure que dans les régions latérales et antérieure du blastoderme (Butler, 1935). Pendant les premières heures de l’incubation l’aptitude à former du cœur est encore très largement répandue dans le blastoderme mais tend à se concentrer dans la région postérieure (Spratt, 1942). Les potentialités cardiogénétiques se localisent ensuite de part et d’autre de la ligne primitive définitive (Rudnick, 1938; Hunt, 1932). Au stade du prolongement céphalique, les limites du territoire cardiaque présomptif ont été précisées par Rawles (1936, 1943). Les deux aires cardiaques occupent alors une situation bilatérale de part et d’autre du prolongement céphalique et du tiers antérieur de la ligne primitive.
Rawles a également observé que l’aptitude au développement et à la différenciation cardiaque de fragments de blastoderme en greffe chorio-allantoïdienne augmente avec l’étendue du fragment greffé. La différenciation cardiaque est d’ailleurs histologiquement uniforme et indépendante de la partie de l’aire cardiaque prélevée : elle aboutit à la formation d’un tissu myocardique compact, sans aucune trace des cavités cardiaques.
De Haan (1963) a également fractionné les aires cardiaques d’embryons de poulet de stades 4 à 8 (Hamburger & Hamilton, 1951). Les fragments de blastodermes ont ensuite été cultivés in vitro pendant 48 heures. Les résultats obtenus par cet auteur indiquent que l’aptitude à former des vésicules pulsatiles in vitro est d’autant plus précoce que l’explant provient d’une région située plus en arrière dans l’aire cardiaque. De plus le tissu cardiaque formé par les fragments postérieurs puise à un rythme plus rapide que celui qui se différencie dans les fragments moyens. Quant aux fragments antérieurs, ils produisent du. tissu cardiaque battant à un rythme très lent.
Ainsi, il semble que dès un stade précoce l’aire cardiaque n’est pas homogène en ce qui concerne ses potentialités histogénétiques. Cependant, les critères morphologiques de la différenciation du cœur en ses chambres sino-atriale, ventriculaire et bulbaire ne sont pas applicables aux vésicules pulsatiles formées en culture. Ces critères ne peuvent donc pas être utilisés pour analyser la régionalisation de Faire cardiaque présomptive.
Dans un travail antérieur (Le Douarin, Obrecht & Corabœuf, 1964) nous avons établi par la méthode des microélectrodes transmembranaires que chaque région du cœur de l’embryon de 3 ou 4 jours présente une activité électrique cellulaire caractéristique que l’on peut enregistrer pendant plusieurs jours dans les conditions de la culture organotypique de Wolff & Haffen (1952).
Il nous a donc paru possible d’utiliser les critères électrophysiologiques pour la mise en évidence des catégories cellulaires présentes dans le tissu myocardique formé par différents fragments de Faire cardiaque présomptive. Des résultats préliminaires ont fait l’objet d’une note récente (Le Douarin, Obrecht & Corabœuf, 1965). Deux questions connexes ont été abordées. La première consistait à savoir si les futures cellules sino-atriales, ventriculaires et bulbaires subissent une ségrégation dans Faire cardiaque présomptive dès un stade précoce, et la seconde à savoir si des processus de régulation interviennent lorsqu’une partie de Faire cardiaque est expérimentalement isolée.
MATERIEL ET METHODES
Les expériences ont été effectuées sur l’embryon de poulet. Le procédé expérimental consiste à fragmenter Faire cardiaque et à cultiver isolément in vitro les portions de blastoderme obtenues. Puis, lorsque ces dernières ont différencié du tissu myocardique spontanément pulsatile, on pratique l’analyse électrophysiologique en enregistrant les potentiels d’action. Les blastodermes ont été prélevés à des stades variant du prolongement céphalique à 5 somites. Trois stades ont été particulièrement retenus : celui du repli céphalique transverse (head fold), celui de 3 somites et celui de 4-5 somites.
Dans une première série expérimentale chaque moitié latérale de Faire cardiaque a été cultivée en entier. Dans les séries suivantes le territoire cardiogénique a été découpé en 6 fragments dont les limites sont celles qui ont été utilisées par De Haan (1963). La figure 1 schématise la fragmentation réalisée au stade du repli céphalique transverse. L’aire cardiaque est ainsi divisée selon des niveaux respectivement antérieur, moyen et postérieur, et pour chaque niveau nous avons explanté séparément les fragments droit et gauche. Ce procédé empêche la différenciation de structures axiales dans les explants.
Schéma de la fragmentation du blastoderme de poulet au stade du repli céphalique transverse, définissant six types d’explants qui sont ensuite cultivés séparément. A.d., A.g. : Fragments antérieurs droit et gauche. M.d., M.g. : Fragments moyens droit et gauche. P.d., P.g. : Fragments postérieurs droit et gauche.
Schéma de la fragmentation du blastoderme de poulet au stade du repli céphalique transverse, définissant six types d’explants qui sont ensuite cultivés séparément. A.d., A.g. : Fragments antérieurs droit et gauche. M.d., M.g. : Fragments moyens droit et gauche. P.d., P.g. : Fragments postérieurs droit et gauche.
Les explants sont cultivés selon la méthode de Wolff & Haffen (1952) sur le milieu standard de ces auteurs. La durée de culture varie de 3 à 8 jours.
L’activité électrique transmembranaire est enregistrée par la méthode des microélectrodes fixes de Corabœuf & Weidmann (1949). La petite taille des cellules du myocarde embryonnaire rend nécessaire l’utilisation de micro-électrodes dont le diamètre de pointe est inférieur au demi-micron. Pendant les enregistrements les préparations sont maintenues à 38 °C. L’installation, schématisée sur la figure 2, comprend une cuve thermostatée qui maintient à la température de 38 °C une chambre humide dans laquelle circule un courant d’oxygène. La préparation est placée dans cette chambre. Le circuit d’enregistrement se compose d’une électrode d’argent chloruré introduite dans le milieu de culture (électrode ‘indifférente’) et d’une microélectrode (15 à 20 Mil) fixée au bras d’un micromanipulateur. Le phénomène est enregistré sur un oscillographe par l’intermédiaire d’un changeur d’impédance. Un second micro-manipulateur permet d’amener au contact de la préparation deux électrodes de stimulation en argent. La préparation est stimulée par des chocs rectangulaires d’une durée de 5 à 10 ms.
Schéma de l’installation utilisée. L’explant (Ex.) est placé dans une enceinte thermostatée réglée à 38 °C. Un barbotage d’oxygène (O2) dans de l’eau permet d’humidifier et d’oxygéner l’atmosphère entourant la préparation. On enregistre sur un oscilloscope l’activité électrique transmembranaire recueillie par une microélectrode (μE.). E.i. : Electrode indifférente. E.s. : Electrodes d’argent permettant l’entraînement électrique de la préparation par un stimulateur.
Schéma de l’installation utilisée. L’explant (Ex.) est placé dans une enceinte thermostatée réglée à 38 °C. Un barbotage d’oxygène (O2) dans de l’eau permet d’humidifier et d’oxygéner l’atmosphère entourant la préparation. On enregistre sur un oscilloscope l’activité électrique transmembranaire recueillie par une microélectrode (μE.). E.i. : Electrode indifférente. E.s. : Electrodes d’argent permettant l’entraînement électrique de la préparation par un stimulateur.
Les récipients de culture sont obturés par un couvercle percé d’un orifice central permettant le passage des électrodes dont le déplacement est suivi à la loupe binoculaire.
Enfin, nous avons observé dans quelques cas le degré de différenciation atteint par le tissu myocardique pulsatile formé en culture. L’ultrastructure des explants a été examinée au microscope électronique.
RESULTATS
I. La différenciation in vitro de fragments de Paire cardiaque
(a) Aspect morphologique
Lorsque les fragments de blastoderme dont les limites sont représentées sur la figure 1 sont explantés sur le milieu de culture, du tissu myocardique spontanément pulsatile s’y différencie dans un certain nombre de cas. D’une façon générale les explants arrondissent leurs contours dans les heures qui suivent l’explantation. La différenciation du mésoderme de l’aire cardiaque en myocarde spontanément pulsatile requiert le plus souvent 24 à 48 heures. Cette différenciation donne naissance soit à une plage de tissu musculaire compact, soit, plus fréquemment, à une petite vésicule dans laquelle quelques couches cellulaires entourent la cavité centrale. La croissance ultérieure est très faible ou nulle et aucune différenciation morphologique ne permet de reconnaître les vésicules pulsatiles formées par les différents fragments de l’aire cardiaque.
(b) Aspect cytologique ultrastructural
L’ultrastructure du mésoderme de Faire cardiaque au stade du prolongement céphalique a été décrite par l’un de nous (Le Douarin, 1965). A ce stade du développement on observe dans les cellules du mésenchyme précardiaque des myofilaments de 50 Å de diamètre, généralement dispersés irrégulièrement dans le cytoplasme. Ces myofilaments deviennent plus abondants et s’organisent progressivement au cours du développement.
En culture in vitro cette cytodifférenciation se produit et aboutit à la constitution de myofibrilles striées parfaitement normales (Planche 1). Un point important de la différenciation concerne les relations entre myoblastes voisins. Les liaisons cellulaires s’établissent non seulement par des desmosomes d’aspect banal, mais également par des ébauches de disques intercalaires au niveau desquels une myofibrille traverse les membranes cellulaires. Chaque vésicule pulsatile différenciée en culture se comporte donc comme une unité fonctionnelle dont il est possible de pratiquer l’analyse électrophysiologique comme nous l’avons fait dans un travail antérieur pour l’ébauche cardiaque explantée in vitro à un stade où elle est déjà bien différenciée.
(c) Rythme des pulsations
En ce qui concerne le pourcentage d’explants de chaque catégorie formant in vitro du tissu cardiaque spontanément pulsatile, les cultures provenant d’embryons de stade repli céphalique fournissent les résultats les moins bons. Nous n’avons pas observé de différences significatives entre les explants pro-venant d’embryons de stade 4–5 somites. Le tableau 1 indique les résultats obtenus.
Formation de vésicules pulsatiles par des fragments de Faire cardiaque prélevés à différents stades du développement

Nous n’avons pas constaté de variations importantes du rythme des pulsations spontanées, compté à 38 °C au 2ème ou au 3ème jour de culture, selon l’âge de l’embryon donneur. Nous retrouvons par contre la différence déjà observée par De Haan (1963) entre les explants provenant des différents niveaux de l’aire précardiaque. Les valeurs moyennes que nous avons obtenues dans une série expérimentale portant sur 46 explants de chaque catégorie sont les suivantes : fragments antérieurs, 40 pulsations par minute; fragments moyens, 61 pulsations par minute; fragments postérieurs, 82 pulsations par minute.
II. Activité électrique transmembranaire
Nous avons utilisé pour comparer les activités électriques enregistrées dans les vésicules pulsatiles les caractéristiques des potentiels d’action des différentes régions du cœur, que nous avons établies dans un travail antérieur. La figure 3 montre des tracés correspondant à l’atrium, au ventricule et au bulbe artériel, enregistrés dans le cas d’un cœur de 3 jours d’incubation explanté en culture organotypique. Dans l’atrium les potientiels d’action sont de durée brève et, lorsque la microélectrode est placée dans la région voisine du sinus, ils présentent une phase de dépolarisation lente diastolique. Les potentiels ventriculaires, de plus longue durée, sont caractérisés par une repolarisation comprenant deux phases dont la première constitue un plateau. Dans le cas des potentiels bulbaires la durée est encore plus grande et le plateau est accentué.
Potentiels d’action caractéristiques des différentes régions du cœur de l’embryon de 3 jours, (a) atrium, près du sinus; (b) autre région de l’atrium; (c) ventricule; (d) bulbe artériel. Calibration : verticalement, 50 mV; horizontalement, 400 ms.
(a) Enregistrement de Vactivité électrique du myocarde différencié in vitro
Nous avons tout d’abord observé que, lorsque la moitié latérale de l’aire cardiaque présomptive est explantée en entier au stade du repli céphalique transverse ou à des stades plus avancés, les trois catégories cellulaires du myocarde (cellules atriales, ventriculaires et bulbaires) se différencient in vitro. En effet, après quelques jours de culture on enregistre les trois types de potentiels d’action correspondant à ces catégories cellulaires (figure 4).
Potentiels d’action enregistrés au 5ème jour de culture à différents niveaux de la vésicule pulsatile formée in vitro par l’aire cardiaque explantée au stade de 3 somites. A: tracé de type atrial. Durée: 110ms. B: tracé de type ventriculaire. Durée: 250 ms. C: tracé de type bulbaire. Durée: 460 ms. Calibration: verticalement, 50 mV; horizontalement, 250 ms.
Potentiels d’action enregistrés au 5ème jour de culture à différents niveaux de la vésicule pulsatile formée in vitro par l’aire cardiaque explantée au stade de 3 somites. A: tracé de type atrial. Durée: 110ms. B: tracé de type ventriculaire. Durée: 250 ms. C: tracé de type bulbaire. Durée: 460 ms. Calibration: verticalement, 50 mV; horizontalement, 250 ms.
Ainsi, bien que la vésicule pulsatile formée en culture n’évolue pas selon la morphogenèse cardiaque normale, les caractéristiques électrophysiologiques montrent que tout le matériel précardiaque présent dans l’explant s’est différencié au cours de la culture.
Le problème de la détermination dans l’aire cardiaque des catégories cellulaires atriale, ventriculaire et bulbaire a ainsi pu être abordé par la méthode électro-physiologique. Nous avons fragmenté l’aire cardiaque de jeunes embryons comme l’indique la figure 1 et nous avons étudié l’activité électrique transmembranaire des vésicules pulsatiles obtenues après 24 à 48 heures de culture.
La figure 5 donne quelques exemples de potentiels d’action enregistrés dans le tissu myocardique formé par les fragments antérieurs, moyens et postérieurs de l’aire cardiaque d’embryons à différents stades : repli céphalique transverse, 3 somites et 5 somites. On ne constate pas de différences notables entre les potentiels correspondant à une même région de l’aire cardiaque d’embryons d’âges variés. Par contre la morphologie des potentiels d’action varie avec la partie de l’aire cardiaque ayant été explantée. Il en est de même des durées respectives de ces potentiels.
Exemples de potentiels d’action enregistrés dans les vésicules formées par les divers fragments de l’aire précardiaque prélevés sur des blastodermes de différents stades. R.C.T. : stade du repli céphalique transverse. 3s. : stade de 3 somites. 5s. : stade de 5 somites. A : fragments antérieurs. M: fragments moyens. Pi fragments postérieurs. Calibration: verticalement, 50 mV; horizontalement, 600 ms. L’un des tracés enregistrés dans une vésicule formée par un fragment postérieur prélevé chez un embryon de 3s est typiquement ventriculaire: dans ce cas, l’excision avait laissé des cellules ventriculaires présomptives dans le fragment postérieur de l’aire cardiaque.
Exemples de potentiels d’action enregistrés dans les vésicules formées par les divers fragments de l’aire précardiaque prélevés sur des blastodermes de différents stades. R.C.T. : stade du repli céphalique transverse. 3s. : stade de 3 somites. 5s. : stade de 5 somites. A : fragments antérieurs. M: fragments moyens. Pi fragments postérieurs. Calibration: verticalement, 50 mV; horizontalement, 600 ms. L’un des tracés enregistrés dans une vésicule formée par un fragment postérieur prélevé chez un embryon de 3s est typiquement ventriculaire: dans ce cas, l’excision avait laissé des cellules ventriculaires présomptives dans le fragment postérieur de l’aire cardiaque.
(b) Fréquence des pulsations et durée du potentiel d’action
On sait que la durée du potentiel d’action diminue lorsque la fréquence des battements augmente. Selon Woodbury, Hecht & Christopherson (1951) la durée du potentiel décroît comme la 0,8ème puissance du rythme. Or, comme cela a été indiqué précédemment, les vésicules pulsatiles ne se contractent pas toutes au même rythme. Sur la figure 6 nous avons porté la durée du potentiel d’action en fonction du rythme dans le cas des trois catégories d’explants: fragments antérieurs, moyens et postérieurs de l’aire cardiaque présomptive.
Relation durée du potentiel d’action (D)—rythme des battements (R) dans le cas de trois types de fragments. •, fragments antérieurs; ×, fragments moyens; ○, fragments postérieurs. Le schéma en haut et à droite indique la manière dont a été déterminée la durée (d) du potentiel d’action.
En se plaçant dans une gamme commune de fréquence des pulsations (45 à 75 battements par minute) on s’aperçoit que les valeurs obtenues définissent trois populations cellulaires. Les durées des potentiels d’action des différents explants peuvent être comparées à celles qui ont été obtenues pour les régions anato-miques du cœur de l’embryon de trois jours (Tableau 2).
On constate que les cellules myocardiques différenciées à partir des fragments antérieurs de l’aire cardiaque fournissent les potentiels de plus longue durée, ce qui est le cas du bulbe dans l’embryon de 3 jours. Les potentiels enregistrés dans les fragments moyens ont une durée qui rappelle celle des potentiels ventriculaires. Quant aux vésicules des fragments postérieurs elles présentent les potentiels les plus brefs comme on l’observe également dans l’activité électrique de l’atrium du cœur de 3 jours. Les valeurs moyennes des durées des potentiels d’action sont nettement plus élevées dans le cas des vésicules pulsatiles différenciées en culture que dans celui du cœur de l’embryon de 3 jours. Les cellules cardiaques qui se forment en culture à partir du mésenchyme précar-diaque ont donc une évolution physiologique ralentie, puisque l’on sait que la durée du potentiel d’action d’une région donnée du cœur diminue au cours du développement.
(c) Morphologie des potentiels d’action
L’étude du décours des potentiels d’action a confirmé que les trois catégories cellulaires caractérisées par la durée des potentiels correspondent bien à des cellules respectivement atriales, ventriculaires et bulbaires. Pour éliminer l’influence de la fréquence des pulsations sur le potentiel d’action, la comparaison des enregistrements a été faite en utilisant des vésicules puisant à des rythmes identiques ou très voisins, soit spontanément, soit par suite d’un entraînement électrique.
1. Potentiels d’action des explants antérieurs et moyens
La figure 7 donne des tracés correspondant à l’enregistrement des potentiels d’action dans les vésicules pulsatiles formées par un fragment antérieur et un fragment moyen.
Enregistrements des potentiels d’action de deux vésicules pulsatiles provenant respectivement d’un fragment antérieur (tracé supérieur) et d’un fragment moyen (tracé inférieur). Le premier est de type bulbaire, avec un plateau accentué et le second est ventriculaire. Calibration : verticalement, 50 mV; horizontalement, 200 ms.
Enregistrements des potentiels d’action de deux vésicules pulsatiles provenant respectivement d’un fragment antérieur (tracé supérieur) et d’un fragment moyen (tracé inférieur). Le premier est de type bulbaire, avec un plateau accentué et le second est ventriculaire. Calibration : verticalement, 50 mV; horizontalement, 200 ms.
Ces vésicules puisaient spontanément à des rythmes très voisins d’environ 60 battements par minute. On observe que dans le cas du fragment antérieur le potentiel d’action, dont la durée est de 530 ms, présente une phase initiale de repolarisation constituant un plateau très marqué. La pente de ce plateau est de 0,08 mV/ms. Le potentiel est donc de type bulbaire. Le tracé correspondant au fragment moyen est nettement différent du précédent : la durée est plus brève (300 ms) et la première phase de repolarisation est plus rapide (0,23 mV/ms). Il s’agit d’un potentiel de type ventriculaire.
2. Potentiels d’action des explants moyens et postérieurs
La figure 8 montre les potentiels d’action enregistrés au niveau du tissu myocardique formé par un expiant postérieur de l’aire cardiaque. Le rythme spontané des battements est 180 par minute. Dans cette expérience nous avons entraîné électriquement à ce même rythme une vésicule formée par un fragment moyen. On constate que dans la vésicule du fragment moyen on retrouve un tracé de type ventriculaire avec un plateau. La durée du potentiel est 240 ms. Cette valeur est inférieure à la durée moyenne des potentiels d’action ventriculaire obtenue lorsque le rythme des battements est compris entre 45 et 75 par minute, ce qu’explique le rythme rapide qui est ici imposé à l’explant. Dans la vésicule du fragment postérieur le tracé ne présente pratiquement pas de phase lente initiale de repolarisation, ce qui lui confère une allure triangulaire typiquement atriale.
Enregistrement des potentiels d’action de deux vésicules pulsatiles provenant respectivement d’un fragment moyen (tracé supérieur) et d’un fragment postérieur (tracé inférieur). Le premier est stimulé électriquement (flèches) à un rythme voisin de 180 battements/min. Le tracé supérieur est de type ventriculaire, le tracé inférieur est de type atrial. Calibration: verticalement, 10mV; horizontalement 100 ms.
Enregistrement des potentiels d’action de deux vésicules pulsatiles provenant respectivement d’un fragment moyen (tracé supérieur) et d’un fragment postérieur (tracé inférieur). Le premier est stimulé électriquement (flèches) à un rythme voisin de 180 battements/min. Le tracé supérieur est de type ventriculaire, le tracé inférieur est de type atrial. Calibration: verticalement, 10mV; horizontalement 100 ms.
Ainsi, les trois populations cellulaires que nous avons distinguées par la durée des potentiels d’action correspondent bien aux catégories cellulaires du myocarde: atrial, ventriculaire et bulbaire. La figure 9 illustre cette correspondance.
Potentiels d’action caractéristiques des trois niveaux de fragmentation de Faire cardiaque. A: fragment antérieur. M: fragment moyen. P: fragment postérieur. Les trois potentiels d’action montrent une phase de dépolarisation lente diastolique caractéristique de l’automaticité. Sur cette figure, les pentes de dépolarisation diastolique ont été prolongées par un trait interrompu. Calibration : verticalement, 10mV; horizontalement, 200 ms.
Potentiels d’action caractéristiques des trois niveaux de fragmentation de Faire cardiaque. A: fragment antérieur. M: fragment moyen. P: fragment postérieur. Les trois potentiels d’action montrent une phase de dépolarisation lente diastolique caractéristique de l’automaticité. Sur cette figure, les pentes de dépolarisation diastolique ont été prolongées par un trait interrompu. Calibration : verticalement, 10mV; horizontalement, 200 ms.
CONCLUSIONS
Des fragments de l’aire cardiaque prélevés chez des embryons de poulet aux stades s’échelonnant du repli céphalique transverse à 4–5 somites fournissent du tissu myocardique spontanément pulsatile lorsqu’ils sont explantés en culture organotypique selon la méthode de Wolff & Haffen (1952). L’étude de l’ultra-structure des explants montre que les myofibrilles striées se différencient normalement en culture in vitro et que des liaisons cellulaires de type disque intercalaire unissent les myoblastes.
Deux conclusions découlent de l’analyse électrophysiologique du tissu cardiaque formé in vitro par des fragments définis de l’aire cardiaque.
Tout d’abord, la détermination régionale dans l’aire précardiaque des futures cellules atriales, ventriculaires et bulbaires se traduit par l’acquisition des caractéristiques électrophysiologiques particulières à chaque région du cœur lorsque des fragments de cette aire sont explantés isolément in vitro.
De Haan (1963) a observé que les vésicules pulsatiles différenciées in vitro puisent à des rythmes d’autant plus rapides que l’explant provient d’une région située plus en arrière dans l’aire précardiaque. Nos résultats confirment à cet égard ceux de De Haan, mais notre étude électrophysiologique montre que l’hétérogénéité de l’aire précardiaque doit être interprétée d’une façon qui diffère de l’hypothèse proposée par cet auteur. En effet, pour celui-ci les différences de rythme des pulsations, réalisant un gradient croissant dans le sens antéro-postérieur, pourraient être interprétées comme le résultat d’une localisation particulière des cellules aptes à régler la fréquence des pulsations (‘pre-pacemaker cells’). D’après nos résultats il apparaît que ce sont les futurs myoblastes eux-mêmes qui sont déterminés dans l’aire précardiaque. Dès un stade précoce, car nous n’avons pas observé de différence entre les explants correspondant au stade du repli céphalique transverse et aux stades ultérieurs, la partie antérieure de Faire cardiaque contient les futures cellules bulbaires, la partie moyenne les futures cellules ventriculaires et enfin, les futures cellules atriales sont localisées dans la partie postérieure.
Les potentiels d’action enregistrés dans les trois catégories d’explants ne nous ont pas permis de reconnaître l’existence de cellules particulières responsables de l’automatisme. Dans des travaux antérieurs (Le Douarin et al. 1964; Obrecht, Le Douarin & Corabœuf, 1964; Corabœuf, Le Douarin & Obrecht, 1965) nous avons enregistré l’activité électrique transmembranaire de fragments atriaux ou ventriculaires prélevés sur l’ébauche cardiaque d’embryons de 3 jours et cultivés isolément. Le centre d’automatisme qui apparaît dans ces conditions se traduit par l’existence d’une phase de dépolarisation lente diastolique. Une telle phase de dépolarisation diastolique a été très généralement observée dans les tracés correspondant aux vésicules pulsatiles formées en culture par les trois types de fragments de l’aire cardiaque. L’automatisme n’apparaît donc pas dans ces conditions résulter de l’activité physiologique de cellules particulières mais être une propriété commune à tous les myoblastes cardiaques à ce stade du développement, qu’ils soient de nature atriale, ventriculaire ou bulbaire. Ceci est d’ailleurs en accord avec les résultats de Fange, Persson & Thesleff (1957), qui montrent que tous les myoblastes cardiaques de l’embryon de 4 à 8 jours d’incubation isolés par la trypsine ont une activité électrique transmembranaire présentant un prépotentiel caractéristique de l’automatisme.
Les résultats obtenus montrent que lorsqu’on isole en culture in vitro une partie de l’aire cardiaque la différenciation du matériel mésodermique est conforme à sa destinée normale. Il est évident qu’il n’est pas possible de séparer exactement par un procédé microchirurgical les régions atriale, ventriculaire et bulbaire de l’aire cardiaque présomptive. C’est pourquoi dans certains cas nous avons enregistré des tracés de type ventriculaire dans des vésicules antérieures ou postérieures. Ces cas doivent être interprétés comme résultant d’une fragmentation imparfaite et non comme étant la manifestation d’une régulation. D’ailleurs nous n’avons jamais obtenu de tracés de type bulbaire dans les vésicules postérieures ou de tracés de type atrial dans les vésicules antérieures. La détermination régionale de l’aire cardiaque est donc un phénomène très précoce. Stéphan (1958) a montré que la régulation des septa cardiaques n’est déjà plus possible au stade de 8 somites. Nos résultats permettent d’ajouter que dès le stade du repli céphalique transverse les différentes régions du cœur sont déterminées et qu’il ne se produit pas de régulation lorsqu’une partie de l’aire cardiaque est expérimentalement isolée.
RÉSUMÉ
Des fragments de l’aire cardiaque présomptive du blastoderme de poulet de stades prolongement céphalique à 5 somites, ont été explantés en culture in vitro selon la méthode de Wolff & Haffen. Nous avons étudié l’activité électrique transmembranaire des vésicules pulsatiles formées par les explants.
Lorsqu’une aire cardiaque présomptive est prélevée en totalité et cultivée in vitro, il se différencie dans l’explant les trois catégories cellulaires du myocarde, c’est-à-dire les cellules atriales, ventriculaires et bulbaires reconnaissables par les caractéristiques de leurs potentiels d’action.
Lorsque les aires cardiaques sont divisées en trois catégories de fragments : antérieurs, moyens et postérieurs, les résultats obtenus diffèrent selon l’explant considéré. La durée des potentiels d’action ainsi que leur décours permettent de voir que la partie antérieure de l’aire cardiaque contient les futures cellules bulbaires, la partie moyenne les futures cellules ventriculaires et la partie postérieure les futures cellules atriales.
La phase de dépolarisation lente diastolique observée pour les trois types de fragments montre que l’automatisme ne résulte pas de l’activité de cellules particulières mais est une propriété commune à tous les myoblastes au stade du développement atteint en culture par les explants.
Il résulte des faits observés que la détermination régionale de l’aire cardiaque est un phénomène très précoce et que la fragmentation du territoire cardiaque ne donne pas lieu à une régulation.
SUMMARY
Regional determination in the presumptive heart region of the chick embryo as shown by microelectrophysiological methods
Different parts of presumptive cardiac area of the chick blastoderm (head process to 5-somite stage) have been cultivated in vitro by the method of Wolff & Haffen.
We have studied the transmembrane electric activity of the pulsating vesicles formed by these explants.
When one presumptive cardiac area is cultivated in toto, the three kinds of myocardial cells differentiate, i.e. atrial, ventricular and bulbar cells. These different kinds of cells can be identified by the characteristics of their action potentials.
When the cardiac areas are cut into three fragments (anterior, middle and posterior) the results differ according to the kind of explant. The duration and the morphology of the action potentials show that the anterior part of the cardiac area contains the presumptive bulbar cells, while the middle part contains the ventricular cells and the posterior part the atrial cells.
The diastolic depolarization (‘prepotential’) observed in the three kinds of action potential shows that automatism is not restricted to particular cells but is a general property of every cardiomyoblast, at least at the developmental stage reached by the explants.
One can conclude that regional determination in the cardiac area occurs at a very early stage of development. Furthermore, it appears that after fragmentation of the cardiac area there is no regulation.
TRAVAUX CITES
Ultrastructure du tissu myocardique qui s’est différencié en 3 jours de culture. Les myofibrilles se sont constituées normalement et présentent des lignes Z et des bandes I et A. (Fixation au liquide de Palade, inclusion dans l’épon, coloration par l’acétate d’uranyle. G: × 12.000.)