ABSTRACT
Des recherches récentes effectuées dans de nombreux laboratoires ont permis de mettre en évidence les interactions morphogènes qui s’exercent entre les deux composants, épithélial et mésenchymateux, d’une jeune ébauche en cours de différenciation. Ces travaux, utilisant la technique de digestion partielle par la trypsine qui permet de dissocier une jeune ébauche en ses deux composants (Moscona, 1952), confirment les résultats obtenus par Grobstein (1953,1955)sur les glandes salivaires et le métanephros de l’embryon de souris. Ils établissent les faits suivants :
Chaque élément, épithélial ou mésenchymateux, d’une jeune ébauche déterminée ne se différencie pas à l’état isolé, qu’il soit cultivé in vitro (Auerbach, 1960; Dameron, 1961; Caíame, 1961; Sigot, 1962), ou greffé sur la membrane chorio-allantoïdienne de l’embryon de Poulet (Caíame, 1961). La réassociation des deux éléments entre eux permet la différenciation de l’ébauche. Des associations hétérologues d’épithélium avec des mésenchymes d’organes différents permettent de tester la spécificité des interactions démontrées. Chaque élément épithélial d’une ébauche n’atteint généralement un développement normal qu’en présence de son propre mésenchyme (ibid.). Il existe donc une spécificité certaine, bien que variable suivant les cas, du mésenchyme vis-à-vis de l’épithélium
De telles études de réassociations hétérologues ont permis, en outre, des constatations très intéressantes, bien que les résultats soient plus fragmentaires, sur les transformations morphologiques d’un épithélium en présence d’un mésenchyme étranger. (McLoughlin, 1961; Sigot, 1963). Ces résultats semblent indiquer que le mésenchyme non seulement maintient le type morphologique de l’épithélium avec lequel il est normalement associé, mais aussi un mésenchyme étranger peut, dans certains cas, influer sur la nature de la différenciation de l’épithélium.
Les recherches que nous présentons ici ont pour but d’étudier cette hypothèse. Nous avons réalisé des associations hétérologues entre l’uretère et le mésenchyme des ébauches pulmonaire, intestinale et pro ventriculaire.
Réciproquement, l’épithélium peut-il avoir une action inductrice spécifique sur un mésenchyme étranger ?
Il existe des interactions particulièrement nettes entre l’épithélium et le mésenchyme de l’ébauche métanéphrétique : le mésenchyme permet la ramification dichotomique de l’uretère qui, en retour, induit des tubules sécréteurs dans le mésenchyme. Nous étudierons donc ici l’aspect histologique et la ramification de l’uretère en réassociation hétérologue, en les comparant aux résultats des réassociations homologues. D’autre part, nous étudierons la compétence des mésen-chymes étrangers à former des tubules sécréteurs en présence de l’uretère.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
La technique employée a été précédemment décrite (Caíame, 1961).
Les différentes ébauches sont prélevées sur des embryons de poule Leghorn blanche de cinq jours d’incubation. Après dissection, les ébauches sont plongées dans une solution de trypsine Difco 1 /250, à une concentration de 1,5 o/oo dans du liquide de Tyrode sans sels de calcium ni de magnesium. Après trois minutes de traitement à 37°, les ébauches sont transférées dans un bain de Tyrode ordinaire. La dissociation est obtenue en détachant délicatement l’épithélium du mésenchyme qui l’entoure. On obtient dans ces conditions une très bonne séparation de l’uretère du mésenchyme métanéphrétique. Les éléments dissociés sont ensuite plongés dans un mélange à parties égales de serum de cheval et de liquide de Tyrode où ils séjournent pendant 15 min. Trois lavages successifs dans du liquide de Tyrode complètent le traitement. Les différents éléments à réassocier sont alors groupés sur un milieu de culture standard sur lequel une membrane vitelline a été étalée. (Wolff, 1961). Ils se soudent entre eux après 12 hr. de culture et l’ensemble ainsi réassocié, est greffé sur la membrane chorio-allan-toïdienne d’un embryon de Poulet de 7 jours.
Les greffons sont prélevés après 4 à 8 jours de greffe.
Les coupes histologiques sont colorées à l’hémalum-éosine.
RÉSULTATS
Etude de V uretère, greffé seul ou en association avec différents mésenchymes Uretère greffé seul
L’uretère greffé seul sur la membrane chorio-allantoïdienne d’un embryon de Poulet après le même traitement que les ébauches réassociées, ne se développe pas. Après trois jours de greffe, sa taille est approximativement celle qu’il avait au départ. C’est un tube étroit et non ramifié, formé d’un épithélium simple, cylindrique. Les cellules mésenchymateuses de la membrane chorio-allantoïdienne ne forment pas de condensations particulières autour du greffon (Fig. 1).
Associations homologues: uretère associé au mésenchyme métanéphrétique
Après quatre à six jours de greffe, on obtient une différenciation métané-phrétique dans 60 pour cent, des cas, l’uretère forme des ramifications dichotomiques secondaires et tertiaires (Fig. 2). On peut observer le rameau principal, qui reste étroit; il est formé d’un épithélium simple cylindrique, à petites cellules cubiques dont les noyaux sont basaux. Il en est de même des rameaux de même structure qui en sont issus. Autour des ramifications tertiaires de l’uretère s’organisent les îlots de tubules sécréteurs. On peut noter leur forme en S caractéristique et la formation de glomérules (Fig. 3). Cet aspect est tout à fait semblable à celui du métanéphros de même âge in vivo.
Associations hétérologues
(1) Uretère associé au mésenchyme de l’ ébauche pulmonaire.
Le mésenchyme de l’ébauche pulmonaire, greffé sur la membrane chorio-allantoïdienne, soit seul, soit en réassociation avec l’uretère, se disperse et forme une trame beaucoup plus lâche que dans l’ébauche originelle. Le greffon forme alors dans la membrane une hernie translucide caractéristique de ce mésenchyme.
L’uretère après quatre jours de greffe dans le mésenchyme pulmonaire est un tube élargi, qui présente quelques ramifications non dichotomiques et très irrégulières. L’épithélium urétéral est un peu irrégulier avec des noyaux qui ne sont pas tous basaux. Dans quelques cas où une partie du greffon est resté à la surface de la membrane chorio-allantoïdienne, le mésenchyme est beaucoup plus dense et on observe, dans ce cas, un épaississement de l’épithélium urétéral.
(2) Uretère associé au mésenchyme de Vébauche intestinale.
Nous avons utilisé pour ces expériences le fragment d’intestin postérieur compris entre l’ombilic et le cloaque. Le mésenchyme de l’ébauche intestinale est formé d’une tunica propria à petites cellules formant un tissu dense; elle est entourée de couches musculaires cylindriques. La réassociation greffée, reste très compacte.
Après quatre et huit jours de greffe, l’uretère placé au niveau de la tunica propria au moment de la réassociation, est devenu un tube à lumière large et à parois très épaissies. L’épithélium présente une pseudostratification nette; les cellules épithéliales, hautes, à cytoplasme abondant, se chevauchent les unes les autres de sorte que les noyaux se répartissent sur plusieurs niveaux. Ce tube émet parfois des ramifications courtes de même structure mais forme plus souvent des anses irrégulières. On note des mitoses très abondantes dans cet épithélium. Une condensation particulièrement importante de cellules mésenchymateuses forme une couche intensément colorée autour de l’épithélium dont il épouse les circonvolutions. On y observe aussi de nombreuses mitoses (Fig. 4).
(3) Uretère associé au mésenchyme de Vébauche proventriculaire.
Le mésenchyme de l’ébauche proventriculaire comprend également une tunica propria entourée d’une couche musculaire; il forme avec l’uretère un greffon très compact.
Après quatre et huit jours de greffe, l’uretère est un tube très élargi dont les parois présentent de nombreux replis. L’épithélium est très épaissi et présente en de nombreux points une stratification très nette. Des cellules mésenchymateuses forment un réseau très dense et fortement coloré autour de l’épithélium (Fig. 5).
Etude de la réaction du mésenchyme en présence de V uretère.
(1) Mésenchyme de V ébauche pulmonaire
Nous avons décrit dans le paragraphe précédent l’aspect général de ce mésenchyme en greffe chorio-allantoïdienne. Nous observons, de plus, dans ce mésenchyme pulmonaire, la différenciation d’un îlot de tubules d’aspect néphrétique dans 12 cas sur les 20 cas de réassociations avec l’uretère étudiés. Ces îlots, isolés et bien délimités dans le mésenchyme, sont composés d’une dizaine de tubules et de quelques glomérules. Leur aspect un peu atypique est cependant nettement néphrétique. Ces îlots ne sont pas au contact immédiat de l’uretère qui forme cependant quelquefois des ramifications à ce niveau (Fig. 6).
Le mésenchyme de l’ébauche pulmonaire, greffé seul, ne différencie jamais de telles formations. Il est probable que l’uretère a induit des tubes contournés dans le mésenchyme pulmonaire.
(2) Mésenchyme de Vébauche proventriculaire.
En greffe, les cellules de la tunica propria et de la couche musculaire sont souvent intriquées. Dans deux cas, ce mésenchyme différencie un groupe de tubules néphrétiques sous l’influence inductrice probable de l’uretère primaire.
(3) Mésenchyme de Vébauche intestinale.
Nous n’avons jamais observé de différenciation de tubules néphrétiques dans ce mésenchyme.
DISCUSSION
L’absence de différenciation de l’épithélium en présence d’un mésenchyme étranger a permis à plusieurs auteurs de démontrer le rôle du composant mésenchymateux de la jeune ébauche embryonnaire. Nous confirmons ces résultats. Nous démontrons de plus le rôle actif du mésenchyme et la malléabilité de l’épithélium urétéral au stade étudié: en effet, l’épithélium urétéral, simple, cylindrique en présence du mésenchyme métanéphrétique, acquiert une structure pseudostratifiée, à cellules hautes, qui se chevauchent les unes les autres, en présence du mésenchyme intestinal et pro ventriculaire.
Cet épithélium pseudostratifié est de même type que les épithéliums intestinal et pro ventriculaire, normalement au contract de leur propre mésenchyme. Des études ultérieures doivent nous permettre de préciser la nature et l’ampleur de ces transformations morphologiques.
Nous n’obtenons pas de telles transformations en présence des mésenchymes de la chorio-allantoïde ou du poumon. Il s’agit donc là d’une réaction spécifique en présence de certains mésenchymes.
Cette réaction épithéliale n’est pas limitée à l’uretère. Dans certains cas, le mésenchyme greffé se trouve directement au contact de l’épithélium chorionique; à ce niveau précis, l’épithélium chorionique a aussi tendance à devenir pluristratifié.
De quelle façon le mésenchyme excerce-t-il son action ?
L’hypothèse selon laquelle le matériel extracellulaire, sécrété par les cellules mésenchymateuses, joue un rôle important dans l’orientation et l’arrangement des cellules épithéliales (McLoughlin, 1961; Grobstein, 1961; Dodson, 1963) semble pouvoir s’appliquer ici. Les résultats de Marin et Sigot (1963), de Marin et Dameron (1965) montrent d’une manière frappante le rôle organisateur d’un exsudât sécrété par certains mésenchymes. Nous observons une accumulation particulière de cellules mésenchymateuses autour de l’épithélium ce qui suppose une réorganisation active de ces cellules. Elles montrent une coloration intense et forment parfois une nappe homogène autour de l’épithélium. Des recherches se poursuivent pour déterminer la nature du matériel sécrété par ces cellules.
L’induction de tubules néphrétiques dans le mésenchyme de l’ébauche pulmonaire démontre l’action spécifique que peut avoir un inducteur épithélial sur un mésenchyme étranger. Ce résultat appelle cependant les remarques suivantes : au stade de l’intervention, le proventricule et le poumon se distinguent grâce à la morphologie générale de leur épithélium. Mais leur mésenchyme est peut-être encore indifférent et capable de réagir à de nombreuses influences inductrices, en particulier à celle de l’uretère, bien que la transformation de l’épithélium en une formation de type pulmonaire ou gastrique apporte la preuve d’une détermination précise des mésenchymes.
On doit remarquer que les mésenchymes du poumon, du proventricule et du pronephros sont voisins les uns des autres à ce stade. Ils peuvent conserver de larges potentialités de différenciation; celles-ci peuvent être les mêmes pour les trois territoires. On pourrait même supposer que des fragments de mésenchyme du pronephros ont pu être incorporés aux mésenchymes pulmonaire et proventriculaire et continuent à se différencier. Cette hypothèse peut cependant être écartée, car le pronephros à ce stade est en voie de complète régression. Même dans l’hypothèse, peu probable, où du mésenchyme de cette région aurait été prélevé, sa différenciation en tubules néphrétiques n’en serait pas moins le fait d’une induction spécifique de l’uretère.
Enfin, l’éventualité d’une participation de la membrane chorio-allantoïdienne, dont on connait les potentialités multiples (Moscona, 1960), à la différenciation des tubules néphrétiques a été envisagée et rejetée à la suite de l’expérience suivante : une association d’uretère et de mésenchyme pulmonaire a été greffée emballée dans la membrane vitelline qui a servi à la culture. L’association se développe ainsi indépendamment de la chorio-allantoïde Nous avons obtenu dans ce cas une différenciation néphrétique dans le mésenchyme.
Les tubules induits sont donc bien formés par le matériel mésenchymateux associé à l’uretère.
RÉSUMÉ
L’uretère de l’embryon de Poulet greffé seul sur la membrane chorio-allantoïdienne ne se différencie pas. Il conserve une structure d’épithélium simple cylindrique.
L’association homologue de l’uretère avec le mésenchyme métanéphrétique, greffée sur la membrane chorio-allantoïdienne, différencie un métanephros dans 60 pour cent, des cas.
En association hétérologue, l’uretère réagit différemment suivant les différents mésenchymes, pulmonaire, proventriculaire et intestinal auquel il est associé. Il a tendance à se pseudostratifier au contact du mésenchyme des ébauches intestinale et pro ventriculaire, et à former des structures en rapport avec l’origine de ces mésenchymes,
Le mésenchyme de l’ébauche pulmonaire et de l’ébauche proventriculaire différencient des tubules néphrétiques secondaires lorsqu’ils sont associés à l’uretère.
SUMMARY
Associations of the ureter and different kinds of mesenchyme of the fowl embryo studied by chorio-allantoic grafting
The ureter of the fowl embryo does not undergo differentiation when grafted onto the chorio-allantoic membrane. It remains a cylinder of simple epithelium.
Ureter and metanephrogenic mesenchyme in (homologous) association on the chorio-allantoic membrane differentiate into metanephros in 60 per cent of cases.
Ureter associated with other (heterologous) mesenchymes will react differently according to the mesenchyme concerned. It tends to become pseudostratified in contact with intestinal or proventricular mesenchyme and to form structures corresponding to the origin of the mesenchyme.
Pulmonary and proventricular mesenchyme form secondary nephric tubules when associated with ureter.
BIBLIOGRAPHIE
EXPLICATION DE PLANCHE
m.ch.all.—membrane chorio-allantoïdienne; u—uretère; end. ch.—endoderme chorio-allantoidien; m.in.—mésenchyme intestinal; ram. II,III—rameaux secondaires, tertiaires; t.s.—tubules sécréteurs; m.p.—mésenchyme proventriculaire.
1. Aspect de l’uretère après trois jours de greffe dans l’épaisseur de la membrane chorioallantoïdienne. Gross, × 450.
2. Ramification de l’uretère associé au mésenchyme métanephrétique après quatre jours de greffe. Gross, ×225.
3. Différenciation d’une association de l’uretère avec le mésenchyme métanephrétique après 5 jours de greffe. Gross, × 180.
4. Aspect de l’uretère associé au mésenchyme de l’ébauche intestinale après quatre jours de greffe. Gross, ×225.
5. Aspect de l’uretère associé au mésenchyme de l’ébauche proventriculaire après 8 jours de greffe. Gross, ×450.
6. Différenciation d’un îlot de tubules néphrétiques dans le mésenchyme de l’ébauche pulmonaire associé à l’uretère après 4 jours de greffe.
1. Aspect de l’uretère après trois jours de greffe dans l’épaisseur de la membrane chorioallantoïdienne. Gross, × 450.
2. Ramification de l’uretère associé au mésenchyme métanephrétique après quatre jours de greffe. Gross, ×225.
3. Différenciation d’une association de l’uretère avec le mésenchyme métanephrétique après 5 jours de greffe. Gross, × 180.
4. Aspect de l’uretère associé au mésenchyme de l’ébauche intestinale après quatre jours de greffe. Gross, ×225.
5. Aspect de l’uretère associé au mésenchyme de l’ébauche proventriculaire après 8 jours de greffe. Gross, ×450.
6. Différenciation d’un îlot de tubules néphrétiques dans le mésenchyme de l’ébauche pulmonaire associé à l’uretère après 4 jours de greffe.