Au cours de recherches antérieures, Caíame (1961), nous avons mis en évidence le rôle inducteur du canal de Wolff dans la différenciation du mésonéphros de l’embryon du Poulet confirmant ainsi les résultats de Grünwald (1937):

Un obstacle placé dans l’aire intermédiaire d’un jeune embryon de Poulet de 48 hr. d’incubation, à une distance égale à un ou deux somites au-delà du dernier somite différencié, arrête à ce niveau le développement du canal. Le canal est réduit à un fragment compris entre le 15ème somite et le niveau de l’opération.

Le mésenchyme mésonéphrogène situé en regard du fragment de canal différencie des tubules mésonéphrétiques tandis que le territoire mésonéphrogène situé au-delà de l’obstacle reste indifférencié. Dans 55 pour cent, des cas, une agénésie complète de ce territoire est observée. Dans 45 pour cent, des cas cependant, on observe des tubules mésonéphrétiques disséminés au pourtour de la zone opératoire ou isolés dans l’aire mésonéphrogène et apparemment auto-différenciés. De plus, dans un certain nombre de cas, un diverticule postérieur semblable à un fragment caudal de canal de Wolff se différencie chez des embryons de 4 à 6 jours. Ce diverticule donne naissance à l’uretère (Caíame, 1960).

Les expériences que nous présentons ici ont pour but d’analyser le mécanisme de formation des tubules isolés et du diverticule postérieur. Dans ce but, nous avons fait varier la position de l’obstacle par rapport à l’extrémité présumée du canal, chez des embryons de 15 à 26 somites.

La membrane coquillière, utilisée comme obstacle, permet en effet une localisation très précise du niveau de l’opération; la lésion de l’aire embryonnaire, limitée à l’épaisseur de la membrane, est négligeable.

Nous avons réalisé trois séries expérimentales: 1S-2S-3S-dans lesquelles l’obstacle est placé respectivement à une distance égale à 1-2-3-somites au-delà du dernier somite différencié (Fig. 1 A). Nous étudions la fréquence d’apparition du diverticule postérieur et de tubules isolés dans ces trois groupes. La technique opératoire ainsi que l’utilisation de la membrane coquillière ont été décrites précédemment (Caíame, 1961).

FIG. 1.

Représentation schématique de l’opération et des résultats obtenus dans les séries 1S-et3S-.

FIG. 1.

Représentation schématique de l’opération et des résultats obtenus dans les séries 1S-et3S-.

Les embryons utilisés sont de race Leghorn blanche. Ils ont été sacrifiés entre 3 et 12 jours d’incubation.

Etude des embryons de 3 jours d’incubation

Série IS

Etude histologique de l’embryon 967 opéré à gauche au stade 18 somites et sacrifié le lendemain au stade 29 somites. L’obstacle est placé entre le 18ème et le 19ème somites.

On observe au niveau du 15ème somite, les deux canaux de Wolff symétriques et la différenciation des premiers tubules dans le mésenchyme mésonéphrogène. Du côté opéré, le canal de Wolff dilaté se termine en une ampoule contre la membrane coquillière dont les sections traversent l’aire intermédiaire. En arrière de la membrane coquillière et sur une longueur de huit somites, le territoire mésonéphrogène est indifférencié, tandis que, du côté normal, des tubules sont en formation. Puis au niveau des 28ème et 29ème somites, on observe, du côté opéré, à l’angle latéral des somites, une petite languette cellulaire, formée de quelques cellules de coloration plus rose que les cellules environnantes. Ces cellules s’organisent en plusieurs endroits en un petit fragment de tube. Cette languette observée au niveau des deux derniers somites se prolonge le long de la bande somitique insegmentée sur une longueur d’environ 1 somite. Elle se termine au même niveau que la pointe antérieure du canal de Wolff du côté normal.

On observe une telle languette dans la majorité des cas du groupe IS (fig. 1). Elle se trouve au niveau des deux derniers somites différenciés, cependant dans trois cas, cette languette a été observée à mi-distance du cloaque, et se distingue alors très peu du mésenchyme somitique. Chez des embryons un peu plus âgés, de 3 jours d’incubation, l’intestin postérieur se forme par fermeture de la gouttière endodermique. La paroi cloacale émet deux digitations symétriques. Du côté opéré, la fusion de la languette terminale et de l’anse cloacale va reconstituer un fragment de tube très net.

Série 2S

Nous avons observé une languette terminale dans deux cas.

Série 3S

Nous n’avons jamais observé de languette terminale dans cette série. Les résultats ont été groupés dans le tableau 1.

TABLEAU

Tableau des résultats des trois séries expérimentales 1S-2S-3S-

Tableau des résultats des trois séries expérimentales 1S-2S-3S-
Tableau des résultats des trois séries expérimentales 1S-2S-3S-

Etude d’embryons de 4 à 12 jours d’incubation

Nous avons étudié la fréquence d’apparition du diverticule postérieur et de tubules isolés, ou des deux à la fois, dans les 3 séries.

On observe un diverticule caudal, des tubules isolés ou les deux à la fois dans la majorité des cas de la série 1S.

On n’observe jamais à une exception près de diverticule ou de tubules isolés dans la série 3S.

Les résultats sont groupés dans le tableau.

Interprétation des résultats

Lorsque l’opération est pratiquée à une distance d’un somite au-delà du dernier somite différencié, la fente sectionne la languette terminale du canal lui-même. Le canal ne se développe pas au-delà de l’obstacle, et il se termine souvent en une ampoule à ce niveau. Mais la tête du canal ou languette terminale poursuit une évolution indépendante (Fig. 1).

Cette languette se déplace caudalement au fur et à mesure de la formation des somites, en effet, on la trouve à chaque stade, au niveau des deux derniers somites différenciés. Son mode de progression n’est pas connu. A 3 jours , cette languette terminale s’abouche au cloaque et reconstitue un fragment de canal qui donnera naissance à l’uretère. Le diverticule caudal est donc formé de l’extrémité antérieure du canal qui a migré jusqu’au niveau du cloaque, et non pas d’une évagination de la paroi cloacale elle-même, comme nous l’avions primitivement pensé (Fig. IA).

Dans la série 3S, la fente est pratiquée caudalement à la languette terminale qui prolonge le canal. On n’observe jamais de diverticule postérieur (Fig. 1 DetE).

L’apparition de tubules isolés chez des embryons de 4 à 12 jours semble dû au cheminement de la languette terminale. En effet, on n’observe jamais de tels tubules dans la série 3S. Il semble donc que la languette terminale détachée du canal et cheminant en direction caudale est capable d’induire des tubules sur son passage. (Figs. 1 B et C). Afin de vérifier cette hypothèse, nous avons réalisé des expériences comportant deux interventions successives.

Mise en évidence des potentialités inductrices de la languette terminale

Des embryons des séries 1S et 3S subissent deux interventions successives: 5 à 7 hr. après la première opération, un 2ème obstacle est placé dans l’aire intermédiaire de l’embryon, 3 somites au-delà du dernier somite différencié. Les embryons sont sacrifiés à 6 et 7 jours d’incubation.

Exemple Série 1S

Embryon 1068, opéré au stade de 19 somites à droite, 7 hr. après la première opération, l’embryon a atteint le stade 23 somites, le 1er obstacle est placé entre le 20ème et le 21ème somite. On place un 2ème obstacle, 3 somites au-delà du 23ème.

11 embryons ont ainsi été opérés. Les résultats sont groupés dans le tableau.

La dissection montre que le canal de Wolff est arrêté au niveau du 1er obstacle en avant duquel il forme une ampoule. On observe un îlot de tubules différenciés juste en avant du 2ème obstacle. Il n’y a pas de diverticule postérieur. (Fig. 2.)

FIG. 2.

Dessin à la chambre claire du système urogénital de l’embryon 1068, montrant l’arrêt du canal de Wolff par le 1er obstacle et la formation de tubules en avant du 2ème obstacle (CL, cloaque CW canal de Wolff, OB, obstacle, le mésonéphros est représenté par des croix, la gonade par des rayures.)

FIG. 2.

Dessin à la chambre claire du système urogénital de l’embryon 1068, montrant l’arrêt du canal de Wolff par le 1er obstacle et la formation de tubules en avant du 2ème obstacle (CL, cloaque CW canal de Wolff, OB, obstacle, le mésonéphros est représenté par des croix, la gonade par des rayures.)

FIG. 3.

Dessin à la chambre claire du système urogénital de l’embryon 1057, montrant l’arrêt du canal de Wolff par le 1er obstacle et l’absence de tubules au niveau du 2ème obstacle.

FIG. 3.

Dessin à la chambre claire du système urogénital de l’embryon 1057, montrant l’arrêt du canal de Wolff par le 1er obstacle et l’absence de tubules au niveau du 2ème obstacle.

Exemple Série 35

Embryon 1057, opéré au stade 17 somites à droite. 5 hr. après, l’embryon a atteint le stade 19 somites. Le premier obstacle se trouve juste au-delà du 19ème somite, on place un 2ème obstacle, 3 somites au-delà du premier.

Le canal est arrêté au niveau du 1er obstacle. Le 2ème obstacle bien placé ne provoque pas de différenciation de tubules. Il n’y a pas de diverticule postérieur (Fig. 3).

Conclusion

Dans la série 1S, le 2ème obstacle placé dans l’aire intermédiaire arrête la languette terminale dans son cheminement caudal. La languette ainsi arrêtée, induit des tubules dans le mésenchyme mésonéphrogène. On n’observe jamais de diverticule postérieur dans ces cas.

Lorsque la fente opératoire est pratiquée à une distance de 1 somite au-delà du dernier somite différencié, la languette terminale ou tête du canal de Wolff est sectionnée. Elle continue sa course jusqu’au niveau du cloaque où elle reconstitue un fragment de canal. Elle induit quelquefois des tubules sur son passage. On observe alors des tubules isolés en plus du diverticule postérieur. Dans un certain nombre de cas, la languette terminale peut être arrêtée à mi-course et induire quelques tubules. On n’observe pas de diverticule postérieur dans ce cas.

Nos premières expériences, dont nous avons donné les résultats au début de cet article, correspondent à la série 2S. Dans la moitié des cas, on observe un arrêt complet du canal, tandis que les résultats obtenus dans l’autre moitié montrent l’évolution indépendante de la languette terminale. Boyden (1924), et Grünwald (1937), ont observé l’extrémité du canal de Wolff au niveau ou juste au-delà du dernier somite différencié chez des embryons de 15 à 26 somites. Nos expériences montrent que le canal proprement dit se prolonge, par une languette cellulaire, sur une distance égale à un ou deux somites, le long de la bande somitique insegmentée.

Les expériences dans lesquelles cette languette terminale se trouve détachée du canal, mettent en évidence ses potentialités. La différenciation d’un diverticule caudal, semblable à un fragment postérieur de canal de Wolff ou ‘duct-like structure’ a été observée par de riombreux auteurs, Van Gertruyden (1946), Houillon (1956), chez les Urodèles, Caíame (1961), chez les Oiseaux. Nous démontrons l’origine d’une telle formation chez les Oiseaux, rejoignant ainsi les résultats obtenus par Gipouloux (1956) chez les Batraciens Anoures.

Le mode de progression des cellules de là languette terminale n’est pas connu. On peut imaginer qu’il s’agit là d’un simple phénomène mécanique dû à la segmentation du mésenchyme en somites. Il se peut aussi que cette languette terminale, constituée de cellules à cytoplasme abondant, possède des potentialités particulières de migration.

Cette languette ne laisse souvent pas de trace dans le mésenchyme et son passage n’est attesté que par la présence d’un diverticule postérieur. Le mésenchyme mésonéphrogène, lorsqu’il n’est pas induit dans les séries 1 S, présente le même caractère et le même phénomène de régression que dans la série 3S. On peut cependant se demander s’il n’a pas acquis une certaine détermination après passage de la languette terminale.

Dans un certain nombre de cas, la languette terminale induit des tubules mésonéphrétiques, on peut penser que cette induction se produit à la faveur d’un contact plus étroit ou plus prolongé de l’inducteur avec le mésenchyme mésonéphrogène.

Chez de jeunes embryons de Poulet de 15 à 26 somites, une languette cellulaire prolonge le canal de Wolff le long de la bande somitique indifférenciée. Lorsque cette languette est sectionnée par un obstacle au cours d’expériences d’arrêt du canal de Wolff, la partie située caudalement à l’obstacle chemine de façon autonome jusqu’au niveau du cloaque où elle reconstitue un fragment de canal. Elle est capable d’induire des tubules dans le mésenchyme mésonéphrogène.

New researches on the rôle of the Wolffian duct in the differentiation of the mesonephros of the fowl embryo

In fowl embryos of between 15 and 26 somite stages a band of cells extends from the Wolffian duct along the whole of the undifferentiated somitic mesoderm. If this band is divided by an obstacle during experiments designed to block the Wolffian duct, the part lying behind the obstacle migrates autonomously to the cloaca where it reconstitutes a fragment of duct. This is capable of inducing tubules in mesonephric mesenchyme.

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