L’ Ectoderme n’ est capable de réagir à l’ action des inducteurs que pendant un laps de temps assez court et bien déterminé. Waddington (1938) a dé-nommé ‘compétence’, cette réactivité de l’ ectoderme caractérisque d’ un stade du développement embryonnaire.

L’ évolution de la compétence ectodermique dans le temps a été étudiée par de nombreux auteurs (Lehmann, 1929; Machemer, 1932; Holtfreter, 1938; Gallera, 1952). Plus récemment, Nieuwkoop (1958) a fait une étude très complète, tant quantitative que qualitative, de la disparition progressive des structures céphaliques dans l’ ectoderme vieilli. Il a précisé les stades du développement auxquels le feuillet ectodermique n’ est plus susceptible de réagir et a montré que l’ aptitude à former des structures rhombencéphaliques persiste plus longtemps que celle à former des structures archencéphaliques.

I1 nous a semblé qu′il serait intéressant de connaître les variations de la réactivite de l′ectoderme, non seulement dans le temps, mais aussi aprés des traitements susceptibles de modifier les structures cellulaires. C’ est pourquoi nous avons repris ces recherches en utilisant un agent tératogène: les rayons X, et en élargissant notre étude aux structures spinocaudales.

Nous avons opéré sur de jeunes gastrulas de Pleurodeles et d’ Axolotls. (Stade 8 a et b de Gallien et Durocher pour le Pleurodèle. Stade 10- de Harrison pour l’ Axolotl.) Ces oeufs réagissent de façon identique à une même dose de rayonnement. Comme agent tératogène, nous avons utilisé les rayons X.

En effet, nous avons démontré précédemment qu’ une irradiation aux rayons X de 1170 r. supprime la réactivité de l’ ectoderme aux stimulus inducteurs (Wolff et Reyss-Brion, 1957). Nous avons pensé qu’ une diminution progressive de la dose de rayonnement apporterait des renseignements intéressants sur la façon dont la réactivité décroît.

La technique d’ irradiation est la suivante : les oeufs dégangués sont placés dans une petite chambre cylindrique, à demi obturée par une lamelle de rhodoïd mince, et remplie d’ eau pure. L’ ensemble est posé sur un plateau dont on peut régler la hauteur, et amené devant une source horizontale de rayons X. L’ oeuf est donc traversé latéralement par les rayons. Ceux-ci sont canalisés par un localisateur dont la section est circulaire. En obturant, par un écran de plomb, la moitié supérieure ou inférieure de ce cercle, il est possible de protéger la moitié supérieure ou inférieure de l’ oeuf qu’ on expose au rayonnement. Un dispositif de prisme permet de vérifier que l’ oeuf ne s’ est pas déplacé pendant l’ irradiation (Fig. 1).

TEXT-FIG. 1.

Dispositif d’ irradiation. L’ œuf (O) est placé dans un microaquarium (M), posé sur un plateau (P) à hauteur réglable. Les rayons X sont canalisés par un localisateur (L). Une lamelle de plomb (1) sert à obturer la moitié supérieure ou inférieure de l’ orifice et permet d’ irradier séparément la moitié supérieure ou inférieure de l’ œuf.

TEXT-FIG. 1.

Dispositif d’ irradiation. L’ œuf (O) est placé dans un microaquarium (M), posé sur un plateau (P) à hauteur réglable. Les rayons X sont canalisés par un localisateur (L). Une lamelle de plomb (1) sert à obturer la moitié supérieure ou inférieure de l’ orifice et permet d’ irradier séparément la moitié supérieure ou inférieure de l’ œuf.

Nous avons utilisé des doses de rayons X variant entre 1050 et 150 r. Dans un lot d’ oeufs, nous avons irradié la calotte ectodermique en protégeant par un cache de plomb le pôle végétatif et la lèvre blastoporale dorsale. Dans un autre lot, l’ oeuf est irradié in toto, ceci afin d’ être sûr d’ irradier toutes les cellules ectodermiques. Nous avons, par ailleurs, vérifié qu’ une irradiation de 1050 r. de la lèvre blastoporale dorsale, ne modifie pas son pouvoir inducteur. Les embryons sont élevés de 4 à 10 jours, puis fixés. Par suite d’ un dérèglement des appareils de mesure, les doses de rayons X indiquées dans mes publications antérieures sont inférieures à celles indiquées ici.

J’ ai irradié 371 jeunes gastrulas: dans 212 cas j’ ai irradié uniquement la calotte ectodermique et dans 159 cas l’ oeuf été irradié in toto. Dans la première série 130 survivent (66%) et dans la deuxième 90 seulement (56%).

J’ ai condensé dans le tableau les résultats obtenus dans ces deux groupes. On voit que les différentes structures disparaissent dans le même ordre, mais que les pourcentages de cas positifs sont plus élevés dans le groupe des irradiations localisées, surtout en ce qui concerne les organes des sens. J’ attribue cela à une survie meilleure dans ce groupe. Dans l’ exposé des résultats, je ne dissocierai pas ceux concernant une irradiation totale de l’ oeuf de ceux obtenus après une irradiation partielle. Pour apprécier les différences, il suffira de se reporter au Tableau 1.

TABLEAU 1.
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Voici ce qu’ on obtient

Après une irradiation de 1050 r., les formations archencéphaliques et deutérencéphaliques sont complètement absentes. Au niveau de la moelle, on trouve quelques cellules neuroïdes plus ou moins dispersées dans 10 cas sur 41 (24,5 %), de la chorde dans 18 cas (44%) et des somites dans 17 cas (41,5%).

Après une irradiation de 800 r., on trouve des formations archencéphaliques dans 11 cas seulement sur 39 (25%). Elles sont extrêmement réduites et généralement représentées par une petite vésicule cérébrale isolée ou un amas de cellules à aspect ganglionnaire. Le deutérencéphale est absent. La moelle est présente dans tous les cas, la chorde et les somites également.

Après une irradiation de 550 r., les formations archencéphaliques sont présentes dans 44 cas sur 73 (60%) mais elles sont toujours peu développées et atypiques (totalement dépourvues d’ organes des sens). Le deutérencéphale semble absent. La moelle, la chorde et les somites sont presque normaux dans tous les cas.

Après une irradiation de 300 r., les formations archencéphaliques restent atypiques dans 10 cas sur 29 (34,5%); mais sont typiques dans 17 cas (59%). On peut alors identifier du diencéphale accompagné de vésicules optiques souvent rudimentaires et encore reliées au cerveau. Le deutérencéphale est présent dans 7 cas sur 21 (33,5%) mais sa structure est très aberrante et il n’ est accompagné d’ otocystes que dans 1 cas. La moelle, les somites et la chorde sont présents dans 100% des cas.

Ce n’ est qu’ après une très faible irradiation: 150 r., que des formations archencéphaliques vraiment importantes se différencient. Elles sont typiques dans 33 cas sur 38 (87%) et atypiques dans 5 cas seulement (13%).

Les formations deutérencéphaliques sont également représentées dans 24 cas (63%) et sont accompagnées de vésicules auditives dans 13 cas (34%). La moelle, les somites et la chorde sont normaux dans tous les cas.

J’ ai schématisé sur les Figs. 2 et 3 les cas les plus fréquemment obtenus. Chaque schéma a été décalqué sur une photo, les dimensions des différenciations indiquées sont donc exactes. Pour une même dose de rayons X, les 3 coupes successives proviennent d’ un même embryon.

Les différentes structures obtenues ont été difficiles à identifier car les embryons meurent précocement dans certains groupes, c’ est le cas des embryons irradiés aux fortes doses et celui des embryons irradiés in toto. Au moment de la fixation, les structures nerveuses ne sont pas toutes bien différenciées. Afin d’ obtenir une meilleure survie et une identification plus complète des organes, nous avons utilisé la technique des greffes en parabiose (Burns, 1925), modifiée par Gallien (1957). Ce dernier auteur eut l’ idée ingénieuse d’ associer en parabiose un embryon sain à un embryon malformé. De cette façon, le premier subvient aux besoins du second, et on peut conserver ainsi des embryons qui auraient été incapables de survivre seuls. Les embryons sont élevés une quinzaine de jours, ce qui leur permet d’ atteindre un stade auquel une bonne différenciation nerveuse est réalisée.

Les premiers résultats obtenus par cette méthode se superposent à ceux que • nous venons d’ exposer. Nous avons cependant réussi à identifier du deutérencéphale après une irradiation de 550 r.; alors que nous n’ avions signalé son apparition qu’ après 300 r. chez l’ embryon élevé isolément. Il n’ est d’ ailleurs pas très caractéristique, mais il est, dans quelques cas, accompagné d’ une petite vésicule auditive, ce qui ne laisse aucun doute sur sa nature. Il semblerait donc, dans ce cas, que la disparition de l’ archencéphale et du deutérencéphale soit presque simultanée.

On voit que l’ ectoderme irradié perd progressivement sa compétence vis à vis des inducteurs neuraux. Les differentes structures disparaissent dans l’ ordre suivant : deutérencéphale, archencéphale, formations spinocaudales. En ce qui concerne les formations deutérencéphaliques, il est difficile de se prononcer définitivement. En effet, dans quelques cas, l’ examen histologique permet d’ observer l’ existence d’ une vésicule archencéphalique réduite (Planche, fig. 1), puis une interruption des structures nerveuses au niveau du deutérencéphale (Planche, fig. 2) et enfin de la moelle, de la chorde et des somites qui se maintiennent jusqu’ à l’ extrémité de la queue (Planche, fig. 3).

Dans d’ autres cas, au contraire, il n’ y a pas d’ interruption au niveau du rhombencéphale; la vésicule archencéphalique, si elle existe, est réduite, et l’ on passe sans interruption aux structures spinocaudales.

Cependant, rien ne permet d’ affirmer que le cerveau postérieur existe quand il n’ y a pas d’ otocystes car la formation neurale qui se trouve à son niveau ressemble beaucoup à de la moelle (tube arrondi régulier, ou structure typique de moëlle avec murs épaissis, plancher et plafond amincis). (Planche, fig. 5b.)

Il semblerait possible qu’ en l’ absence de structures deutérencéphaliques, la moëlle puisse s’ étendre à un niveau où normalement on ne la trouve pas. Ceci me paraît peu probable, mais en présence de telles structures, je n’ ai pas osé conclure positivement en faveur de deutérencéphale.

  1. Après irradiation aux rayons X, l’ ectoderme de jeune gastrula de Pleurodele et d’ Axolotl perd progressivement son aptitude à former des structures nerveuses. L’ ordre de disparition des différentes formations est le suivant: deutérencéphale, archencéphale, formations spinocaudales.

  2. Le cerveau postérieur disparait après des irradiations de 300 et 550 r., alors que le cerveau antérieur persiste, après des doses de 550 et quelquefois 800 r. Il est d’ ailleurs très réduit. Pour ces doses de rayons X, les formations spinocaudales sont présentes dans presque 100% des cas. Elles disparaissent à leur tour après des irradiations de 1050 r.

  3. A l’ inverse de ce que l’ on obtient en dénaturant les inducteurs, ce sont donc les structures cérébrales qui disparaissent les premières lorsqu’ on porte atteinte à l’ intégrité du tissu compétent.

On the structures differentiated from X-irradiated amphibian ectoderm

  1. The ectoderm of the young gastrula of Pleurodeles and of axolotl loses the capacity to form neural structures after X-irradiation. With increasing doses the order in which structures fail to form is hindbrain, forebrain, and spino-caudal structures.

  2. The hindbrain is not formed after irradiation by 300 r. and 550 r., although the forebrain survives after 550 r. and sometimes after 800 r. It is, however, much reduced in size. After such doses of X-rays spinocaudal formations are present in almost 100 per cent, of cases. They also are missing after doses of 1050 r.

  3. In contrast to the findings using progressively more denatured inductors, it is therefore the brain structures which disappear first when the competent tissue is injured.

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FIG. 1. Embryon ayant reçu 550 r. au pôle supérieur. Il y a une ébauche de cerveau antérieur.

FIG. 2. Le même embryon au niveau du cerveau postérieur. Aucune différenciation nerveuse.

FIG. 3. Le même embryon, dans la région moyenne du tronc. Présence de moëlle, chorde et somites.

FIGS. 4, 5, 6. Parabiose d’ un embryon ayant reçu 300 r. au pôle supérieur avec un embryon sain. L’ embryon normal figure sur les Figs. 4a, 5a, 6a; l’ irradié sur les Figs. 4b, 5b, 6b.

FIG. 4a et b. Coupes au niveau du cerveau antérieur, (a) Structures normales=Diencéphale avec yeux; (b) Après irradiation=Archencéphale massif.

FIG. 5a et b. Coupes au niveau du cerveau postérieur, (a) Deutérencéphale accompagné d’ otocystes—Chorde; (b) Les formations présentes au niveau du cerveau post. Ressemblent à de la moëlle—Chorde.

FIG. 6a et b. Coupes au niveau des formations spinocaudales. (a) Formations normales= Moëlle, chorde, somites. Nageoire; (b) Après irradiation, la nageoire est atrophiée, mais la moëlle, la chorde et les somites sont bien représentés. ‘

FIG. 1. Embryon ayant reçu 550 r. au pôle supérieur. Il y a une ébauche de cerveau antérieur.

FIG. 2. Le même embryon au niveau du cerveau postérieur. Aucune différenciation nerveuse.

FIG. 3. Le même embryon, dans la région moyenne du tronc. Présence de moëlle, chorde et somites.

FIGS. 4, 5, 6. Parabiose d’ un embryon ayant reçu 300 r. au pôle supérieur avec un embryon sain. L’ embryon normal figure sur les Figs. 4a, 5a, 6a; l’ irradié sur les Figs. 4b, 5b, 6b.

FIG. 4a et b. Coupes au niveau du cerveau antérieur, (a) Structures normales=Diencéphale avec yeux; (b) Après irradiation=Archencéphale massif.

FIG. 5a et b. Coupes au niveau du cerveau postérieur, (a) Deutérencéphale accompagné d’ otocystes—Chorde; (b) Les formations présentes au niveau du cerveau post. Ressemblent à de la moëlle—Chorde.

FIG. 6a et b. Coupes au niveau des formations spinocaudales. (a) Formations normales= Moëlle, chorde, somites. Nageoire; (b) Après irradiation, la nageoire est atrophiée, mais la moëlle, la chorde et les somites sont bien représentés. ‘