De nombreux auteurs, parmi lesquels Parker (1876) et de Beer (1937), ont étudié et décrit le développement de la tête chez l’embryon d’Oiseau. C’est en 1933 que P. Ancel et Ét. Wolff ont inauguré l’analyse expérimentale des facteurs qui président à l’organogenèse embryonnaire chez le Poulet. Les travaux d’Ét. Wolff (1936) sur les bases de la tératogénèse expérimentale chez les Vertébrés amniotes ont incité d’autres collaborateurs à des recherches sur la morphogenèse des différents organes de l’embryon.

Strudel (1953, 1955a, 1955b), en particulier, a étudié le développement corrélatif du tube nerveux et de la colonne vertébrale. Il a démontré que l’absence de tube médullaire entraîne la disparition de l’arc neural des vertèbres, tandis qu’une partie des corps vertébraux se développe autour de la chorde dorsale. Le tube nerveux peut donc être considéré comme l’inducteur de la région dorsale des vertèbres.

La chorde, de son côté, pourrait jouer un rôle dans la genèse du plancher crânien. Benoit (1956) remplace l’otocyste par un fragment de chorde et obtient à partir de cet implant la différenciation en cartilage du mésenchyme de l’oreille.

Nous nous sommes demandé si l’encéphale possède le même pouvoir inducteur sur la morphogenèse du crâne que le tube nerveux sur la morphogenèse des vertèbres. Y a-t-il une relation entre la présence du cerveau et la différenciation de la voûte crânienne? Le plancher crânien est-il influencé par la présence ou l’absence d’encéphale? D’autre part, quel rôle joue la chorde dans l’édification du crâne?

Nous avions déjà étudié l’influence de l’excision de divers territoires de l’encéphale sur la morphogenèse du crâne. L’excision du rhombencéphale entraîne une atrophie des os pariétaux. Ceux-ci disparaissent si l’on supprime le rhombencéphale en même temps que le mésencéphale (Schowing, 1959a). L’excision du prosencéphale entraîne des modifications des os frontaux, tandis que l’excision du prosencéphale et du mésencéphale entraîne l’atrophie des os frontaux et du plancher crânien (Schowing, 19596). Nous avons complété cette étude par des expériences d’excision soit de la chorde, soit de l’encéphale, soit des deux simultanément.

Les opérations sont faites sur des œufs de race Leghorn blanche, après 35 à 40 heures d’incubation (stades 11 à 13 de Hamburger & Hamilton, 1951). Les embryons sont opérés à l’aide de microscalpels fabriqués à partir d’aiguilles en acier, ce qui permet un découpage précis du tube nerveux par rapport aux organes voisins.

Après l’opération, les œufs sont remis en couveuse jusqu’au 15ème jour, puis les embryons sont extraits et fixés dans l’alcool à 95°. Ils sont ensuite traités au rouge d’alizarine, colorant spécifique du tissu osseux, puis rincés à la potasse et montés dans la glycérine pure, d’après la méthode mise au point par Hollister (1934). Il est alors possible d’observer directement le squelette.

Excision de la chorde seule

Ces opérations sont faites au stade 13 de Hamburger & Hamilton (17 à 20 somites). A ce stade, en effet, il est facile de détacher la chorde du tube nerveux. Les excisions sont faites par le côté droit. Une ouverture est pratiquée le long de l’axe nerveux depuis le niveau de l’œil jusqu’au niveau de la première ou seconde paire de somites, et la chorde est prélevée à la pince.

Dans tous les cas étudiés, nous avons remarqué que l’aspect général de l’embryon n’est pas modifié et qu’il est apparemment normal.

L’examen du squelette, par contre, permet de noter certaines modifications du plancher crânien (fig. 2). Dans la moitié des cas environ, la plaque basilaire est réduite par rapport à la normale. Son atrophie porte principalement sur sa partie postérieure. Le parasphénoïde n’est pas altéré, la logette antérieure de la chorde est toujours parfaitement dessinée. Le basioccipital est toujours réduit environ de moitié. Les autres os du crâne et de la face sont intacts.

L’influence de la chorde sur le plancher crânien est donc évidente et son action semble analogue à celle qu’elle exerce sur l’axe vertébral et qui a été étudiée par Strudel (1955a, 1955b).

Excision de Vencéphale et de la chorde

Concurremment avec la chorde, nous avons excisé l’encéphale entier, les yeux étant épargnés au cours de l’intervention. L’excision est faite jusqu’au niveau de la première paire de somites.

L’aspect extérieur de l’embryon est très semblable à ce que nous avons déjà obtenu en supprimant le mésencéphale et le prosencéphale (Schowing, 19596) : les yeux sont étroitement soudés dans une même orbite et tournés vers le haut, tandis que le bec supérieur est absent (Planche, fig. A). Il est, en effet, très difficile d’exciser le prosencéphale sans léser les bourgeons frontal et maxil-laire. Nous constatons l’altération de nombreux os. Du fait de l’absence de bourgeon frontal, il n’y a pas de complexe nasal.

Les os frontaux et pariétaux n’existent jamais tandis que nous avons toujours observé la présence des squamosaux (fig. 9). Il est intéressant de noter que les palatins subsistent en partie, mais leur forme est très particulière. Ils sont ramassés, affectent la forme d’un croissant et sont le plus souvent soudés à l’avant aussi bien qu’à l’arrière de façon à former un anneau osseux en avant du parasphénoïde. Celui-ci est épargné, sauf toutefois dans la région du rostre. Par contre, la logette antérieure de la chorde est très visible et ce dans tous les cas étudiés jusqu’à présent. La plaque basilaire existe dans tous les cas; lorsqu’elle est atrophiée, son atrophie est d’autant plus importante que l’on va vers la partie postérieure (fig.3).

Le complexe occipital est également touché. Seuls les exoccipitaux subsistent. Les basioccipitaux et les supraoccipitaux disparaissent dans la moitié des cas. Cette disparition n’est pas obligatoire: il semble qu’elle soit due à l’excision elle-même qui enlève vraisemblablement du matériel présomptif de ces pièces osseuses.

Nous constatons donc dans ce cas une réduction importante du squelette crânien. Néanmoins, il subsiste souvent une grande partie des pièces postérieures du crâne dont la formation paraît indépendante de la présence de l’encéphale et de la chorde céphalique.

Excision de /’encéphale, de la moelle antérieure et de la chorde

L’excision est prolongée jusqu’à la 8ème ou 9ème paire de somites. Extérieurement, les embryons diffèrent des précédents par la gracilité du cou et l’étroitesse de la tête. Les yeux sont soudés dans une seule orbite et tournés vers le haut (Planche, figs. B, C).

Nous retrouvons dans le squelette crânien les mêmes malformations que dans les expériences précédentes: disparition des os de la face, des os de la voûte (fig.10), altération des palatins et du parasphénoïde. La plaque basilaire disparaît presque toujours (fig.4). Cependant, à la voûte, les squamosaux subsistent encore. Le complexe occipital disparaît totalement.

Il ne reste donc que le corps du parasphénoïde, la plaque basilaire dans quelques cas, et les squamosaux. Notons que dans toutes les expériences déjà citées, les carrés, ptérygoïdes, maxillaires et jugaux demeurent intacts.

Excision du rhombencéphale, de la moelle antérieure et de la chorde

Comme précédemment, l’excision est poussée vers l’arrière jusqu’à la 9ème paire de somites.

Nous remarquons assez peu de modifications extérieures dans la région antérieure du crâne. Elles sont importantes dans la région postérieure de la tête et dans le cou. Le bec supérieur est plus court que le bec inférieur; le crâne est peu développé vers l’arrière et le cou est grêle (Planche, fig. D). Dans certains cas, les fragments de chorde ont subsisté accidentellement au niveau du cou, qui se rapproche alors de la normale.

A part un léger raccourcissement du complexe nasal, les os de la face ne subissent aucune modification. Les préfrontaux, les frontaux et les squamosaux existent dans tous les cas et leur aspect ne diffère pas de celui des os normaux. Dans la plupart des cas, les pariétaux disparaissent (fig. 11) ou bien, lorsqu’ils sont présents, ils sont réduits. Ceci rejoint les résultats que nous avons obtenus en excisant le rhombencéphale seul (1959a). Les palatins sont intacts, de même que le parasphénoïde. La logette antérieure de la chorde existe toujours. La plaque basilaire peut disparaître dans certains cas. Le complexe occipital disparaît toujours et en totalité.

La même intervention que dans les deux dernières séries a été pratiquée, à cela près que la chorde a été épargnée.

Nous remarquons alors que la plaque basilaire et le basioccipital sont toujours formés, bien que réduits par rapport à des os normaux (fig. 7). Par ailleurs, on remarque dans la plupart des cas les exoccipitaux réduits à leur partie latéro-ventrale. Ils peuvent parfois se souder en arrière du basi-occipital. Cette particularité est probablement due à ce que les territoires présomptifs de ces os se soudent sur l’emplacement du territoire excisé.

Remarquons que les vésicules otiques existent toujours. Leur altération, dans les troisième et quatrième séries notamment, provient d’une lésion des placodes otiques au moment de l’opération. D’autre part, elles peuvent être soudées par leur partie cochléaire, la seule qui subsiste dans tous les cas.

Tous les résultats sont résumés dans le tableau 1.

Nos premières expériences montrent la grande influence de la chorde sur la différenciation du plancher crânien. Cependant, malgré l’absence de chorde, nous constatons que le corps du parasphénoïde se différencie toujours. Ce fait conduit à l’hypothèse que l’extrémité antérieure de la chorde aurait induit cet os avant l’ablation. Cette partie de la chorde posséderait donc un pouvoir inducteur beaucoup plus précoce que le reste de l’organe, mais ceci reste à vérifier.

Certains auteurs ont montré l’influence des crêtes neurales sur le développement du squelette viscéral (Hôrstadius, 1950; Raunich, 1952). En excisant l’encéphale, enlèverions-nous du même coup une partie des crêtes neurales, ce qui serait à l’origine de cette diminution de taille des os du plancher? Cela paraît peu probable. En effet, nos expériences sont faites aux stades 11 à 13 de Hamburger & Hamilton; or, à ce stade, les cellules des crêtes neurales ont déjà migré parmi les cellules du mésenchyme céphalique; d’autre part, des coupes histologiques ont montré que ce dernier est épargné totalement pendant l’opération.

L’hypothèse d’une cause mécanique doit être écartée. On sait que l’absence d’un territoire nerveux important peut modifier la courbure de l’embryon et déterminer un raccourcissement de la tête à ce niveau (Huber, 1957). Par ailleurs, les travaux de Gofman (1954) ont montré qu’une accumulation de tissu en un endroit donné de l’embryon évolue en une formation de type massif. D’après cette hypothèse, une accumulation de matériel présomptif osseux en un endroit donné du crâne devrait développer des os plus massifs, offrant corrélativement une surface moindre. Nous n’avons rien observé de tel.

Nous nous trouvons donc amenés à une troisième hypothèse, celle d’une action directe du tube nerveux sur la différenciation du crâne.

Nos expériences nous permettent de penser que les os du crâne sont induits par l’encéphale. Chaque territoire encéphalique agit directement sur les os qui lui sont adjacents.

Pour obtenir la disparition totale d’une ou de plusieurs pièces osseuses, il faut exciser non seulement le territoire nerveux sous-jacent, mais aussi les territoires qui lui sont contigus. Ainsi l’ablation du rhombencéphale seul entraîne une diminution de taille des pariétaux. Ceux-ci ne sont pas affectés par l’excision du mésencéphale seul, par contre, ils disparaissent totalement si nous enlevons le rhombencéphale et le mésencéphale. De même, les occipitaux disparaissent lorsque nous enlevons le rhombencéphale et le tube nerveux, alors que l’excision du rhombencéphale seul ne les affecte que dans leur forme. Le tableau 1 montre l’influence de l’excision de différentes parties du système nerveux et de la chorde sur le développement des pièces osseuses du crâne, ainsi que les empiètements partiels des zones d’induction des territoires opérés.

Le mode d’action des différents territoires encéphaliques n’est pas encore élucidé. Il semble que ceux-ci n’agissent pas par simple contact, mais par une induction à courte distance. De plus, l’action inductrice d’un territoire encéphalique peut se conjuguer avec celle du territoire voisin, comme nous venons de le montrer.

En ce qui concerne la différenciation du plancher crânien, la chorde et l’encéphale agissent concurremment. L’excision de la chorde entraîne une diminution des os du plancher. Cette réduction est plus importante si l’on excise l’encéphale seul, et atteint son maximum si l’on excise l’encéphale et la chorde, en même temps que la région céphalique du tube nerveux.

On remarquera que certaines pièces osseuses persistent en partie, quelles que soient les opérations, par exemple les squamosaux et le parasphénoïde. Cela conduit à penser qu’ils sont déterminés avant que l’excision soit faite, ou bien qu’ils sont induits par d’autres territoires que ceux qui sont excisés. Nous espérons pouvoir répondre bientôt à cette question.

  1. Le but de ce travail est de montrer le rôle de l’encéphale et de la chorde céphalique sur la différenciation du squelette crânien chez l’embryon de Poulet.

  2. L’excision de la chorde seule entraîne la réduction de la plaque basilaire et du basioccipital. Les autres os de la tête ne sont pas affectés par l’intervention (fig-2).

  3. L’excision de la chorde et de l’encéphale jusqu’au niveau de la première ou seconde paire de somites affecte la voûte crânienne dont il ne reste que les squamosaux (fig. 9). Les palatins et le rostre du parasphénoïde sont très réduits, de même que la plaque basilaire dans la plupart des cas. Le complexe occipital est également très touché; il n’en subsiste que les exoccipitaux (fig.3).

  4. Les mêmes opérations avec, en plus, l’excision de la moelle antérieure jusqu’à la neuvième paire de somites donnent des résultats analogues. De plus, les exoccipitaux disparaissent (figs. 4, 10).

  5. Si l’on excise seulement le rhombencéphale, la chorde et la moelle antérieure, seul le complexe occipital disparaît en totalité, les pariétaux sont réduits; les autres os ne sont pas altérés (fig. 6).

  6. Si, dans ces deux dernières séries d’expériences, la chorde est épargnée au cours de l’opération, le basioccipital et la plaque basilaire se différencient mais restent petits (fig. 7).

  7. Il semble que l’encéphale agisse directement sur la différenciation de la voûte crânienne, et concurremment avec la chorde sur celle du plancher crânien. On peut conclure de ces résultats que les vésicules encéphaliques, la partie cervicale du tube médullaire et la chorde antérieure agissent à la manière d’inducteurs des os de la boîte crânienne.

  1. The aim of this investigation is to demonstrate the role of the brain and of the cephalic part of the notochord in the differentiation of the cranial skeleton in the chick embryo.

  2. Excision of the notochord alone leads to reduction of the basal plate and basioccipital. The other bones of the head are unaffected by the operation (Text-fig. 2).

  3. Excision of both notochord and brain as far as the level of the first or second pair of somites affects the skull vault, of which only the squamosals remain (Text-fig. 9). The palatines and the rostral part of the parasphenoid are much reduced, as well as the basal plate in most cases. The occipital complex is also much affected, only the exoccipitals remaining (Text-fig. 3).

  4. The same operation, together with excision of the anterior spinal cord as far as the ninth pair of somites, yields analogous results. The exoccipitals also disappear (Text-figs. 4, 10).

  5. If only the rhombencephalon, the notochord and the anterior spinal cord are excised, only the occipital complex disappears completely. The parietals are reduced, but the other bones are unaffected (Text-fig. 6).

  6. If in the two latter series of operations the notochord is spared, the basi-occipital and the basal plate differentiate but remain small (Text-fig. 7).

  7. It seems probable that the brain acts directly on the differentiation of the cranial vault, and along with the notochord on the differentiation of the cranial floor. It may be concluded from these results that the brain vesicles, the cervical neural tube and the anterior notochord act as inductors of the bones of the braincase.

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