L’étude des possibilités de régulation des excédents dans la crête neurale, au moyen d’implantation de fragments de crête neurale surnuméraire marquée par la thymidine tritiée conduit aux résultats suivants:

L’implantation d’un fragment de crête neurale surnuméraire n’entraîne aucune anomalie grave.

La migration des cellules surnuméraires et leurs localisations finales sont identiques à celles des cellules de la même région de la crête neurale, dans les conditions normales. La régionalisation de la crête neurale est donc maintenue.

Le marquage issu de ces opérations est toujours unilatéral; de ce côté les cellules marquées et les cellules de l’hôte se mélangent pour former en commun des dérivés dont le nombre ou la taille sont identiques à ceux des témoins.

Une régulation parfaite se réalise donc du côté opéré, sans retentissement du côté opposé.

Du côté opéré, il se produit une modification du comportement mitotique des cellules des crêtes neurales mises en présence.

Dans un travail récent (Chibon, 1967) nous avons étudié l’ensemble des dérivés issus chez l’Amphibien de la crête neurale; cette étude a été fondée principalement sur la méthode de marquage nucléaire de la crête neurale, au moyen d’injections de thymidine tritiée au stade blastula ou gastrula jeune, selon une technique que nous avons décrite précédemment (Chibon, 1962,1966).

Cette étude de dérivés de la crête neurale nous a conduit à étudier également la migration des cellules de la crête neurale, et leurs capacités de régulation après des ablations plus ou moins importantes. Nous avons ainsi montré, après d’autres auteurs, que la crête neurale possède d’étonnantes capacités de régulation: une ablation unilatérale totale est suivie d’une régulation presque toujours parfaite: l’organogenèse n’est en rien perturbée, la crête restante parvenant à combler les pertes de cellules dûes à l’ablation. Les ablations bilatérales sont moins bien supportées, et ne sont suivies d’une régulation parfaite que si leur longueur est courte; nous avons montré que les possibilités de régulation ne sont pas aussi grandes dans la crête neurale céphalique et dans la crête neurale tróncale, et que les différents dérivés issus d’une région donnée de la crête neurale n’ont pas non plus exactement les mêmes possibilités de régulation.

Dans tous les cas ainsi étudiés, la régulation intervenait après une ablation: il s’agissait donc d’une régulation des déficiences.

Nous avons pensé intéressant d’envisager la situation inverse et d’étudier les possibilités de régulation des excédents de crête neurale, en implantant sur des neurulas des fragments de crête neurale surnuméraire, en plus des crêtes neurales en place. On pourrait ainsi savoir par l’étude quantitative des dérivés s’il se produit ou non une régulation lorsqu’un excès de cellules de la crête neurale est présent.

Ce problème n’a pas été abordé même dans les travaux récents (Weston, 1963 ; Johnston, 1964, 1966; Weston & Buttler, 1966).

Pour cela il fallait étudier le devenir des cellules surnuméraires ainsi implantées: participeraient-elles ou non à l’édification des dérivés, puisque de toute façon les cellules de la crête neurale de l’embryon hôte pouvaient y suffire?

La méthode de marquage nucléaire permet de résoudre ce problème: la recherche des cellules marquées permet de reconnaître les cellules greffées, d’étudier leur localisation et leur nombre. Si on ne retrouvait pas de cellules marquées, cela indiquerait que les cellules surnuméraires ont été détruites et qu’elles n’ont pas participé à l’édification des structures dérivées de la crête neurale. Si on les retrouve, cela signifie qu’elles ont participé à l’organogenèse; le calcul du pourcentage de cellules marquées dans les divers organes, ou l’étude de la taille de ces organes permet d’apprécier l’importance quantitative de leur participation.

Ces recherches ont été réalisées chez le pleurodèle (Pleurodeles waltlii Michah., Amphibien Urodèle). Les embryons reçoivent selon la technique antérieurement décrite, des injections de thymidine tritiée (1 à 2× 10–4ml d’une solution de thymidine contenant 80 μCi/ml, et dont l’activité spécifique est 5 Ci/mM). Au stade neurula, des fragments de crête neurale sont prélevés et implantés sur des neurulas receveuses non marquées : le greffon est placé à l’extérieur de la crête neurale de l’hôte, juste à son contact, dans une fente superficielle pratiquée à la base du bourrelet neural soulevé (Fig. 1).

La cicatrisation est presque toujours excellente; dans quelques cas, le greffon est plus ou moins ressorti, faisant saillie aux stades suivants: de tels embryons n’ont pas été pris en considération dans l’étude des résultats. Quarante et une greffes ont été réalisées; 37 ont donné des embryons normaux, qui sont ici étudiés :

greffes orthotopiques de crête neurale céphalique: 13 cas

greffes orthotopiques de crête neurale tróncale: 9 cas

greffes hétérotopiques de crête tróncale dans la tête: 7 cas

greffes hétérotopiques de crête céphalique dans le tronc: 8 cas

Les fixations ont été faites entre les stades 32 et 39 de la table de Gallien & Durocher (1957). Fixation au Smith; autoradiographie selon la technique de Ficq (1955) avec l’émulsion nucléaire Ilford L 4 — coloration à l’Unna.

La position des fragments de crête neurale est définie comme dans les travaux de Chibon (1966, 1967): la crête neurale est assimilée à une circonférence entourant la plaque neurale, et chaque point de la crête neurale est défini par la valeur de l’angle au centre formé par le rayon passant par ce point et le plan de symétrie bilatérale: ainsi le point 90° est situé sur le rayon perpendiculaire au plan de symétrie bilatérale, et le fragment 30–60° est compris entre les deux rayons faisant avec le plan de symétrie bilatérale des angles de 30° et de 60° (Fig. 1 C).

Dans tous les cas, on retrouve immédiatement sur les coupes sériées le greffon, qui constitue un massif marqué dense, généralement accolé au tube nerveux, mal ou pas du tout intégré à celui-ci. Des cellules marquées sont retrouvées en dehors de lui dans des situations diverses.

Nous rechercherons au sein des dérivés de la crête neurale, maintenant bien connus, la présence de cellules marquées, attestant la participation des cellules issues de la crête neurale surnuméraire.

Nous envisagerons successivement le cas des différents dérivés de la crête neurale, en commençant dans chaque cas par les greffes orthotopiques.

1. Opérations dans la région céphalique

Greffes orthotopiques: 13 cas

Greffes hétérotopiques (crête neurale tróncale): 7 cas

(a) Emplacement du greffon marqué et étude de Vencéphale

Greffes orthotopiques

Les 13 cas intéressent les régions suivantes:

Dans aucun cas, le greffon marqué n’est intégré à l’encéphale: il s’y trouve accolé ou séparé de lui par un très faible intervalle : il est tout au plus fusionné localement avec lui. Il se trouve sur la face dorso-latérale de la tête, entre l’encéphale et l’œil ou entre l’encéphale et l’oreille interne.

Son extension dans les différents cas est résumée par la Fig. 2 : on voit d’après cette figure que sa position et sa longueur dépendent du lieu de l’opération et des dimensions du greffon.

L’étude (ci-dessous) des parties marquées du squelette crânien permet de constater la correspondance entre le niveau de l’opération et la nature des pièces cartilagineuses marquées.

En résumé, on voit que le point 30° correspond au niveau de la limite hémisphères cérébraux-lobes optiques du côté dorsal, le point 45° au début de l’œil, le point 90° à l’extrémité de l’infundibulum, le point 120° à la moitié de l’oreille interne et le point 135° à son extrémité postérieure.

Greffes hétérotopiques

Crête neurale tróncale implantée le long de divers segments de la crête céphalique: 7 cas.

Le greffon ne s’intégre pas à l’encéphale le long duquel il se trouve; sa position et son extension en longueur sont conformes à ce que nous avons observé pour les greffes orthotopiques. Mais on remarque dans le massif marqué la présence de cellules de Rohon-Béard, caractéristiques de la moelle épinière des larves, ce qui montre que la différenciation histologique de ces cellules troncales s’est produite normalement dans ces conditions topographiques nouvelles.

(b) Squelette crânien

Greffes orthotopiques (Fig. 3)

Elles montrent la présence unilatérale de cellules marquées dans les cartilages céphaliques: le greffon de crête neurale surnuméraire participe à la formation du crâne mais du côté opéré seulement. Toutes les pièces squelettiques sont susceptibles d’être marquées, sauf le basibranchial 2. Ce marquage de telle ou telle pièce squelettique dépend de la région opérée: les résultats sont résumés par le Tableau 1.

Ces résultats sont exactement conformes à nos résultats antérieurs; le greffon conserve donc ses potentialités normales et les cellules qui s’en détachent se localisent dans le squelette crânien exactement selon leurs potentialités habituelles.

Un cas aberrant est à signaler : une greffe orthotopique 90–130° a été suivie de la présence de deux pièces cartilagineuses marquées surnuméraires: un petit nodule cartilagineux marqué soudé à la partie postérieure du cartilage de Meckel, et une pièce cartilagineuse marquée allongée, partiellement soudée à l’arc hyoïde et au palatocarré. On observe donc ici que les cellules marquées ne se sont pas intégrées au crâne de l’hôte et qu’elles ont donné naissance à des pièces cartilagineuses surnuméraires dont la position ne correspond pas exactement à la destinée normale des cellules de cette région de la crête céphalique. Cependant, on observe cinq dents à odontoblastes marqués. On se trouve donc ici devant un cas où la migration des cellules issues de la crête neurale semble avoir été anormale, bien que la cicatrisation après l’opération ait été satisfaisante.

Le marquage des régions marquées étant toujours inégal, nous n’avons pas pu estimer le degré de participation des cellules marquées à la formation des cartilages, mais nous avons fait huit reconstitutions complètes du squelette céphalique afin de comparer la taille des pièces symétriques marquées et non marquées.

Dans deux cas on observe une légère différence entre la taille des pièces marquées et celle des pièces non marquées du côté opposé, mais ces différences paraissent rester dans le domaine des variations de taille de ces pièces, et dans les autres cas on ne relève aucune différence appréciable. 11 n’y a donc pas d’augmentation significative de la taille des pièces marquées (Fig. 3).

Il s’est donc produit une régulation : du côté opéré les pièces squelettiques ont une forme et des proportions normales. Bien que le marquage soit rigoureusement unilatéral, les deux crêtes neurales ont participé simultanément à la formation du crâne de ce côté, mais elles ont donné naissance à des pièces dont la taille reste normale.

Greffes hétérotopiques

La crête neurale tróncale implantée dans la tête ne participe pas en règle générale à l’édification des cartilages céphaliques; dans cinq cas, aucune cellule marquée n’est présente dans les cartilages, mais deux cas montrent des cellules marquées dans des cartilages:

( 1) Le cas Th 74-10 comporte une greffe de crête neurale tróncale en position 30–90°; il montre du côté opéré un nodule cartilagineux marqué, partiellement soudé à la partie postérieure du cartilage de Meckel, et quelques cellules marquées dans le palatocarré, dont la taille et la forme sont normales.

(2) Le cas Th 74-13 montre quelques cellules marquées dans la partie postérieure du cartilage de Meckel.

Ces deux cas exceptionnels, dans lesquels pourtant la crête neurale tróncale n’a participé que d’une façon faible à la formation des cartilages crâniens sont à rapprocher de nos résultats antérieurs, selon lesquels la crête tróncale ne participe jamais à la formation de cartilages; dans les cas présents, cette crête tróncale n’était pas seule, mais associée à la crête céphalique, ce qui a peut-être modifié ses potentialités. Il demeure que dans la majorité des cas, la crête tróncale implantée en position céphalique ne participe pas à la formation du crâne.

(c) Dents

Greffes orthotopiques (Fig. 4A)

On observe un marquage strictement unilatéral des dents du côté opéré pour les opérations concernant la région 30–100° de la crête céphalique; les opérations portant sur la région 100-135° n’entraînent pas le marquage des dents.

Seuls les odontoblastes sont marqués; dans les dents marquées, les odontoblastes, marqués ou non, ne paraissent pas plus nombreux que dans les dents non marquées du côté opposé, et le nombre des dents n’est pas plus élevé dans les régions où celles-ci sont marquées.

Les dents marquées et non marquées sont représentées sur la Fig. 3: on voit que des odontoblastes marqués se trouvent dans un certain nombre de dents; celles-ci sont disposées normalement.

Le nombre des dents marquées pour les opérations portant sur la région de la crête neurale productrice d’odontoblastes est de 7 à 12 pour les greffes 45120°, de 9 à 14 pour les greffes 30–90° et de 6 à 12 pour les greffes 90–120°. Ces nombres sont légèrement inférieurs au tiers du nombre total des dents (48): ceci est dû principalement à ce que dans aucun cas la région productrice d’odontoblastes n’a été greffée en entier.

Greffes hétérotopiques

Elles ne produisent d’odontoblastes marqués que dans un cas sur sept: trois dents mandibulaires seulement (sur treize, pour le côté opéré) présentent des odontoblastes marqués, après implantation de crête tróncale dans la région 30–90°. Dans tous les autres cas, aucun odontoblaste marqué n’est présent.

On peut donc considérer là encore que la crête tróncale ne peut participer à la formation des dents et diffère à cet égard, comme pour les cartilages, de la crête céphalique.

(d) Ganglions crâniens

Notre travail de 1966 avait abouti à la conclusion que les ganglions crâniens chez le pleurodèle ne dérivent pas de la crête neurale mais de l’ectoderme céphalique immédiatement adjacent: c’est précisément en cette région que nous im-plantons les fragments de crête neurale surnuméraire, et on pouvait donc s’attendre à ce que la formation des ganglions crâniens soit quelque peu perturbée.

Il n’en est rien: on les trouve à leur emplacement normal, avec une taille normale.

Greffes orthotopiques. Dans la plupart des embryons l’un ou l’autre des ganglions présente des cellules marquées; celles-ci sont toujours en petit nombre et ne constituent qu’une très petite partie du ganglion dans lequel elles se trouvent, même lorsque le greffon marqué se trouve à proximité immédiate.

Les résultats sont résumés par le Tableau 2.

Ce tableau montre que la localisation de cellules marquées dans les différents ganglions crâniens est conforme à nos résultats antérieurs concernant la localisation des territoires ectodermiques qui sont à l’origine des ganglions crâniens, et nous interprétons la présence d’un petit nombre de cellules marquées dans ces ganglions comme une confirmation de notre conception selon laquelle les ganglions crâniens ne dérivent pas de la crête neurale, mais de l’ectoderme adjacent: les cellules marquées que l’on trouve dans les ganglions crâniens proviennent alors soit de cellules ectodermiques banales apportées avec le greffon, soit de cellules de la crête neurale greffée, qui se sont trouvées intégrées à la placode ectodermique voisine au moment où celle-ci s’est formée puis enfoncée pour former tel ou tel ganglion. Si les ganglions crâniens provenaient de la crête neurale leur marquage du côté opéré serait beaucoup plus important; le greffon aurait participé pour moitié à leur formation.

Greffes hétérotopiques

Quatre cas sur sept montrent quelques cellules marquées dans l’un ou l’autre des ganglions crâniens, suivant une répartition topographique qui correspond à celle du Tableau 2.

On voit donc que la crête tróncale réagit à ces opérations de la même façon que la crête céphalique, en participant très faiblement et dans certains cas seulement, à la formation des ganglions crâniens.

(e) Cellules pigmentaires et mésenchyme céphalique

Dans le cas des greffes orthotopiques, l’observation régulière des embryons en cours de développement n’a montré que dans un cas l’existence d’une pigmentation plus dense dans la région opérée: après une greffe 90–135° on distinguait des cellules pigmentaires sur les filaments branchiaux externes du côté opéré, avant qu’il en existe sur les filaments branchiaux du côté opposé. Dans les autres cas il était impossible de reconnaître la région opérée d’après la pigmentation de la tête.

Les autoradiographies montrent de nombreuses cellules pigmentaires marquées, presque exclusivement du côté opéré: quelques-unes cependant s’observent de l’autre côté.

Les greffes hétérotopiques de crête tróncale dans la tête montrent dans quatre cas sur sept une pigmentation plus dense de la région opérée entre les stades 28 et 32 de Gallien & Durocher; par la suite cette différence de pigmentation s’atténue, et s’efface : au plus tard au stade 37 la pigmentation est redevenue identique des deux côtés de la tête dans la région opérée.

Il se produit également dans ce cas une régulation du nombre des cellules pigmentaires, mais moins rapide que dans le cas des greffes orthotopiques: il semble que la régulation au sein de cette population cellulaire d’origine double soit plus lente à se réaliser que si les cellules ont toutes la même origine.

Le mésenchyme marqué est abondant dans tous les cas : dans le cas des greffes orthotopiques, on l’observe en abondance autour du greffon, autour des cartilages marqués, sous l’ectoderme, mais toujours du côté opéré seulement.

Dans le cas des greffes hétérotopiques, le mésenchyme marqué est beaucoup moins abondant: on le trouve autour du greffon, à faible distance; on ne le trouve jamais autour des pièces cartilagineuses, elles-mêmes non marquées, même si la greffe a été faite au niveau qui correspond à ces formations.

2. Opérations dans la région tróncale

Greffes orthotopiques: 9 cas

Greffes hétérotopiques

(crête neurale céphalique): 8 cas

(a) Existence de cartilages marqués

On sait que la crête neurale tróncale ne donne normalement naissance à aucun cartilage: les cartilages pré-vertébraux sont issus des sclérotomes mésodermiques. Nous observons ici qu’aucune greffe orthotopique n’entraîne la présence de cartilages surnuméraires marqués, ni celle de cellules marquées dans les cartilages troncaux.

Les greffes hétérotopiques de crête céphalique dans le tronc donnent le même résultat, sauf dans un cas (Th 74-14) où le greffon avait été implanté très antérieurement, à la limite tête-tronc: dans ce cas on trouve un très petit nodule cartilagineux marqué au niveau du 4e arc branchial. Les autres greffes hétérotopiques, qui ont conduit à des résultats négatifs, avaient été faites plus postérieurement dans le tronc, à des niveaux où l’induction issue de l’endoderme antérieur, qui rend les cellules de la crête céphalique capables de se transformer en cartilages (Hörstadius & Sellman, 1946; Petriconi, 1964) ne s’exerce pas; dans ce cas unique, cette induction a pu s’exercer sur le fragment de crête céphalique implantée à la limite de la région céphalique et a conduit à la formation de ce nodule cartilagineux marqué.

(b) Ganglions rachidiens

Après greffes orthotopiques de crête tróncale, les ganglions rachidiens sont marqués dans tous les cas : la proportion des cellules marquées est variable d’un ganglion à l’autre, mais on ne rencontre qu’exceptionnellement quelques cellules marquées dans les ganglions du côté non opéré.

L’étude du nombre des coupes sur lesquelles figurent les ganglions marqués, et de la surface de section de ceux-ci, montre que les ganglions marqués ont sensiblement la même taille que les ganglions non marqués de la même paire: les cellules marquées se sont mêlées aux cellules non marquées issues de la crête neurale en place, et cette population mixte n’est pas plus nombreuse que la seule population non marquée du côté non opéré: il y a une régulation du nombre des cellules.

Après les greffes hétérotopiques (crête céphalique implantée dans le tronc), l’organogenèse de la moelle épinière, et éventuellement celle de la corde dorsale et des somites sont perturbées: cette crête céphalique s’intégre très mal ou pas du tout dans le tronc, le greffon constituant un massif marqué à côté de la moelle épinière.

Dans trois cas sur huit, on observe des cellules marquées dans les ganglions rachidiens du côté opéré: elles sont beaucoup moins nombreuses que dans le cas des greffes orthotopiques; dans cinq cas on n’en observe pas. La crête céphalique qui ne participe pas à la formation des ganglions crâniens est donc dans une certaine mesure capable de participer à la formation des ganglions rachidiens, comme nous l’avons déjà observé (Chibon, 1966).

(c) Cellules de la gaine de Schwann (Fig. 4C)

Sur les trente-sept embryons étudiés dans ce travail, trois seulement montrent des cellules de Schwann marquées: l’un avait subi une greffe tróncale orthotopique, les deux autres une greffe hétérotopique de crête céphalique dans le tronc. Ces trois cas suffisent à montrer que la crête neurale surnuméraire peut aussi produire des cellules de Schwann.

(d) Cellules de Rohon-Béard

Ce sont de grosses cellules à noyau volumineux, situées à la partie médiodorsale de la moelle épinière; leur nombre décroît régulièrement au cours de la vie larvaire, et elles disparaissent peu avant la métamorphose. Elles sont issues de la crête neurale tróncale.

Greffes orthotopiques

Dans tous les cas on trouve des cellules de RohonBéard marquées et non marquées. Pour cinq embryons présentant une bonne intégration du greffon à la moelle épinière, on a compté le nombre de cellules de Rohon-Béard marquées et non marquées dans plusieurs métamères: le Tableau 3 résume les résultats.

On remarque que le pourcentage de cellules marquées est dans tous les cas voisin de 33 %, soit un tiers de la population totale de cellules de Rohon-Béard : or trois crêtes neurales se trouvaient en présence, et l’une était marquée: on retrouve exactement cette proportion parmi les cellules de Rohon-Béard dont le nombre total par métamère reste, pour chaque stade, très voisin de celui des témoins. On a là un exemple frappant de régulation parfaite des excédents, portant à la fois sur le nombre total des cellules et sur la part de chaque ébauche dans ce total.

Greffes hétérotopiques

Dans le greffon qui reste le plus souvent isolé, il ne se trouve aucune cellule de Rohon-Béard.

La moelle épinière n’en contient que de non-marquées: elles ont été comptées, et leur nombre est donné par le Tableau 4.

Ce tableau montre que le nombre de cellules de Rohon-Béard est ici égal ou légèrement inférieur à ce qu’il est chez les témoins; aucune n’est marquée. La crête céphalique n’a produit aucune cellule de Rohon-Béard.

(e) Cellules pigmentaires et mésenchyme

En règle générale, on ne note pas de pigmentation plus dense dans la région opérée; toutefois un cas de greffe orthotopique et deux cas de greffes hétérotopiques présentaient des cellules pigmentaires plus nombreuses dans la région opérée, et dans l’un des cas, cet excès de pigmentation était bilatéral et subsistait encore au stade 37.

L’étude autoradiographique montre dans tous les cas de nombreuses cellules pigmentaires marquées, aussi bien dans l’épithélium péritonéal que sous l’épiderme.

La dispersion des cellules pigmentaires rend leur décompte difficile, mais l’observation externe des embryons suffit à montrer que trois crêtes neurales ne produisent pas plus de cellules pigmentaires que deux: il y a donc une régulation parfaite, qui ne s’est avérée tardive que dans trois cas au total sur dix-sept.

Le mésenchyme marqué est toujours abondant: les greffes orthotopiques en produisent dans tous les cas autour de la moelle épinière, sous l’ectoderme et dans la nageoire dorsale; dans deux cas il existe une nageoire dorsale surnuméraire, dont le mésenchyme est entièrement marqué : il n’y a pas eu ici de régulation, mais on avait noté lors de l’opération que le greffon était resté saillant et il s’est mal intégré à l’embryon. Ce marquage est toujours unilatéral.

Les greffes hétérotopiques de crête céphalique dans le tronc produisent aussi un abondant mésenchyme marqué, du côté opéré seul. Du côté opéré, le mésenchyme dans son ensemble ne paraît pas plus abondant que du côté opposé.

Le présent travail concerne le problème particulier de l’aptitude à la régulation des excédents, des cellules de la crête neurale. Nous avions déjà étudié les possibilités de régulation des déficiences (Chibon, 1966).

Cette étude envisage tous les dérivés de la crête neurale à l’exception des méninges, des cellules chromaffines et des ganglions sympathiques dont la différenciation est trop tardive pour qu’il soit possible de les étudier par la méthode autoradiographique, le marquage cellulaire ayant disparu au moment où ces dérivés deviennent reconnaissables.

Pour l’ensemble des dérivés ici étudiés, les résultats obtenus montrent que la crête neurale surnuméraire s’assimile bien à l’embryon si la greffe est orthotopique, moins bien en général si la greffe est hétérotopique. Presque toujours, l’opération n’entraîne aucune anomalie grave: bien au contraire le greffon donne naissance à des cellules migratrices qui se dispersent à travers l’embryon d’une manière remarquablement conforme à leur comportement normal, et qui participent à la formation des organes qu’elles forment ou contribuent normalement à former. Elles sont ici associées aux cellules des crêtes neurales de l’embryon hôte.

Il est à remarquer que l’embryon est pour l’essentiel normal et que les organes issus en totalité ou en partie des crêtes neurales ne présentent pas une taille anormalement grande. 11 s’est produit une régulation excellente qui, lorsqu’elle peut être étudiée quantitativement, s’avère très rigoureuse.

Cette régulation parfaite suppose que les cellules des deux crêtes neurales du côté opéré ont coordonné leur migration et leur multiplication pour aboutir à cette situation harmonieuse.

Le marquage issu de ces opérations est, en règle générale, unilatéral: il n’y a donc pas eu, à la suite du type d’opération réalisé ici, de passage des cellules migratrices marquées d’un côté à l’autre: ceci pourtant s’observe d’une manière systématique dans le développement normal et, le cas échéant, conditionne pour une large part les possibilités de régulation des déficiences (après ablations). Ici, cet échange ne se produit pas, en raison très certainement de la position latérale, externe, du greffon, par rapport aux crêtes neurales en place qui constituent à son endroit un obstacle mécanique absolu. Même les cellules propigmentaires qui semblent avoir l’aptitude migratrice la plus grande, ne franchissent qu’exceptionnellement cet obstacle.

La régulation n’intervient donc que du côté opéré. Dans tous les cas de greffes orthotopiques, les cellules surnuméraires migrent et se localisent en conformité parfaite avec leur destinée normale: ceci est particulièrement net dans la tête, dont les pièces squelettiques et les dents ont des positions bien précises: ces cellules sont capables de trouver leurs voies normales de migration, d’aboutir à leurs localisations normales, et d’y subir leur différenciation: mais elles sont en même temps capables de diminuer leur prolifération de telle façon que le nombre total de cellules issues des deux crêtes neurales du côté opéré soit égal à celui que fournit normalement une seule crête neurale. La régionalisation précise à l’intérieur de la crête neurale est donc maintenue: les cellules apportées par la greffe ne se dispersent pas dans les régions avoisinantes et leur migration reste conforme à leur destinée normale.

La concordance observée entre la localisation des cellules issues de la crête enurale surnuméraire, et leur localisation normale nous paraît remarquable: elle est particulièrement intéressante pour le cas des ganglions crâniens puisque l’origine de ceux-ci a fait l’objet de nombreux travaux dont les résultats sont quelque peu en désaccord (Stone, 1922, 1924; Knouff, 1927; Van Campenhout, 1935; Yntema, 1937, 1943): nous pensons qu’ils ne sont pas issus chez le pleurodèle de la crête neurale telle qu’elle s’individualise au stade 15 de Gallien & Durocher sous la forme du bourrelet neural soulevé, mais de l’ectoderme qui est situé immédiatement à son contact.

La formation des cartilages est également conforme topographiquement à ce que l’on pouvait prévoir, et en aucun cas les cartilages marqués ne sont plus grands que les autres. Mais quelques cas exceptionnels ont été rencontrés de formation de cartilages surnuméraires d’une part dans la tête, et d’autre part dans la partie antérieure du tronc. Ces exceptions montrent que dans quelques cas les cellules issues de la crête neurale surnuméraire ne se sont pas mélangées aux cellules des crêtes neurales de l’hôte et ont produit des formations cartilagineuses particulières, anormales.

Une situation paradoxale se rencontre à propos des cellules de Rohon-Béard : le présent travail montre qu’il se produit parmi ces cellules une régulation parfaite, puisque les greffes orthotopiques n’entraînent pas d’augmentation du nombre total de ces cellules. Antérieurement nous avons observé que les ablations unilatérales de crête neurale sont suivies d’une diminution très importante du nombre des cellules de Rohon-Béard dans la région opérée : il ne se produit donc pas de régulation des déficiences pour ce type de cellules issues de la crête neurale, mais il se produit une excellente régulation des excédents.

Dans le cas des greffes hétérotopiques, certains dérivés se sont différenciés dans cette situation anormale: les cellules pigmentaires, le mésenchyme par exemple; d’autres ont participé très faiblement à la différenciation d’ébauches auxquelles ils ne participent pas normalement: cas des cellules de la crête céphalique présentes dans les ganglions rachidiens, et des cellules de la crête tróncale présentes dans les cartilages céphaliques; d’autres encore se sont différenciées à l’intérieur même du greffon, comme les cellules de Rohon-Béard dans les greffons de crête tróncale implantés dans la tête; d’autres enfin ne se sont pas différenciées du tout, et la crête neurale placée en position hétérotopique n’a pas la possibilité de les produire: c’est le cas de la crête céphalique qui ne peut produire ni cartilages ni odontoblastes dans le tronc.

Nous retrouvons en cela une situation proche de celle rencontrée dans la régulation des déficiences: les possibilités de régulation ne sont pas égales pour tous les dérivés; ce qui montre que la différenciation normale de ces dérivés est sous la double dépendance de l’origine précise des cellules migratrices qui confère à celles-ci une certaine compétence, et du milieu tissulaire au sein duquel elles se déplacent, dont elles reçoivent des informations certainement beaucoup plus nombreuses que celles qui sont aujourd’hui reconnues (induction exercée par l’endoderme pharyngien).

Regulation of excess material in the amphibian neural crest

Study of the regulatory power of neural crest by grafting tritiated extra neural crest fragments on a non-labelled neural crest shows that:

Grafting extra neural crest fragments does not produce serious abnormalities.

Extra cells migrate and localize in the same way as the migrating cells of the same area under normal conditions. (Thus the neural crest develops according to its normal regionalization.)

Observed post-operational labelling is always unilateral. Tritiated cells and host cells (nonlabelled) on the labelled side together form derivatives which are identical to controls in number and size.

Regulation on the wounded side is perfect, and without effect on the opposite side.

Extra neural crest labelled cells and normal neural crest non-labelled cells brought together on the operated side modify their mitotic behaviour.

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